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Aux États-Unis la communauté sud-asiatique s'exprime sur l'avortement et sur les droits des personnes LGBTQ+

Catégories: Amérique du Nord, Asie du Sud, Etats-Unis, Inde, Cyber-activisme, Droit, Droits humains, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Histoire, LGBTQI+, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens

 

Photo de Kyle [1] utilisée sous une licence Unsplash.  [2]

Alors qu'aux États-Unis l'avortement et les droits des personnes LGBTQ+ sont au cœur d'une bataille culturelle et politique, la communauté sud-asiatique résidant dans le pays s'exprime sur la situation. Gowri Vijayakumar, professeur adjoint de sociologie et d'études sur les femmes, le genre et la sexualité souligne [3] que les communautés sud-asiatiques aux États-Unis ne nient pas toutes forcement les identités queer ; par contre, cela ne les empêche pas pour autant de commettre des actes de violence basée sur le genre, le sexe, l'orientation sexuelle ou la caste.

Deux avocates, Julie F. Kay et Kathryn Kolbert, décrivent dans leur livre « Controlling Women: What We Must Do Now to Save Reproductive Freedom [4] » la manière dont les conservateurs anti-IVG ont œuvré sans relâche depuis plus de 50 ans pour non seulement essayer d'annuler l'arrêt « Roe v. Wade » (le jugement historique rendu par la Cour suprême en 1973 garantissant le droit à l'avortement aux États-Unis), mais aussi d'influencer l'opinion publique contre les droits des personnes LGBTQ+ et du mariage entre personnes de même sexe, en travaillant étroitement avec des mouvements catholiques d'extrême droite.

Julie F. Kay et Kathryn Kolbert écrivent que « les militants extrémistes pro-vie, les suprémacistes blancs, et les groupes anti-gouvernement du mouvement patriote sont tout aussi fermement opposés au mariage entre personnes de même sexe et aux droits des personnes LGBTQ+ que les opposants à l'avortement. » Et bien que le mariage homosexuel ait force de loi dans le pays (et ce depuis l'arrêt historique rendu par la Cour suprême en 2015 dans l'affaire Obergefell v. Hodges [5]), les révélations en mai 2022 émanant directement de la Cour suprême américaine sur l'affaire Dobbs sont inquiétantes. Après tout, la logique utilisée dans l'affaire Obergefell est similaire à celle adoptée dans l'affaire Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization [6] qui conteste directement la constitutionnalité de l'arrêt  « Roe v. Wade »).

La révélation de l'avant-projet alarme les militants

Aux États-Unis, la révélation de l'avant-projet de loi décidé à la majorité [7] et rédigé par Samuel Alito, juge à la Cour suprême, consterne les défenseurs des droits reproductifs ; le projet stipule de manière catégorique l'annulation de l'arrêt « Roe v. Wade ». Quelques mois plus tôt, au mois de mars 2022,  le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, avait fait la une des médias en signant [8] une loi [9] (que ses opposants ont rebaptisé la loi [10] « Ne parlez pas des homosexuels ») qui interdit  l'enseignement de sujets sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre à l'école primaire.

La formulation du projet de loi est ambiguë et ne définit pas clairement quels sujets sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre peuvent ou ne peuvent pas être abordés. La loi non seulement touche plus particulièrement les parents LGBTQ+ (étant donné qu'elle ne précise pas si employer les termes « deux mamans » ou « deux papas » est toujours permis à l'école) mais pose aussi le problème d'employer des discours rhétoriques démodés selon lesquels l'homosexualité serait « contre nature », « déviante », et, de ce fait, corromprait les jeunes.

Les conservateurs prétendent que le projet de loi « protégerait » les enfants contre les prédateurs sexuels et les « pervers [11]», une allégation basée de nouveau sur un vieux cliché lié au concept « d'agenda homosexuel » [12] ; cette expression doit son origine à l'américain R. Albert Mohler Jr., un chroniqueur et théologien évangélique populaire qui un jour qualifia de « propagande de l'immoralité » [13] et de « poison pour la morale chrétienne » l'émergence de rôles homosexuels au cinéma dans les années 2000.  Aujourd'hui les conservateurs tiennent le même raisonnement [14] en ce qui concerne l'enseignement de sujets LGBTQ+.

Enfin, le projet de loi prévoit des règles qui obligeraient les enseignants à dévoiler aux parents l'orientation sexuelle de leurs enfants LGBTQ+, dans le cas où la « santé » de l'enfant serait compromise. Il stipule que « Les autorités scolaires ne peuvent pas instaurer de procédures ou de systèmes de soutien aux étudiants qui interdiraient à leurs employés d'informer les parents du bien-être ou de la santé mentale, affective, ou physique de leur enfant, » sans pour autant donner de définitions juridiques de « santé » et de «bien-être .»

