- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

YouTube temporairement bloqué lors du rassemblement politique de l'ancien Premier ministre au Pakistan

Catégories: Asie du Sud, Pakistan, Censure, Élections, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique, Advox

Une photo publique [1] de la page Facebook de Pakistan Tehreek e Insaf.

Dans la soirée du dimanche 21 août 2022, au Pakistan, les utilisateurs de YouTube ont signalé des perturbations du service dans tout le pays [2]. Ce soir-là, le rassemblement politique d’Imran Khan à Rawalpindi, dans le Pendjab, devait être retransmis en direct sur la plateforme. Ancien Premier ministre et président du parti Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), Imran Khan a été démis de ses fonctions en début d’année par une motion de censure votée au Parlement et orchestrée par le parti d’opposition Alliance démocratique pakistanaise. Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, la popularité de Khan s’est accrue grâce à son discours anticorruption, ainsi qu’à son opposition à la guerre contre le terrorisme [3] menée par les États-Unis et ses positions apparemment antiaméricaines. Ses partisans, en grande partie anti-establishment, ont ouvertement condamné le gouvernement en place après son éviction.

Le PTI a pris le pouvoir lors des élections de 2013 dans la province de Khyber Pakhtunkhawa (KP), puis y a été réélu avec une majorité en 2018, ce qui a permis à Imran Khan de devenir Premier ministre. Durant les décennies qui avaient précédé, le Pakistan avait été gouverné en alternance par les militaires et les deux principaux partis politiques, le Parti du peuple pakistanais (PPP) et la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N). Ainsi, pour la première fois dans l’histoire du Pakistan, un parti politique non fondé sur une dynastie familiale accédait au pouvoir.

Le soir du rassemblement, NetBlocks, un observateur en ligne travaillant à l’intersection des droits numériques, de la cybersécurité et de la gouvernance de l’Internet, confirmait [4] le blocage :

⚠️ Confirmé : Les mesures corroborent les rapports faisant état d'une perturbation de YouTube au Pakistan sur plusieurs fournisseurs d'accès à Internet ; l'incident survient alors que l'ancien Premier ministre Imran Khan diffuse des émissions en direct sur la plateforme malgré l'interdiction de l'autorité de régulation des médias PEMRA

📰 Rapport: https://t.co/mFBehYjlnY [5] pic.twitter.com/CtD8vYX8f6 [6]

— NetBlocks (@netblocks)21 août 2022 [7]

Le 22 août, Netblocks nous informait à nouveau des problèmes d’accès à Internet dont était victime le Pakistan pour la deuxième fois en 24 heures :

Ce n’est pas la première fois qu’Internet, ou une plateforme spécifique est mis hors service au Pakistan. En avril de cette année, Internet avait déjà été coupé [11] dans tout le pays lorsque Imran Khan avait tenu un rassemblement politique après son éviction du pouvoir. Pendant le mois de Mouharram, au cours duquel un grand nombre de processions ont traditionnellement lieu à travers tout le pays, Internet et les services mobiles [12] ont aussi été bloqués pour des raisons sécuritaires. En 2012 enfin, YouTube avait été interdit au Pakistan après la mise en ligne d’un film dont le contenu était considéré comme blasphématoire, mais l’interdiction avait été levée trois ans plus tard [13], après que YouTube eut été placé sous juridiction locale, permettant aux autorités de retirer du contenu de la plateforme à leur gré.

Dès que les gens ont constaté qu’ils ne pouvaient pas accéder en direct au rassemblement du PTI le 21 août, ils s’en sont plaints sur les réseaux sociaux.

Usama Khilji, militant des droits numériques, a également condamné cette situation :

Les hashtags #UseVPN [21] et #YouTubeDOWN ont fait le tour des réseaux sociaux lorsque les gens n’ont pas pu regarder le rassemblement en direct.

Pour Erum Zaeem, journaliste, il s’agit là de la pire forme de censure :

Après le rassemblement, Imran Khan a vivement critiqué le gouvernement pour avoir temporairement interrompu YouTube et bloqué l’accès à son discours :

Ces perturbations ont eu lieu juste après que l’Autorité pakistanaise de régulation des médias électroniques (PEMRA [41]) a interdit la diffusion des discours en direct de M. Khan [42] sur toutes les chaînes de télévision par satellite. La veille du rassemblement, Imran Khan avait menacé le PTI de porter plainte contre les dirigeants des partis rivaux, l’Inspecteur général de la police d’Islamabad et le Juge de district et de session supplémentaire, Zeba Chaudhry. Après l’interdiction, le PTI avait invité ses partisans à regarder le discours d'Imran Khan sur YouTube :

L’interdiction de la PEMRA a été vivement critiquée, notamment par l’activiste Usama Khilji sur Twitter :

En 2015, les discours et les photos [59] du chef du Muttahida Qaumi Movement (MQM), Altaf Hussain, avaient déjà été interdits par la Haute Cour de Lahore pour ses propos « anti-armée ». En 2020, la PEMRA avait également interdit les discours incendiaires [60] de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif à Londres contre le gouvernement PTI, le pouvoir judiciaire et l’armée. C’est la première fois en revanche que le discours d'Imran Khan est interdit à la télévision et bloqué sur YouTube.

Il s’agit d'une violation flagrante de la liberté d’expression et du droit à l’information en vertu des articles 19 et 19(a) de la Constitution pakistanaise ; mais, au fil des ans, la situation s’est détériorée et les gens ne peuvent plus s'exprimer sans craindre de subir des sanctions.