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La police indienne utilise de vieux tweets pour mettre aux arrêts un journaliste musulman connu pour avoir démystifié les fausses nouvelles

Catégories: Asie du Sud, Inde, Droit, Droits humains, Médias citoyens, Advox
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Logo de quelques plateformes/portails indiens d'information en ligne. Capture d'écran d'une vidéo YouTube de Global Boundary [2]. Utilisation équitable.

Le 27 juin, le journaliste indien et co-fondateur du site de vérification des faits AltNews [3], Mohammed Zubair, a été arrêté par la police indienne pour un tweet qu'il avait publié en 2018. Il a été accusé d'avoir insulté les croyances religieuses hindoues sur Twitter par le compte aujourd’hui disparu [4] @balajikijaiin. Selon la police [5], le tweet comportait une image d'un hôtel avec son enseigne « Honeymoon Hotel » repeinte en « Hanuman Hotel ». Hanuman [6] [fr] est la divinité hindoue vénérée pour le courage, la dévotion, la force et la sagesse, et elle est aussi le divin compagnon du dieu Rama  [7][fr].

M. Zubair est resté [8]en garde à vue pendant quatre jours pendant que les autorités cherchaient à accéder à ses appareils électroniques, notamment son ordinateur et son téléphone portable, dans le cadre de l'enquête en cours. Il a été arrêté en vertu des articles 153A et 295A du Code pénal indien [9], qui traitent respectivement de la promotion de l'inimitié et de la réalisation d'actes délibérés et malveillants destinés à blesser les sensibilités religieuses. Le 2 juillet, il s'est vu officiellement refuser la libération sous caution [10] et a été envoyé en garde à vue pendant 14 jours .

Plus tôt en juin, Zubair avait critiqué Nupur Sharma, le porte-parole national du parti au pouvoir Bharatiya Janata (BJP), dont le Premier ministre Narendra Modi est le chef. Sharma avait fait des commentaires désobligeants [11] sur le prophète de l'Islam Mahomet, entraînant une querelle diplomatique entre l'Inde et 15 nations à majorité musulmane [12]. Les commentaires de Sharma ont été qualifiés d'« islamophobes », ce qui a entraîné sa suspension du parti.

La journaliste Rana Ayyub a souligné qu'il y avait eu une campagne en ligne [13] soutenue pour faire arrêter Zubair :

Chronique de la campagne en ligne pour emprisonner Mohammed Zubair
L'arrestation du cofondateur d'Alt News pour un tweet de 2018 faisant référence à un trope cinématographique est l'aboutissement d'une campagne soutenue contre lui. Excellent article de @newslaundry [14] https://t.co/ywwZzbIbYY [15]

— Rana Ayyub (@RanaAyyub) 30 juin 2022 [16]

Zubair tweete souvent des vidéos mettant en lumière la montée de l'extrémisme hindou en Inde et la restriction des droits des 200 millions de musulmans du pays.

Les efforts de Zubair pour mettre en lumière les cas croissants de commentaires islamophobes [17] par des groupes de droite en Inde ont été cruciaux pour susciter la censure internationale.

De l'arrestation d'activistes à la censure et à l'emprisonnement d'humoristes pour leurs commentaires politiques, le gouvernement indien de droite a été accusé [19] d'utiliser les lois de l'époque coloniale pour réprimer les critiques de la société civile.

L'Inde s'est classée 150e [20] [fr] dans l'Indice mondial de la liberté de la presse 2022, publié par Reporters sans frontières (RSF) ; ce qui suscite des inquiétudes quant à la sécurité des journalistes et au rôle des médias en tant que quatrième pilier de la quatrième plus grande démocratie du monde.

Condamnation généralisée

Pendant ce temps, des militants, des politiciens et des journalistes ont condamné l'arrestation de Zubair, exigeant sa libération immédiate.

DIGIPUB News India Foundation, une coalition d'organisations de médias numériques, a publié la déclaration suivante :

Digipub condamne avec la plus grande fermeté l'arrestation de Mohammed Zubair, co-fondateur d'Alt News. pic.twitter.com/POYEaGIdAI [21]

— DIGIPUB News India Foundation (@DigipubIndia) 27 juin 2022 [22]

Steven Butler, coordonnateur du programme Asie du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), a ajouté [23] :

L'arrestation du journaliste Mohammad Zubair marque un nouveau coup bas pour la liberté de la presse en Inde, où le gouvernement a créé un environnement hostile et peu sûr pour les membres de la presse qui traitent de questions sectaires. Les autorités doivent libérer Zubair immédiatement et sans condition, et lui permettre de poursuivre son travail journalistique sans autre interférence.

