Comment résoudre le dilemme du « travail non rémunéré » des organisations à but non lucratif ?

Illustration de Galina Hasanova, utilisée avec autorisation

Les stages sont une tendance de plus en plus populaire dans la culture du travail d'aujourd'hui, en particulier dans le secteur non lucratif. Ils offrent une formation en cours d'emploi, une expérience pratique et un tremplin pour les personnes qui aspirent à devenir des leaders et des artisans du changement dans le monde associatif. Pourtant, nous devons nous demander : « Quel est le message véhiculé par les organisations sans but lucratif qui insistent pour ne prendre que des stagiaires qui peuvent travailler gratuitement ? »

Malgré les progrès significatifs réalisés ces dernières années, comme le fait que la Maison-Blanche offre désormais aux stagiaires une allocation hebdomadaire de 750 USD, les recherches montrent que 43 %[en] des stages ne sont toujours pas rémunérés. Le Center For Research on College-Workforce Transition estime en outre que les États-Unis comptent environ 3,2 millions de stagiaires[en], et qu'environ un million de stagiaires ne sont pas rémunérés chaque année. Avec l'augmentation du coût des études, les étudiants ont plus que jamais besoin d'emplois rémunérateurs pour les aider à financer leurs études. Pourtant, aux États-Unis, les organisations à but non lucratif permettent à ces étudiants criblés de dettes de travailler gratuitement. Existe-t-il une solution pour les organisations à but non lucratif qui perpétuent cette pratique insoutenable ?

La COVID-19 et ses suites ont eu un effet meurtrier sur le marché de l'emploi non lucratif pour les jeunes diplômés. En 2020, 26 %[en] des étudiants de dernière année ont perdu leur stage, et seulement 28,6 % ont pu trouver un emploi directement après l'obtention de leur diplôme. La qualité des stages a considérablement baissé, et les expériences des stagiaires dans des environnements éloignés ont été, au mieux, médiocres. Par exemple, de nombreux étudiants comptant sur les stages pour se constituer un réseau[en] ont perdu l'occasion de rencontrer des collègues dans le couloir ou à la fontaine d'eau[en], le bureau professionnel étant remplacé par le bureau à domicile.

Les stages à distance ont également empêché « l'apprentissage par la vue »[en] et se sont transformés en emplois subalternes axés sur les tâches ; ce qui a encore réduit les possibilités d'apprentissage enrichissant. Cependant, les stagiaires ne sont pas les seuls à rater des opportunités. Sofia Garcia Garcia, spécialiste du développement mondial et responsable des partenariats stratégiques et de l'engagement externe chez SOS Villages d'Enfants International, explique : « Les organisations perdent également du capital social, car les stagiaires apportent des points de vue différents, des expériences vécues et des connaissances qui enrichiraient véritablement l'ensemble de l'opération et du personnel. »

Dans ce contexte financier difficile, de nombreuses organisations à but non lucratif ont recours à des stages non rémunérés pour renforcer leur capacité organisationnelle, une pratique empruntée au secteur à but lucratif. Bien que ces organisations aient des objectifs élevés, elles créent également les politiques les plus absurdes qui découragent les jeunes marginalisés de poursuivre des carrières dans le développement international, perpétuant ainsi les mêmes problèmes qu'elles prétendent combattre.

Par exemple, Maria Hinojosa, première journaliste latino aux États-Unis et lauréate du prix Pulitzer, a également avoué dans ses mémoires intitulées Once I was You[en] que, pendant ses études, elle devait être serveuse pour payer ses frais de subsistance, ce qui rendait difficile l'obtention de stages, car elle avait besoin de vacations pour payer son loyer. « J'étais là, à la fin de l'université, et je n'avais pas fait un seul stage. […] La vérité était que je n'avais pas les moyens de faire un stage non rémunéré et j'avais trop honte pour le révéler. »

Un moyen d'oppression systémique

En raison de l'oppression systémique et des ressources limitées, de nombreuses personnes issues de milieux traditionnellement marginalisés ont du mal à faire progresser leur éducation et leur carrière.

