Himalaya : randonnée à la découverte des champignons

Image by Sarah Watson, via Nepali Times. Used with permission.

Photographie de Sarah Watson, publiée dans le Nepali Times. Reproduite avec autorisation.

Cet article, écrit par Sarah Watson, a initialement été publié dans le Nepali Times. Cette version éditée et abrégée est republiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Ang Jangmu Sherpa a ramassé des champignons pendant vingt-cinq ans dans les forêts avoisinant son refuge de montagne, dans le village de  Tengboche situé à 3 867 mètres d'altitude au Népal. Un seul champignon, connu localement sous le nom de « petak », est suffisant pour préparer un repas.

Bhesh Rag Dahal recueille et sèche des champignons pour l'hiver dans son restaurant à Tashingma. Comme les champignons se conservent bien, il possède toujours un stock qui n’a pas été consommé lorsque le tourisme s’est effondré pendant la pandémie. Il vend ses champignons sur le marché jusqu'à 10 000 NPR (roupie népalaise) le kilo (soit 78 dollars US). Il en donne aussi à sa famille et aux lamas (enseignants bouddhistes) de Tengboche ainsi qu'aux autres monastères de la région.

Bhesh Rag Dahal’s soup with dried mushrooms he collected. Photo by Thomas Roehl via Nepali Times. Used with permission.

Soupe cuisinée par Bhesh Rag Dahal avec les champignons qu'il a ramassés et séchés. Photographie de Thomas Roehl, publiée dans le Nepali Times. Reproduite avec autorisation.

Dans la région de Solukhumbu, au pied de  l'Everest, les champignons comestibles font partie intégrante de l'alimentation locale; toutefois, le rôle essentiel qu'ils jouent au sein de la biodiversité de l'Himalaya est souvent ignoré.

Récemment, un groupe de mycologues (scientifiques spécialisés dans l'étude des champignons) népalais et américains ont identifié des champignons lors d’une toute première randonnée écotouristique au camp de base de l’Everest.

L’expédition de trois semaines qui a débuté à la mi-juin de cette année a été organisée par International Mountain Trekking (IMT), et comprenait une équipe internationale du Népal, des États-Unis et du Mexique. Shiva Devkota, mycologue et botaniste népalais, et les mycologues américains, Britt Bunyard et Thomas Roehl, ont identifié plus de 150 espèces de champignons durant le périple.

A group of Nepali and American mycologists as well as citizen scientists pose for a picture. Photo by Alok Tuladhar via Nepali Times. Used with permission.

Un groupe de mycologues népalais et américains, accompagné de citoyens scientifiques, posent pour une photo. Photographie de Alok Tuladhar, publiée dans le Nepali Times. Reproduite avec autorisation.

Tous les ans, des milliers de randonneurs et alpinistes effectuent le voyage jusqu'aux deux camps de base de l'Everest mais peu d'entre eux s'intéressent aux centaines d'espèces de champignons qui poussent le long du chemin.

« J’avais toujours vu des champignons, mais j’étais toujours trop pressé », déclare Richard Silber, de l’IMT, qui espère que ces randonnées écotouristiques permettront de reconnaître la région de l’Everest pour sa biodiversité et les riches espèces de champignons au-delà de ses montagnes.

Richard Silber, Devkota et Sonam Jangbu Sherpa travaillent tous à IMT et ont ensemble mis en place la première randonnée écologique de ce type. En plus de mycologues, des citoyens scientifiques intéressés par les champignons ont aussi rejoint l'expédition encadrée par Phu Chiri Sherpa et Tenzing Tashi Sherpa, guides de montagne.

Image by Sarah Watson via Nepali Times. Used with permission.

Photographie de Sarah Watson, publiée dans le Nepali Times. Reproduite avec autorisation.

Selon Silber, « La biodiversité du Népal est incroyable, et plus particulièrement en raison du remarquable gradient d'altitude de la montagne : en peu de temps on passe de 1 829 mètres d'altitude au point culminant de la Terre. »

La variation d'altitude de Solukhumbu favorise la création de niches écologiques pour des centaines d'espèces d'arbres peu communes qui forment un environnement propice aux champignons dont le développement est étroitement lié à la végétation qui les entoure. Jusqu'à aujourd'hui, il n'existait aucun catalogue systématique des champignons natifs de la région.

Selon Devkota, détenteur d'un doctorat en mycologie, « Avant d'envisager des mesures de gestion et de conservation des champignons, nous devons tout d'abord étudier les espèces spécifiques à la région. J'ai compris qu'il y avait là une lacune à combler et une opportunité à saisir.»

A présent les scientifiques du monde entier sont fortement encouragés à répertorier tous ces précieux champignons avant qu'ils ne disparaissent à jamais. Selon Bunyard : « Ici la forêt grouille de vie, mais elle reste l'une des régions les plus méconnues au monde. Il n'existe aucun ouvrage sur ce sujet, c'est comme une sorte de boîte noire. »

Image by Sarah Watson via Nepali Times. Used with permission.

Photographie de Sarah Watson, publiée dans le Nepali Times. Reproduite avec autorisation.

Les champignons jouent un rôle essentiel dans la diversité des écosystèmes dont ils en sont partie intégrante.  Bunyard ajoute que : « Presque toutes les plantes vivent en symbiose avec les champignons. »

Les champignons forment sous terre de vastes réseaux avec différentes espèces végétales, recyclent les nutriments, assurent la survie des plantes, et augmentent l'apport en carbone et en  phosphore dans les sols.

