Une TikTokeuse ougandaise emprisonnée pour avoir critiqué l'héritage problématique d'un général décédé

Capture d'écran de Teddy Nalubowa sur le banc des accusés (à gauche) devant un tribunal de première instance de Kampala, en Ouganda, où elle a été accusée de communication offensante pour ses propos sur la mort de l'ancien ministre de la Sécurité.

Une TikTokeuse ougandaise, Teddy Nalubowa (également connue sous le nom de Tracy Manule Bobiholic) a été inculpée le 9 septembre de communication offensante et envoyée à la prison de Luzira pour avoir prétendument enregistré une vidéo célébrant la mort de l'ancien ministre de la Sécurité, le général Elly Tumwine, rapporte The Monitor, un quotidien de Kampala, la capitale. 

Le général ougandais à la retraite et représentant de l'armée le plus ancien au parlement, Elly Tumwine, est décédé le 25 août 2022 au Kenya des suites d'un cancer du poumon. La mort de ce général a déclenché un débat public sur son « héritage à double tranchant », rapporte Rey Ley, un blogueur. Il a dirigé des troupes qui ont tué plus de 50 civils lors des manifestations qui ont suivi l'arrestation du politicien de l'opposition Robert Kyagulanyi Ssentamu (également connu sous le nom de Bobi Wine [fr]) en 2020. En tant que ministre de la Sécurité, le général Tumwine a déclaré aux médias que «la police a le droit de vous tirer dessus et vous tuer si vous atteignez un certain niveau de violence. Je peux répéter : la police a le droit de tirer et vous mourrez pour rien », selon le quotidien The Monitor. 

Après treize jours de détention et sans représentation légale, Nalubowa a été traduite devant un tribunal de première instance de Kampala où elle a été accusée de communication offensante contraire à l'article 25 de la loi de 2011 sur l'utilisation abusive des ordinateurs. La TikTokeuse restera en prison jusqu'au 26 septembre, date à laquelle l'affaire reviendra devant le tribunal.

Nous ne devons pas laisser les morts continuer à nous brutaliser !

Teddy Nalubowa, une Ougandaise de 27 ans, a été inculpée de communication offensante contraire à la loi de 2011 sur l'utilisation abusive des ordinateurs et n'a pas bénéficié d'une représentation juridique après avoir passé plus de 10 jours en détention pour avoir célébré la mort de Tumwine. pic.twitter.com/1DvIrTWPWg

— Rosebell Kagumire (@RosebellK) 12 septembre 2022

La loi sur l'utilisation abusive des ordinateurs (2011) et l'amendement du projet de loi de 2022

La Computer Misuse Act de 2011 prévoit « la sûreté et la sécurité des transactions électroniques et des systèmes d'information ; pour empêcher l'accès illégal, l'abus ou l'utilisation abusive des systèmes d'information, notamment les ordinateurs », et « pour sécuriser la conduite des transactions électroniques dans un environnement électronique digne de confiance ».

Cependant, les articles 24 et 25 de la loi de 2011 posent problème avec leur définition nébuleuse du « cyber-harcèlement » et de la « communication offensante ». Le cyber-harcèlement, selon la loi, signifie utiliser « un ordinateur » pour faire une ouverture « obscène, lascive, lubrique ou indécente » (« demande, suggestion ou proposition ») ou menacer « d'infliger des blessures ou des dommages physiques » à une personne ou la propriété de cette personne, ou « sciemment [ permis ] tout dispositif de communication électronique devant être utilisé à l'une de [ces] fins. La peine pour cyber-harcèlement est « une amende n'excédant pas soixante-douze unités de monnaie ou une peine d'emprisonnement n'excédant pas trois ans ou les deux ». De même, la loi de 2011 définit la communication offensante comme « l'utilisation délibérée et répétée de la communication électronique pour troubler ou tenter de troubler la paix, la tranquillité ou le droit à la vie privée de toute personne sans but de communication légitime, qu'une conversation s'ensuive ou non ». La peine pour cela est « une amende n'excédant pas vingt-quatre unités de monnaie ou une peine d'emprisonnement n'excédant pas un an ou les deux ». 