Intrinsèquement, les postes de formation non rémunérés désavantagent les étudiants à faible revenu, quelle que soit la qualité de leur conception. Les femmes supportent près des deux tiers[en] de la dette nationale des prêts étudiants et les diplômés noirs doivent, en moyenne, 7 400[en] dollars de plus que les diplômés blancs. Selon le ministère américain du Travail, le complexe industriel américain à but non lucratif n'est pas légalement tenu[en] d'offrir des stages rémunérés. Mais le fait de rebaptiser le « travail bénévole » en « stages » est plutôt un moyen pour les organisations à but non lucratif d'attirer plus d'étudiants pour un travail non rémunéré en échange du prestige sur leur CV.

L'écart de rémunération entre les sexes est encore exacerbé par la discrimination raciale. L'accès aux stages est limité pour les Noirs, les indigènes et les personnes de couleur (BIPOC). Selon une étude de Zippia[en], en 2019, plus de 58 % des stagiaires étaient blancs, 17,7 % étaient hispaniques, ou latinos, et 10,4 % étaient noirs ou Afro-Américains. Comme les populations blanches ont des taux de pauvreté plus faibles que les minorités, elles peuvent souvent se permettre de participer à des stages non rémunérés uniquement pour des avantages professionnels, un privilège rarement accordé aux populations BIPOC.

Par conséquent, lorsque les stages ne sont pas rémunérés, la constitution d'un capital social devient particulièrement difficile pour les étudiants qui ne font pas partie de la culture dominante – les étudiants à faibles revenus. La stabilité financière est la base nécessaire à la construction du capital social. Par conséquent, les populations qui ont été historiquement défavorisées sur le plan économique ont également des possibilités limitées d'acquérir du capital social, ce qui entrave la mobilité sociale et financière. Avec ces allocations inégales de capital économique et social, les stages non rémunérés exacerbent les problèmes d'injustice envers les étudiants à faibles revenus et ne parviennent pas à diversifier la main-d'œuvre américaine.

Une épine pour les jeunes professionnels

Sur un marché du travail compétitif, les stages sont indispensables au développement de la carrière des jeunes professionnels. Cependant, si les étudiants issus de foyers à faibles revenus acceptent un stage non rémunéré, ils sont rapidement confrontés à d'autres défis, notamment celui de savoir où se loger[en] car ils ne peuvent pas payer les loyers qui montent en flèche dans les grandes villes telles que New York, Washington D.C. et Los Angeles, où se trouvent de nombreuses multinationales à but non lucratif et organisations de développement.

Selon certaines estimations, les étudiants ont besoin d'environ 6 200 dollars par période de 10 semaines[en] pour couvrir le logement, la nourriture, le transport et d'autres besoins humains fondamentaux. Par conséquent, les stagiaires non rémunérés sont contraints d'équilibrer leurs besoins physiologiques et de sécurité tout en investissant d'innombrables heures dans le développement de leurs compétences professionnelles et de leur éthique de travail. Bien que cela ne soit pas impossible, le poids psychologique du « mode survie » aggrave les difficultés rencontrées par les communautés déjà marginalisées qui entrent sur le marché du travail.

Ayna Meredova, coach en intelligence tenant compte des traumatismes et fondatrice du Groove Culture Collective, l'explique ainsi : « Si nous examinons cette dynamique à travers le prisme du traumatisme générationnel et culturel, qui inclut des constructions sociétales telles que le racisme, la pauvreté et le sexisme, alors ce qui est clair, c'est que les stages non rémunérés perpétuent un cycle de pénurie, de surmenage et de mécanismes de survie dans les communautés qui sont marginalisées et défavorisées. »

Une enquête menée par l'Institute of Student Employers (ISE) et Handshake[en] a révélé que 47 % des organisations qui emploient des étudiants et des diplômés ont l'intention d'augmenter le nombre d'embauches au cours des 12 prochains mois. L'accès aux stages signifie l'accès aux emplois, c'est pourquoi l'obtention d'un stage adéquat et abordable a un effet considérable sur la future carrière d'un étudiant.

Jenn Pamela Chowdhury[en], écrivaine, conférencière et coach pour les jeunes BIPOC, le dit si bien : « Si les organisations à but non lucratif recherchent les meilleurs talents, elles doivent les payer de manière équitable et juste. Ne supposez jamais que les nouveaux talents (en particulier les jeunes BIPOC) ont les moyens d'accepter un travail non rémunéré tout en s'occupant de leurs besoins fondamentaux. »

Comment pouvons-nous résoudre le problème ?

