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L’histoire d’un projet de développement qui a détruit un village en Angola

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Angola, Environnement, Médias citoyens, Green Voices
Estação de Bombagem do Cafú

Cafu Pumping Station | Photo: Simão Hossi/Global Voices

Le canal de Cafu, un système de transfert d’eau du fleuve Cunene, en Angola, a été ouvert [1] en avril 2022. Ce système est chargé d’approvisionner les municipalités d’Okwanyama, Ombandja et OuNamakunde en eau, ainsi que les zones de Ndombondola et Ombala-Yo-Mungo, dans la province de Cunene, dans le sud du pays.

Inaugurée [2] par le Président de la République, João Lourenço, la construction du canal a entraîné la destruction des fermes, des maisons, des cultures, des chimpacas (étangs ouverts), des bosquets de fruits sauvages et d'autres installations communautaires de centaines d'habitants et de villageois. Les habitants affirment n’avoir été ni informés du projet ni consultés quant aux modalités d’exécution, et n’avoir reçu aucun dédommagement pour les pertes subies.

La construction du canal a débuté fin 2019 dans le but de lutter contre [3] les effets de la sécheresse dans la province de Cunene.

Bombagem do Cafú | Foto: Simão Hossi/Global Voices

Les habitants des villages et communautés d'Onamwenho, Oukango, Oshikololo Sha Nanga, Onanime, Epolo, Omatemba et Onangwena ont tous été affectés par le développement. Le canal, long de plus de 160 kilomètres, traverse d'innombrables communautés et villages. On ne sait pas avec certitude combien de personnes ont été touchées par cette situation.

Depuis lors, le projet est devenu l’une des plus grandes attractions touristiques pour ceux qui visitent cette partie du pays.

Que disent les habitants ?

Lors de ses visites au sein des communautés entre mai et juin 2022, Global Voices a interrogé plusieurs personnes, notamment, des anciens et des chefs de communauté vivant dans les villages susmentionnés.

Cafú Pumping | Photo: Simão Hossi/Global Voices

Global Voices s’est, par exemple, entretenu avec deux femmes du village d’Oshamutitima, à un peu plus de 50 kilomètres de la capitale Ondjiva. Reginalda Longehiliwa, âgée de 63 ans, a déclaré ne pas être opposée au projet de canal, mais elle n’est juste pas satisfaite de la façon dont l’entreprise de construction (Sinohydro) a mené les travaux.

Elle a expliqué, par exemple, qu’elle n’avait même pas eu connaissance de l’existence d’une étude d’impact environnemental dans la région, notamment pour évaluer les dommages potentiels liés à la réalisation des travaux.

Não houve consultas, se houve, aqui na aldeia não chegou, não houve informações para as pessoas daqui na aldeia (comunidade). Nós fomos surpreendidos com a presença dos homens a fazerem as marcações, desmatando o percurso onde passou o canal.

Nós só estamos a ver as destruições dos nossos bens, divisão das nossas lavras, divisão das nossas casas com as dos nossos filhos, sem mesmo sabermos onde e a quem reclamar ou ainda pedir informações e contas sobre uma possível compensação, indenização dos bens que perdemos com a existência do canal.

« Il n’y a pas eu de consultations des habitants. S’il y en a eu, en tout cas, elles ne sont pas arrivées jusqu’ici : les gens du village (communauté) n’ont reçu aucune information. Nous avons été surpris de voir apparaître un jour des hommes pour faire les marquages et dégager le chemin où devait passer le canal.

Tout ce que nous voyons, c’est la destruction de nos biens, la division de nos fermes, la destruction de nos maisons et celles de nos enfants, sans savoir où ni à qui se plaindre, ni même où demander des informations et des comptes sur les possibilités de dédommagement pour les biens que nous avons perdus à cause de la construction du canal. »

Elle affirme que ce sont les membres du village qui lui ont appris que des travaux étaient en cours pour construire un canal.

Ninguém aqui na comunidade recebeu uma compensação ou foi indemnizado pelas perdas dos seus bens, lavras, árvores frutíferas, cultivos, chimpacas, casas e outros bens da comunidade.

« Personne ici dans la communauté n’a obtenu de compensation ni n’a été dédommagé pour les pertes subies : les pertes de biens, de récoltes, d’arbres fruitiers, de cultures, de chimpacas, de maisons et de bien d’autres ressources appartenant à la communauté. »

Selon certains villageois, peu de temps après l’inauguration du canal de Cafu, les autorités ont invoqué les avantages dont allait pouvoir bénéficier la communauté pour justifier l’absence d’indemnisation, comme l’a mentionné l'une de nos personnes interrogées :

As respostas que recebemos das autoridades é que a melhor recompensa, indemnização ou mesmo reparação dos danos causados e destruições dos nosso bens eram ou seja se refletiam na entrega do canal que leva a água para os aldeões que vivem perto ou arredores do percurso do Canal do Cafú, a (menina bonita) da província do Cunene.

« La meilleure récompense, compensation ou même réparation que nous pouvons obtenir pour les dommages causés et la destruction de nos biens, c’est l’existence même du canal, qui transporte désormais l’eau jusqu’aux villageois vivant dans la région ou près du Canal de Cafu. Voici la réponse que nous avons obtenue de la part des autorités. »

Cafú Pumping Station | Photo: Simão Hossi/Global Voices

Pour Engracia Tulengepo, âgée de 48 ans, également résidente de la communauté d’Oshamutitima, le projet du canal est bien un moyen de résoudre ses problèmes de pénurie d’eau.

Elle affirme par exemple manquer de nourriture en raison de l’absence de pluie pour faire pousser le massango [4] dans la région Oukwanyama, dans la province de Cunene. Le massango, céréale angolaise, est le produit agricole le plus important de la région, suivi du bétail. Cependant, ses champs et ses pâturages ont été complètement détruits pendant la construction du canal ; or, la récupération de ces espaces reste sa principale préoccupation.

La résidente ne savait rien des travaux avant qu’ils ne démarrent ni n’a été informée sur les raisons du projet. Elle a déclaré, elle aussi, que les habitants n’avaient jamais été consultés au sujet du canal :

Não houve compensação ou indemnização pela destruição dos nossos bens mais preciosos, as nossas lavras, as nossas terras, os nossos cultivos, as nossas chimpacas, zonas de pastos dos nossos animais. Estou ciente de que os benefícios que o canal trará para as nossas vidas, após as conclusões das obras.

« Je suis consciente des bénéfices que le canal apportera à nos vies, après l’achèvement des travaux. Cependant, nous n’avons pas reçu de réparation ni d’indemnisation pour la destruction de nos biens les plus précieux, de nos fermes, de nos terres, de nos cultures, de nos chimpacas, ou des zones où paissent nos animaux. »

Le canal est le premier ouvrage de ce type en Angola et est présenté comme une réalisation politique majeure par l'actuel président, en campagne pour sa réélection [5]. On ignore quelle est la position des autorités judiciaires pour résoudre l’affaire de l’absence de dédommagements de ces villageois. En attendant, ces derniers restent livrés à eux-mêmes.