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Undertones : y a-t-il une perversion des récits décoloniaux au Mali ?

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Europe Centrale et de l'Est, Europe de l'ouest, France, Mali, Russie, Médias citoyens, Country Monitor Observatory 2021-2022, L'observatoire des médias citoyens

Illustration par Global Voices.

[Sauf indication contraire tous les liens renvoient à des sites en anglais]

Cet article fait partie de Undertones, le bulletin d'information de l'Observatoire des médias civiques de Global Voices. Pour en savoir plus sur notre mission [1], notre méthodologie [2] et les données accessibles [3], abonnez-vous [4] à Undertones.

Le Mali traverse une guerre de l'information qui place les récits anticolonialistes au premier plan. La junte militaire du pays – qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta en 2020, le président de plus en plus impopulaire – attribue tous les malheurs du Mali à son ancienne puissance coloniale, la France. Entre-temps, des mercenaires russes ont pris le pouvoir dans les récits et le territoire du pays.

L'histoire coloniale du Mali ne remonte qu'à quelques générations. En 1960, le Mali a obtenu son indépendance de la France qui avait pris le contrôle de la région à la fin du XIXe siècle lors de la « ruée vers l'Afrique [5] » [fr] de l'Europe. Au cours des siècles précédents, le Mali faisait partie de trois grands empires ouest-africains riches qui contrôlaient le commerce transsaharien de l'or, du sel et d'autres produits de base. Aujourd'hui, le Mali est l'un des premiers producteurs d'or d'Afrique.

La France a débarqué sur le terrain en 2013 à la demande de Bamako, la capitale, alors que le Mali traversait une vague d'instabilité politique et de menaces terroristes [6]Le nord du Mali était aux prises avec différents groupes rebelles depuis des années. Peu après leur arrivée, les soldats français ont réussi à reprendre trois villes aux extrémistes islamistes et, en février 2013, le président français François Hollande s'est rendu au Mali, où il a été accueilli en héros.

Bien que la motivation de la France à protéger ses intérêts [7] miniers et nucléaires dans la région ne puisse être exclue, pour de nombreux observateurs [8] [fr], l'armée française a effectivement aidé à reprendre des territoires aux groupes rebelles, même si la victoire totale n'a pas eu lieu. Aujourd'hui, de nombreux enfants maliens portent le nom de François [9] en hommage à l'ancien Président français François Hollande, selon certaines sources.

Cependant, le gouvernement militaire intérimaire affirme [10] que la France était de connivence avec des groupes rebelles, ce qui a conduit à leur expansion. Les politiciens, les journalistes et les militants aux opinions divergentes risquent des lésions corporelles. Le Mali a perdu 12 places [11] [fr] au classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières entre 2021 et 2022. En raison du durcissement de la position de la junte, « les pressions pour un ‘traitement patriotique’ de l'information se multiplient », dit RSF. Plusieurs journalistes ont disparu [12] et sont « malades de peur [13] ». Il est difficile d'identifier les multiples forces derrière les tactiques d'intimidation.

La junte militaire a refusé de convoquer des élections au début de 2021 et a déclaré une transition de cinq ans, se heurtant ainsi à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui a mis en place un embargo économique [14] contre le Mali. La France ne reconnaît pas la junte et certains Maliens ont protesté contre la présence militaire française, notamment à Bamako. En février 2022, les troupes françaises ont été invitées à quitter [15] le pays au milieu de récits anticoloniaux forts. En mai, les autorités maliennes ont rompu les liens de défense [16] avec la France. Dans les zones rurales du Nord où l'État est moins présent, comme à Ménaka, les populations craignent [17] [fr] que le départ des Français ne laisse un vide de pouvoir aux djihadistes.

Pour les chercheurs maliens, l'accent mis par le gouvernement militaire sur la présence de la France et non sur la démocratie en ruine du pays «est une perversion du discours décolonial».