Les récentes hausses de prix[en], associées au taux d’inflation[en] élevé aux États-Unis (US), ont eu un impact sur la capacité des organisations non gouvernementales à investir dans la croissance interne, car elles fonctionnent déjà avec des marges de (non-)profit très faibles[en]. Face aux défis financiers auxquels sont confrontés les organismes sans but lucratif, de nombreux départements des ressources humaines affirment qu'ils n'ont tout simplement pas d'argent[en] pour payer les stagiaires. En général, les budgets des organisations à but non lucratif ont tendance à être serrés[en]. À cette pression financière s'ajoute le taux d'inflation aux États-Unis, qui a atteint 8,6 %[en], soit le taux le plus élevé depuis 40 ans[en].

Le professeur Gregory R. Witkowski, maître de conférences dans le programme de gestion des organisations à but non lucratif de l'université de Columbia, affirme[en] que depuis que le marché boursier a perdu beaucoup de valeur, les donateurs se sentent moins riches et ont donc réduit leurs contributions caritatives. En dehors de cela, les organisations à but non lucratif ont déjà du mal à collecter des fonds[en], à conserver[en] leurs employés et à en recruter[en] de nouveaux.

Alors que de nombreuses organisations à but non lucratif étaient confrontées à un ralentissement économique qui menaçait leur existence, le philanthrope MacKenzie Scott a trouvé le moyen de bouleverser les pratiques de financement traditionnelles du secteur sans but lucratif et d'offrir des chances égales à des personnes d'origines diverses de diriger et d'exceller dans la sphère non lucrative. Scott a octroyé 12,4 milliards[en] de dollars de subventions sans restriction à 1 251 organisations soutenant les arts, la justice sociale et raciale, ainsi que d'autres causes. Contrairement aux philanthropes habituels, Scott encourage les organisations à but non lucratif à dépenser les fonds comme elles l'entendent[en], ce qui leur donne plus de liberté pour investir dans la croissance interne et externe selon leurs conditions.

Grâce à un financement sans restriction axé sur l'impact, les organismes sans but lucratif peuvent briser le cercle vicieux de la culture du « bas salaire, faire avec et faire sans, » ce qui leur permet de croître, d'innover et de s'épanouir au-delà de la mentalité de survie et de projet. À la suite d'un afflux de fonds non affectés comme ceux de MacKenzie Scott, ils convient de se demander quel genre de politiques les dirigeants d'organismes sans but lucratif peuvent établir pour assurer une rémunération juste et équitable des stagiaires.

Les bailleurs de fonds : Alors que le monde est confronté à un ensemble de problèmes urgents en cascade et interconnectés, les bailleurs de fonds devraient intervenir et assurer la stabilité financière des organisations à but non lucratif en augmentant les fonds non affectés et les subventions. Les fonds non affectés peuvent modifier la dynamique de pouvoir asymétrique entre les bailleurs de fonds et les organisations à but non lucratif, décourager la perpétuation de systèmes inéquitables et offrir un moyen de redresser les structures de pouvoir, facilitant ainsi la transition du patronat vers un modèle de partenariat[en].

Secteur à but non lucratif : Pour démanteler les privilèges, la discrimination et l'iniquité, les organisations à but non lucratif doivent non seulement verser aux stagiaires un salaire décent, mais aussi recruter de manière proactive des stagiaires issus de communautés marginalisées. En plus de recruter des jeunes de diverses origines (BIPOC, PWD et LGBTQ+), les organisations à but non lucratif doivent offrir un environnement sûr qui permet à tous les employés d'apprendre, de se développer et d'entrer en contact avec des mentors.

La création d'une pépinière de talents, l'offre d'un travail responsable et une rémunération raisonnable pour permettre aux stagiaires de s'épanouir sont les caractéristiques des programmes de stages réussis. Les organismes sans but lucratif doivent intégrer des postes de stagiaires rémunérés dans leur budget, rechercher intentionnellement des fonds non affectés et modifier les récits concernant les dons non affectés. Les organismes sans but lucratif doivent s'engager à payer les stagiaires une fois qu'ils ont obtenu des fonds sans restriction.

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