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Un tribunal azerbaïdjanais néglige un crime de haine contre un militant LGBTQ+

Catégories: Azerbaïdjan, Droit, Droits humains, LGBTQI+, Médias citoyens

« Justice à Avaz » peut-on lire sur la pancarte. Image par Meydan TV, capture d'écran d'un reportage vidéo [1].

Cinq mois après l'assassinat [2]du journaliste et militant des droits des homosexuels Avaz Hafizli le 22 février, l'auteur du crime, Amrulla Gulaliyev, a finalement été condamné le 29 juillet à neuf ans et six mois derrière les barreaux. Cependant, les amis de Hafizli et les membres de la communauté LGBTQ+ ne sont pas satisfaits du jugement, car ils estiment que le tribunal a négligé la nature particulièrement horrible et violente du meurtre lors de la détermination de la peine.

La sentence a omis toute mention d'un crime haineux et a négligé la cruauté ciblée de l'auteur du crime, y compris l'abus du corps après avoir commis le crime, la décapitation d'Hafizli et la mutilation génitale, a écrit [3] l'initiative féministe Femkulis dans un post public sur Facebook.

À la suite de la mort du journaliste en février, des militants ont critiqué l'inaction de longue date des autorités azerbaïdjanaises face aux crimes haineux, en particulier ceux qui visent les groupes marginalisés. Au cours du procès pour meurtre, Gulaliyev a confirmé [4] qu'il avait tué Hafizli en raison de son orientation sexuelle.

À la suite de la décision du tribunal, les amis de Hafizli et les membres de la communauté LGBTQ+ ont partagé leurs inquiétudes sur Twitter. Ils affirment que l'enquête et le procès étaient partiaux :

Le 18 juillet, lors de l'audience, le procureur de la République a requis une peine de dix ans et six mois sur la base de l'article 120.1 du code pénal. Cela signifie que l'enquête est terminée. L'enquête sur un crime de haine fondé sur l'orientation sexuelle de [Hafizli] et la procédure judiciaire étaient également biaisées.

— ☭ Vahid ☭ (@rafaeloghlu) 29 juillet 2022 [7]

Ils continuent également à tenir les institutions gouvernementales concernées pour responsables du meurtre du journaliste.

Notant qu'Afaz Hafizli a demandé de l'aide aux services de sécurité de l'État à de nombreuses reprises. Cependant, aucune de ses plaintes n'a été prise en compte.

— Femkulis (@femkulis) 25 juillet 2022 [8]

Dans un long message sur Twitter, le militant LGBTQ+ Vahid Aliyev a expliqué [9] les divergences dans l'affaire et la procédure régulière de l'enquête. « Dans sa déclaration, [Amrulla Gulaliyev] a dit avoir planifié le meurtre il y a trois mois. Cependant, lors de l'audience, il a déclaré que lui et Hafizli avaient eu un désaccord [et qu'il avait commis le meurtre après leur désaccord]. La mère de Hafizli a déclaré que son fils avait été assassiné pendant son sommeil », a écrit M. Rafaeloglu. Les preuves supplémentaires – le meurtre avec préméditation, la décapitation et les mutilations génitales – n'ont pas été prises en compte lors de l'audience finale du 29 juillet. En conséquence, Amrulla Gulaliyev a reçu la peine la plus faible possible.

Récits anti-LGBTQ+ parrainés par l'État

Dans une interview accordée à Global Voices, Ali Malikov, un militant et membre du mouvement LGBTQ+ qui a suivi l'affaire de près, a déclaré que lui et d'autres militants n'ont pas été autorisés à entrer dans la salle d'audience lors des deux premières audiences, alors que le procès était ouvert au public. Ce n'est qu'après que les militants se soient plaints publiquement qu'ils ont été autorisés à entrer dans la salle d'audience. Mais même là, ils ont été confrontés à de nouveaux obstacles, a expliqué Malikov. « Normalement, l'audience commençait plus tard que l'heure prévue, mais après notre plainte, ils commençaient juste à l'heure, et fermaient les portes aux personnes extérieures. Donc si vous aviez quelques minutes de retard, ce qui m'est arrivé lors de la troisième audience, vous n'étiez pas autorisé à entrer », se souvient Malikov.

Selon Malikov, la mort d'Hafizli n'est pas un cas isolé, mais l'un des exemples les plus récents de crimes haineux commis en Azerbaïdjan contre des personnes LGBTQ+. Il a ajouté que cette situation était le résultat d'un discours anti-LGBTQ omniprésent et a énuméré  plusieurs cas bien connus [10] de femmes transgenres assassinées [11]ces dernières années, dont aucun n'a fait l'objet d'une enquête approfondie [12].

En plus des cas de violence, il y a aussi la persécution de la communauté LGBTQ+. En 2017 [13], au moins 83 personnes ont été détenues par la police parce qu'elles étaient homosexuelles ou transsexuelles. Les détenus ont déclaré [14] avoir été torturés et soumis à un chantage. La même année, au moins quatre citoyens azerbaïdjanais s'identifiant comme LGBTQ+ se sont suicidés. [15]

En 2018, le journal israélien Haaretz a rapporté [16] que le gouvernement azerbaïdjanais utilisait les équipements et logiciels de surveillance de la société israélienne Verint Systems pour identifier l'orientation sexuelle des citoyens via Facebook.