De manière générale, le risque d'une mauvaise application du projet de loi est l'une des principales conséquences de son manque de clarté.

Réactions aux États-Unis de la communauté sud-asiatique

Sur les réseaux sociaux, la révélation du nouveau projet de loi et la situation concernant les droits des personnes LGBTQ+ provoquent de nombreuses et vives réactions parmi la communauté sud-asiatique.

Alok Vaid Menon [15] , personnalité publique célèbre, activiste et auteur de « Beyond the Gender Binary (soit Au-delà de la binarité de genre en français) » a publié l'image ci-dessous [16] sur Instagram, afin de rappeler à chacun que même si la menace de la révocation du droit à l'avortement porte préjudice aux femmes, elle concerne aussi les hommes trans, les personnes non binaires, et toute autre personne avec un utérus. Ses appels au rassemblement des femmes et des personnes LGBTQ+ pour protester ensemble contre l'éventuelle annulation de l'arrêt « Roe v. Wade » sont bouleversants.

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Anisha Singh, défenseuse des droits civils et nommée récemment au poste de directrice générale de Sikh Coalition a également posté des tweets pour soutenir l'arrêt « Roe v. Wade ».

C'est la raison pour laquelle nous avons manifesté et pleuré lors de l'élection de Trump.
Lors de la confirmation de Kavanaugh.
Lors de la confirmation de Amy Coney Barrett.
Nous savions ce qui allait se passer.
Les élections ont toujours des conséquences. https://t.co/TL5n2tDdup [18]

— Anisha Singh (@Anisha_S113) 3 mai 2022 [20]

Toutefois, les débats sont loin de faire l'unanimité parmi les Américains d'origine sud-asiatique.

Bobby Jindal, ancien gouverneur de la Louisiane, a posté un tweet critiquant le Président Joe Biden qui, dans le budget de la santé, prévoit notamment de consacrer 400 millions de dollars au développement de soins après avortement.

On ne devrait pas s'attendre à ce que le président @JoeBiden [21] résolve de si tôt les problèmes liés au système de santé. https://t.co/axgM48exeY [22]

— Gov. Bobby Jindal (@BobbyJindal) 8 avril 2022 [23]

L'article laisse aussi entendre qu'un IVG peut créer chez les femmes des troubles mentaux importants, et c'est pourquoi elles « méritent mieux » (une manière sarcastique de dire que l'avortement doit être interdit); le raisonnement de Bobby Jindal est tout à fait en conformité avec son opposition acharnée [24] à l'avortement dont il a fait preuve durant son mandat de gouverneur de la Louisiane.

Pendant ce temps, l'entrepreneur Vivek Ramaswamy reproche à Disney son soutien à la communauté LGBTQ+ de la Floride, et prétend que les résultats du deuxième trimestre de l'entreprise américaine allaient souffrir (apparemment à juste titre) en raison de sa vive opposition au projet de loi.

Nous verrons lorsque Disney annoncera ses résultats du deuxième trimestre si son engagement auprès des personnes LGBTQ+ dans une guerre culturelle aura des effets néfastes sur son chiffre d'affaires. Je suis prêt à parier que Disney restera très vague à ce sujet.

— Vivek Ramaswamy (@VivekGRamaswamy) 25 mai 2022 [25]

Ce que l'avenir nous réserve

En plus de projets de loi restrictifs contre l'avortement [26], plusieurs états (la plupart républicains) ont également voté des lois [27] interdisant les jeunes filles et femmes transgenres à participer à des activités sportives féminines alors que d'autres ont interdit l'accès aux soins trans-affirmatifs aux mineurs [28] présentant une dysphorie de genre. Dans les prochains mois, des lois inspirées du projet de loi « Ne parlez pas des homosexuels » [29] vont être proposées dans plus d'une douzaine d'états. Tout ça, alors que 2022 est en voie de devenir l'année record des lois anti-trans [30] de toute l'histoire des États-Unis.  Si l'arrêt «Roe v. Wade» est annulé dans les prochains mois, 2022 deviendra une année historique, mais pas pour les bonnes raisons.

Alors que la grande majorité des pays de l'Amérique du Nord et d'Europe de l'Ouest ont au fil des années renforcé les droits reproductifs et les droits des personnes LGBTQ+, les États-Unis sont une exception à la règle et semblent au contraire régresser. Et étant donné que récemment les sénateurs démocrates ont échoué à adopter l'arrêt « Roe v Wade » face à l'opposition des sénateurs républicains [31], il semblerait que les conservateurs aient une longueur d'avance et le Président Joe Biden lui-même ne peut pas faire grand-chose pour remédier à la situation.