Sur Facebook, et devant des dizaines de milliers de followers, l'activiste Kemi Seba [18] a apporté son soutien aux autorités maliennes dans leur décision d'expulser l'ambassadeur de France Joël Meyer, affirmant qu'il était « un impérialiste, un négrophobe et un partisan du terrorisme ». Il appelle les autres pays africains à suivre l'exemple du Mali. Pour nos chercheurs, cette vidéo est classée « -1 » au tableau de bord de l'impact citoyen de l'Observatoire, car elle est le reflet d'un large sentiment de la population, mais diffame également l'ambassadeur de France. M. Seba entretient des liens étroits avec les autorités maliennes et russes. M. Seba a rencontré [19] publiquement le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, en mai dernier et s'est rendu [20] [fr] à Moscou pour rencontrer les autorités russes peu après le déclenchement de la guerre contre l'Ukraine. Lire l'analyse complète en anglais ici [21] [fr].

[22]

KEMI SEBA: « LE MALI 🇲🇱 DEMANDE L’EXPULSION DE L’AMBASSADEUR FRANÇAIS 🇫🇷 JOEL MEYER. QUE DIEU BENISSE LE MALI. »

Toujours sur Facebook, la page pro-junte «Farafina Authorite Krymo» a partagé la nouvelle non vérifiée que l'armée malienne a arrêté l'un des plus importants dirigeants djihadistes, Amadou Koufa [23]Son arrestation, ou sa mort, a déjà été signalée à tort dans le passé, comme c'est souvent le cas avec les chefs djihadistes. La publication sème de la désinformation pour promouvoir le régime militaire, dont la popularité dépend de la victoire contre les groupes terroristes et séparatistes. Lire l'analyse complète ici [24] en français.

[25]

Sur Twitter, un individu autoproclamé ancien soldat malien a accusé l'armée française, avec images graphiques à l'appui, d'avoir tué des civils et de les avoir enterrés dans des fosses communes avant de quitter leur camp à Gossi. Plus d'une centaine de personnes ont commenté le tweet, beaucoup accusant le « Groupe Wagner » de mercenaires russes d'avoir organisé le massacre. Depuis, le compte a été supprimé. Ce point a été classé -3, le score le plus bas de l'Observatoire pour la diffusion d'une désinformation à fort enjeu auprès d'un large public. Analyse complète ici [26].

Le Groupe Wagner [27] [fr] est, selon différentes définitions, un groupe privé russe non reconnu de mercenaires, d'agents de sécurité privés ou de paramilitaires liés aux autorités russes, ayant acquis une notoriété internationale en Ukraine en 2014. En Afrique, leurs opérations impliquent la Libye [28] [fr], la République centrafricaine [29]et le Mali, où ses soldats entraîneraient [30] l'armée malienne et répandraient ainsi l'influence de la Russie dans la région. Le groupe Wagner aurait été impliqué dans de nombreuses atteintes aux droits humains, notamment le récent massacre de Moura [31], un village du centre du Mali. L'influence croissante de la Russie dans la région a contribué à détériorer davantage les relations de la France avec le Mali.

Au lendemain du tristement célèbre tweet accusant la France du massacre de Gossi, les militaires français ont répondu en partageant des images de surveillance de la base de Gossi. Un journaliste de France24 a partagé les images qui montreraient des mercenaires russes en train d'enterrer des corps. Le sous-entendu est que les hommes de Wagner avaient tué des gens – probablement des civils – et essayaient d'en faire porter la responsabilité à l'armée française. La plupart des commentateurs affirment que la France a diffusé de fausses images. Voir l'analyse complète ici [32]. [32]

Dans ce contexte de récits contradictoires, certaines voix dissidentes critiquent la junte militaire malienne. En particulier, les chefs religieux populaires ont une grande responsabilité pour peser sur l'opinion publique. 

En mars 2022, l'imam Mahmoud Dicko [33] a sévèrement critiqué la junte – sans la nommer – déclarant qu'il avait «décidé de sortir de son silence, car le pays est dirigé par des traîtres et des gens malhonnêtes». L'imam Dicko avait, par le passé, pesé contre des régimes démocratiques tombés par la suite.

La vidéo de l'imam Dicko a été partagée par Diawoye Diaby, un Malien qui publie des vidéos et des informations provenant d'autres médias. Il a recueilli plus d'un million de vues et plus de 4000 commentaires. Dans notre tableau de bord, ce point est classé +1 car il contribue à améliorer la liberté d'expression et les espaces de débat. Lire l'analyse complète ici [34].