Rahul Gandhi, leader du Congrès national indien (INC), à l'opposition a tweeté :

Toute personne exposant la haine, la bigoterie et les mensonges du BJP est une menace pour eux.

Taire une voix de la vérité ne fera qu'en susciter des milliers d'autres.

La vérité triomphe TOUJOURS de la tyrannie. #DaroMat [24] pic.twitter.com/hIUuxfvq6s [25]

— Rahul Gandhi (@RahulGandhi) 27 juin 2022 [26]

Cependant, Zubair n'est pas le premier militant à être arrêté ces derniers temps. Le 25 juin, deux jours avant son arrestation, des policiers du Gujarat ont enlevé la militante [27] Teesta Setalvad de sa résidence dans la capitale financière de l'Inde, Mumbai. Mme Setalvad est connue pour son activisme autour des émeutes du Gujarat de 2002 [28] qui ont causé la mort plus de 1 000 personnes, pour la plupart des musulmans dans des affrontements communautaires.

L'organisation de défense des droits humains Forum Asia a condamné son arrestation :

Le @forum_asia [29] condamne l'arrestation du défenseur des droits de l'homme @TeestaSetalvad [30] par l'ATS du Gujarat. Ce n'est pas la première fois qu'une tentative élaborée est faite pour la traquer. Nous soutenons Teesta et demandons sa libération immédiate. #FreeTeestaSetalvad [31] https://t.co/93kQjWENSx [32]

— FORUM-ASIA (@forum_asia) 1er juillet 2022 [33]

Selon des informations qui circulent, le Gouvernement indien a également cherché à bloquer [34] les tweets du groupe de défense américain Freedom House, de la journaliste Rana Ayyub, de responsables du Gouvernement pakistanais et de groupes politiques del'opposition comme le parti Aam Aadmi et l'INC. Ce document a été partagé par Lumen Database. 

La commentatrice politique Sagarika Ghose a écrit  [35]dans un article d'opinion sur NDTV.com :

Utiliser le pouvoir de la police pour condamner des militants et des dissidents ne garantit pas « la loi et l'ordre », ça le détruit en réalité. Les politiciens doivent réaliser la valeur des militants des droits humains comme Teesta Setalvad. Ces militants font appel à la justice et à la compassion du système par des moyens démocratiques légaux. En tant que tels, ils apportent à la démocratie indienne une légitimité et une crédibilité importantes, tant sur le plan intérieur qu'aux yeux du monde.

Pourtant, le jour de l'arrestation de Zubair, le Premier ministre Narendra Modi a assisté au sommet du G7 [36] et s'est engagé à défendre les principes de liberté d'expression, de débat public ouvert et de liberté d’information.

Un éditorial de The Hindu a qualifié [37] les évènements de « théâtre de l'absurde » :

Il est regrettable que le Gouvernement veuille être considéré comme protecteur de la liberté d'expression et des valeurs démocratiques à l'étranger, mais ne se soucie pas de l'opprobre que la traque ou la répression des militants et des journalistes provoque. Au lieu de perpétuer cette parodie de justice, le Gouvernement devrait entendre raison, abandonner cette affaire malveillante et libérer le journaliste.

Le journaliste Umang Poddar a résumé [38]ainsi la réalité de la situation :

Les avocats de Zubair […] ont fait valoir que les appareils numériques d'un journaliste contiennent de nombreuses informations sensibles et ne devraient pas être confisqués. Cependant, en Inde, les journalistes ne jouissent pas d'une liberté d'expression ou d'une vie privée plus élevée que les autres citoyens. Ils ne sont pas non plus protégés contre la divulgation de leurs sources.

Bien que l’article 15(2) [39] de la loi de 1978 sur le Conseil de la presse de l'Inde stipule qu'aucun journaliste ne peut être contraint de divulguer ses sources, cette protection ne s'applique qu'aux procédures devant le conseil.

Le 2 juillet 2022, une enquête du portail d'information The Wire a révélé [40] l'existence d’un réseau [41] de 757 comptes Twitter qui ont été utilisés pour monter des attaques contre AltNews. L'identifiant de messagerie de récupération pour le compte Twitter anonyme (@balajikijaiin) à l'origine de l'enquête initiale est « contact@vikashahir.in ». Il est lié à Vikash Ahir [42], Président de l'État de l'Hindu Yuva Vahini (HYV) et co-convocateur du Bharatiya Janata Yuva Morcha (BJYM) basé au Gujrat.