Plus d'une douzaine de personnes LGBTQ+ ont été arrêtées en 2019, dont la plupart étaient des travailleurs du sexe transgenres qui ont été sollicités puis arrêtés, selon des reportages de Meydan TV [17] et de Minority Magazine [18].

En mars 2021, Minority Magazine  a fait [19] état d'un nouveau mouvement se faisant appeler « Pure Blood », qui se mobilisait via Telegram pour cibler [20] les personnes LGBTQ+ en Azerbaïdjan.

Puis, au cours de l'été 2021, pendant le mois de la PRIDE, Minority Magazine a recensé [21] de nouvelles attaques contre les personnes LGBTQ+.

Pour la plupart des personnes confrontées à la discrimination et à la violence, les possibilités de se tourner vers la police ou d'autres voies officielles pour obtenir réparation sont rares. Par exemple, en novembre de l'année dernière, une femme transgenre et son partenaire ont été attaqués [22] dans une rue de la capitale, Bakou. Connaissant les mauvais antécédents de la police avec les citoyens homosexuels, ils ont décidé de ne pas déposer de plainte officielle, craignant des représailles et d'éventuelles violations de la vie privée.

L'exemple le plus flagrant de la réticence de l'État à aider la communauté homosexuelle est celui de la blogueuse Sevinc Huseynova [10] qui a lancé des appels ouverts à la violence contre la communauté LGBTQ+ sur les plateformes de réseaux sociaux. Elle n'a jamais été réprimandée pour ses actions, alors qu'il est largement prouvé qu'elle encourage les gens à commettre des crimes violents. Dans l'une de ses vidéos, Huseynova demandait aux forces de l'ordre locales de fermer les yeux sur les cas de crimes haineux. « Un seul signe est suffisant pour nous, dites-le-nous, et nous, le peuple, les repousserons lentement », a déclaré la blogueuse. Dans une autre video [23], elle appelait les hommes azerbaïdjanais à détruire les femmes trans. À l'époque, le ministère de l'Intérieur a déclaré qu'il était au courant de ces vidéos et qu'il enquêtait. Mais aucune mesure n'a été prise.

Huseynova n'est toutefois pas un exemple isolé. Le discours anti-LGBTQ+ en Azerbaïdjan est omniprésent [24]parmi les politiciens, les célébrités et les personnalités publiques; et selon Malikov, des discours similaires sont également courants parmi les membres de l'opposition en Azerbaïdjan.

Ils parlent de la violence policière ou de la loi, mais ils ne comprennent pas que tant que les LGBTQ+ ne seront pas libres, personne ne le sera non plus. Et ce qui est encore plus inquiétant, c'est que Hafizli venait de l'opposition. Chaque fois qu'ils avaient des problèmes, il était toujours là, couvrant la question. Mais aucun d'entre eux ne s'est montré lors du procès d'Hafizli, pas même ses collègues avec qui il travaillait.

Ce qui doit être changé

Parmi la longue liste de recommandations, Malikov a déclaré que les crimes de haine doivent cesser, et que les droits de la communauté LGBTQ+ doivent être respectés. « Nous avons le droit de nous mobiliser. Nous ne devrions pas demander la permission pour cela, il est donc important que toutes les barrières soient levées », a déclaré Malikov.

Il est également nécessaire de rendre les lois plus inclusives.

Actuellement, la législation existante en Azerbaïdjan ne traite pas des crimes de haine fondés sur l'identité de genre ou l'orientation sexuelle. Selon le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE, l'Azerbaïdjan n'a pas communiqué  [25] d'informations et de statistiques sur les crimes haineux au BIDDH depuis 2011. Selon [26] un rapport de l'Institut danois des droits de l'homme, l'Azerbaïdjan ne dispose pas de politiques nationales traitant des droits des LGBTQ+. Il n'existe pas non plus d'institutions spécifiques luttant contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre :

L'article 109 du Code pénal prévoit des sanctions pénales pour la persécution de groupes ou d'organisations pour des raisons politiques, raciales, nationales, ethniques, culturelles, religieuses, de sexe ou autres, interdites par les normes juridiques internationales. La persécution est comprise comme un « crime contre l'humanité » en termes, par exemple, de torture et de privation de liberté contre les normes internationales. Le crime de haine en soi ne constitue pas une persécution au sens de cette disposition. 37. Il n'existe pas d'autres dispositions du Code pénal relatives aux crimes de haine contre les personnes LGBT.

Sans ces normes fondamentales, le travail et les activités des militants LGBTQ+ sont limités dans leur portée et leur impact, compte tenu du contexte politique et social.

Si Malikov estime que la communauté s'exprime davantage dans un contexte de harcèlement et de campagnes de haine contre la communauté queer en Azerbaïdjan, la situation reste difficile. « Jusqu'à présent, nous n'organisions que de petits rassemblements fermés, maintenant nous pouvons réagir aux crimes et élever la voix », explique Malikov, ajoutant : « Nous nous engageons dans des conversations politiques en tant que mouvement, mais j'ai bon espoir que ces temps difficiles passeront. En tant que LGBTQ+, nous avons besoin d'être entendus. Et beaucoup reste à faire. »