Carrie Davis, d'AfricanLII du Département de droit public de l'Université du Cap, ajoute en outre que ces deux sections de la loi de 2011 ont joué un rôle déterminant dans la répression des dissidents et des militants ougandais. En janvier 2022, l'écrivain ougandais Kakwenza ukirabashaija a été mis en examen en vertu de la clause de communication offensante de la loi de 2011 sur l'utilisation abusive des ordinateurs, et passé un mois en détention, pour avoir écrit que le fils du président était obèse. L'universitaire et écrivaine Dr Stella Nyanzi [fr] a été emprisonnée en 2018 pour des publications offensantes sur Facebook dans lesquelles elle qualifiait le président de « une paire de fesses ». 

Le 8 septembre 2022, le parlement ougandais a adopté le Computer Misuse (Amendment) Bill ( projet de loi sur l'utilisation abusive de l'ordinateur), 2022 qui remplacera la Computer Misuse Act de 2011. Cette nouvelle loi vise à renforcer les dispositions sur les données non autorisées, tout en interdisant le partage de données relatives aux enfants sans l'autorisation de leurs parents ou tuteurs; les ajoutant à la liste des infractions pour lesquelles des personnes peuvent être arbitrairement arrêtées.

Cependant, l’organisation la Collaboration sur la politique internationale des TIC en Afrique orientale et australe (CIPESA) a décrit  cette loi comme « draconienne qui criminalise les technologies numériques et restreint largement les droits numériques » :

Parmi les principales dispositions régressives figure l'interdiction de « l'utilisation abusive des réseaux sociaux », décrite à l'article 6 comme la publication, la distribution ou le partage d'informations interdites par les lois ougandaises. Une peine très punitive a été prévue pour l'infraction : une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans, une amende pouvant atteindre 10 millions UGX (2 619 USD), ou les deux. D'autres dispositions rétrogrades du projet de loi de 2022 sur l'utilisation abusive de l'ordinateur (amendement) sont l'interdiction d'envoyer ou de partager des informations non sollicitées via un ordinateur, et l'interdiction d'envoyer, de partager ou de transmettre des informations malveillantes sur ou relatives à toute personne.

De même, l'avocat ougandais Andrew Wandera a affirmé que ledit projet de loi est redondant, car la loi de 2019 sur la protection des données et la vie privée « répare déjà le mal que le projet de loi prétend remédier ». La loi sur la protection des données et la confidentialité interdit l'accès non autorisé aux informations personnelles avec une sanction prescrite pour toute violation. La loi criminalise également le partage d'informations sur les enfants sans l'approbation parentale. Par conséquent, le Computer Misuse (Amendment) Bill ne fait que dupliquer ce qui est prévu par la loi.

Malheureusement, cela signifie que le gouvernement élargit officiellement le filet pour réprimer des citoyens comme dans le cas de la TikTokeuse Teddy Nalubowa, pour avoir simplement exprimé une opinion contraire à celle officielle.

1 commentaire

  • African

    Typique des dictatures, elles veulent imposer le silence et la terreur sur tous ceux qui observent de près et critiques les actes des bourreaux qui dirigent. Un ministre de la sécurité peu encourager le meutre des citoyens dans les médias et les citoyens ne peuvent célébrer la disparition de celui ci. On dirait que la vie des assassins du pouvoir est plus importante que celles de leurs concitoyens. Toutes les vies importent, du plus riche au plus pauvre. Si les oligarchies rendent la vie impossible aux citoyens, ceux derniers doivent tout faire pour rendre la leur aussi impossible. Soit nous sommes tous respectés, soit nous périssons tous ensemble. Black lives matter also in Africa.

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