Et selon Thomas Roehl : « Si vous détruisiez tous les champignons de la planète, alors tous les arbres mourraient. Les champignons sont tout simplement responsables de la vie sur terre. »

Il est possible pour les champignons de continuer à se développer au sein d'un environnement endommagé par des activités humaines ; et dans certains cas, ils contribuent même à l'apparition de nouvelles formes de vie. Ils jouent aussi le rôle d'indicateur de santé des écosystèmes. Par exemple, ils peuvent être utilisés pour déterminer les niveaux de pollution atmosphérique, car ils luttent pour survivre dans les zones à fortes émissions.

Les champignons du Mont Everest

Avant même d'arriver au Parc national de Sagarmatha, situé dans la partie est du Népal, l'expédition avait déjà identifié plus de 60 types de champignons, en particulier des espèces très rares.

Amanita tullosiana, a highly poisonous mushroom species identified by scientists during the trek. Photo by Thomas Roehl via Nepali Times. Used with permission.

Durant l'expédition, les scientifiques ont identifié l'Amanita tullosiana, une espèce de champignons très vénéneuse. Photographie de Thomas Roehl, publiée dans le Nepali Times. Reproduite avec autorisation.

Les membres de l'excursion ont identifié, entre autres, deux espèces de champignons répertoriées en 2019 : le Tremella salmonea, et le Amanita tullossiana, une nouvelle espèce qui fût découverte dans l'Himalaya indien.

Les chercheurs pensent avoir identifié le Amanita innatifibrilla, une espèce peu documentée dont l'aire de répartition est méconnue, mais qui a précédemment été répertoriée dans le sud de la Chine, et aussi le premier champignon à avoir été inventorié à 5 193 mètres d'altitude.

Les chercheurs ont travaillé en marchant, identifiant de nouveaux champignons et expliquant leurs découvertes aux citoyens scientifiques.

« Ce n’est pas comme dans n’importe quel établissement universitaire », a expliqué Silber pendant la randonnée, en décrivant la façon dont les mycologues travaillaient sur le terrain. « Ils sont attirés par les champignons comme un aimant. Ils s’en réjouissent. C’est inspirant, vraiment, c’est génial. »

En plus de compléter le catalogue des espèces de champignons du Népal, Silber espère que cette toute première randonnée à la découverte des champignons encouragera le développement de l'éco-tourisme, comme c'est le cas dans d'autres régions du pays où les touristes ont la possibilité d'observer les oiseaux, les crocodiles, ou les tigres. La biodiversité, la géologie, et la botanique du Mont Everest pourraient offrir hors saison des expériences touristiques similaires.

Image by Sarah Watson via Nepali Times. Used with permission.

Photographie de Sarah Watson, publiée dans le Nepali Times. Reproduite avec autorisation.

Bhumiraj Upadhyaya, délégué à l'exploitation, travaille au Parc national de Sagarmatha depuis plus de 30 ans mais cette excursion spécialisée dans la découverte de champignons est une première pour lui : « Presque tous les touristes viennent ici pour admirer les montagnes alors que la région peut offrir tellement plus. » Il explique qu'il y a encore beaucoup de travail à faire en matière de recherche sur le léopard des neiges, le cerf porte-musc et sur la pollution à proximité des  lacs Gokyo.

Leccinum aurantiacum, a very popular and edible species of mushroom found in Nepal. Photo by Thomas Roehl via Nepali Times. Used with permission.

Leccinum aurantiacum : champignon comestible très populaire et natif du Népal. Photographie de Thomas Roehl, publiée dans le Nepali Times. Reproduite avec autorisation

Toutefois, la recherche scientifique dans la région est limitée en raison de vols irréguliers, de coûts élevés et du mauvais état des routes. Les chercheurs sont plus susceptibles de se rendre dans les régions de Annapurna ou de Chitwan qui sont beaucoup plus accessibles.

La population locale cultive ses propres champignons ou bien, dans la majorité des cas, les ramasse dans les forêts avoisinantes.  Les champignons peuvent ensuite être séchés, stockés et réhydratés ultérieurement lors de la haute saison touristique, au printemps et à l'automne.

Une analyse scientifique plus poussée des champignons de la région pourrait bénéficier à ceux qui dépendent de ce type d'aliments pour se nourrir.  Selon Jangbu Sherpa : « Peut-être qu'à l'avenir nous en saurons plus sur les champignons comestibles. Ils sont ramassés et séchés pour les mois d'hiver durant lesquels les légumes se font rares. »

Une autre expédition pour les passionnés de champignons est déjà prévue pour 2023, et Silber espère que la recherche scientifique au sein de la région de Solukhumbu deviendra une réalité à laquelle la communauté locale pourra participer : « Il est bien sûr très difficile de faire de la recherche dans des régions éloignées comme celle-ci. Venir jusqu'ici et se consacrer à ce genre de travail demande beaucoup de volonté.»

Oyster mushrooms growing in a farmhouse. Photo by Thomas Roehl via Nepali Times. Used with permission.

Exemple de pleurotes cultivés dans une ferme. Photographie de Thomas Roehl, publiée dans le Nepali Times. Reproduite avec autorisation.

S'agissant des projets futurs et de la recherche, IMT espère travailler avec les populations locales, et notamment construire un centre scientifique à Phortse, dans une maison que la compagnie a reçue en donation. L'objectif principal de la recherche est de faire profiter les communautés locales de nouvelles découvertes et connaissances.

Selon Silber : « L'histoire retient que les scientifiques occidentaux viennent ici, font ce qu'ils ont à faire, puis repartent. Former les populations locales ou travailler avec elles ne fait pas partie de leur protocole de recherche ; et les communautés passent à côté d'une occasion en or. »

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.