Croatie : le pays appuie une réforme électorale controversée compromettant le développement démocratique de Bosnie-Herzégovine

En Croatie, l'homme politique défendant le plus ardemment la cause des extrémistes croates en Bosnie est le Président du pays, Zoran Milanović. Photo by NATO, CC BY-NC-ND 2.0.

Depuis environ un an, les Balkans sont le théâtre d'une offensive diplomatique sans précédent de la part de la Croatie et des ultranationalistes croates en Bosnie-Herzégovine (BiH) et à l'étranger. L'objectif final serait de faire adopter une réforme électorale fortement controversée et discriminatoire.

D’après la plupart des Bosniaques s'y connaissant en la matière, et selon l'avis de divers spécialistes des Balkans, ces réformes renforceraient l'emprise de l'Union démocratique croate de Bosnie-Herzégovine (HDZ-BiH) sur le pouvoir en Bosnie-Herzégovine. Elles diviseraient davantage le pays et priveraient de leurs droits une grande partie de sa population, notamment les minorités rom et juive.

Alors que Dragan Čović, Président du HDZ-BiH, et d'autres hauts placés du parti, ont fait de beaux discours sur la souveraineté du pays — de même que les dirigeants de la Croatie − les militants proches du parti (les ultranationalistes croates en Bosnie-Herzégovine, en Croatie et à l'étranger) affichent quant à eux un mépris évident pour l'État bosniaque. Ils ne cachent pas leur objectif ultime : celui d’une union avec la Croatie et la restauration du para-état criminel « Herceg-Bosna. » La plupart des Bosniaques s'opposant aux réformes les considèrent comme le premier pas vers la réalisation pacifique de ce que les extrémistes croates n'ont pas réussi à obtenir pendant la guerre de 1992-1995.

Vaincus sur le champ de bataille par l'armée bosniaque en 1993-94, ses dirigeants, tant militaires que politiques, ont ensuite été jugés par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) pour crimes contre l'humanité, violations des lois ou coutumes de la guerre et infractions graves aux conventions de Genève. Le TPIY a constaté que les dirigeants croates de Bosnie, en collaboration avec ceux de Croatie, voulaient créer un État croate ethniquement pur. Après la mort du Président croate Franjo Tuđman en 2000, son successeur, Stjepan Mesić, a remis aux enquêteurs du TPIY une grande quantité d'enregistrements secrets dans lesquels Tuđman parle ouvertement de dissimuler des crimes de guerre commis en Bosnie-Herzégovine, des plans de découpage du pays et ses liens étroits avec Slobodan Milošević.

Le comportement prédateur de la Croatie envers la Bosnie-Herzégovine a largement été négligé par les médias internationaux. Depuis qu'il est devenu membre de l'UE et de l'OTAN, le pays et ses politiciens ont fait entendre leur soutien aux extrémistes croates en Bosnie et ont ouvertement utilisé leur adhésion pour exercer des pressions sur l'UE et les États-Unis et donner aux extrémistes ce qu'ils veulent. Ils ont en grande partie réussi, puisque les politiciens bosniaques s'opposant aux lois de réforme électorale ont déclaré que les diplomates de l'UE et d'autres du département d'État américain ont essayé de les cajoler. Des pressions considérables ont également été exercées sur le Haut Représentant de l'UE en Bosnie pour qu'il modifie des lois, destinées à favoriser le HDZ et les extrémistes croates.

En juillet dernier, plus de 7 000 personnes ont manifesté devant le Bureau du haut représentant en Bosnie-Herzégovine (BHR) à Sarajevo, la capitale de Bosnie, après avoir appris que le haut représentant Christian Schmidt allait utiliser ses pouvoirs pour modifier les lois électorales.

Les extrémistes croates ont aussi remporté ce qui semblait être une nouvelle victoire diplomatique au début du mois d'août, lorsque l'ambassade d'Israël à Tirana, en Albanie (également responsable de la Bosnie-Herzégovine) s'est prononcée en faveur de « réformes électorales. » Cette prise de position est très probablement le résultat d'une visite en Israël du dirigeant du HDZ-BiH, Dragan Čović, et de l'homme fort des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik. Ils pensent sûrement qu'Israël serait en mesure d'exercer davantage de pression sur les États-Unis et l'UE, et en particulier sur l'Allemagne : le haut représentant de l'UE en Bosnie-Herzégovine est Allemand.

Cependant, après un retour virulent des internautes et plusieurs articles dans les médias israéliens, Israël a réprimandé son ambassadeur de l'époque en Albanie et en Bosnie, Noah Gal Gendler, pour être intervenu dans la politique bosniaque. Selon Haaretz :

“Yair Lapid who serves both as Israeli Prime Minister and Foreign Minister called the Ambassador’s actions a “new nadir for Israeli diplomacy,” and ordered that he be censured.”

“Yair Lapid, cumulant les fonctions de Premier ministre israélien et de ministre des Affaires étrangères, a qualifié les actions de l'ambassadeur de « nouveau nadir pour la diplomatie israélienne », et a ordonné qu'il soit censuré.”

L'ironie des actions de cet ambassadeur israélien en faveur de personnes célébrant l'héritage des auteurs de l'Holocauste pendant la Seconde Guerre mondiale, et le cynisme de ceux impliqués dans cette entreprise, sont tout simplement à couper le souffle.

En juin, des extrémistes croates ont démoli l'ancien cimetière des partisans à Mostar, dédié aux antifascistes assassinés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le cimetière, déjà vandalisé à plusieurs reprises depuis la guerre de Bosnie, se trouve sur une colline surplombant le côté ouest de Mostar, un quartier à prédominance croate de la ville, facilement accessible aux extrémistes croates.

Le cimetière des partisans à Mostar a de nouveau été profané. Les dégâts sont les plus importants à ce jour, plus de 700 plaques commémoratives à la mémoire des combattants de la Seconde Guerre mondiale tombés au combat ont été détruites.

#Mostar #BosnaiHercegovina

Photo: 📸 Ustupio Dragan Markovina (©) pic.twitter.com/FaQtRmGvMA

— Radio Slobodna Evropa (@RSE_Balkan) 15 juin 2022

Un grand nombre d'antifascistes commémorés dans ce cimetière ont été assassinés par les Oustachis, l'aile militaire du prétendu État indépendant de Croatie (NDH) d'Ante Pavelić, un État fantoche nazi, responsable, entre autres, de la rafle et de la déportation des Juifs de Bosnie vers le camp de concentration de Jasenovac-Stara Gradiška.

Rencontre entre Adolf Hitler et Ante Pavelić, dirigeant de l'État indépendant de Croatie (NDH), à son arrivée au Berghof en Bavière, Allemagne, en 1941. Photo de domaine public provenant des archives du Musée Mémorial de l'Holocauste des États-Unis. (Photograph #85432), via Wikipedia.

Les extrémistes croates sont loin d’être timides concernant les célébrations de l'héritage de la NDH. Dans la partie occidentale de Mostar, des rues portent le nom de l'idéologue en chef de la NDH, Mile Budak, d’autres ceux des commandants de l'Oustachis, comme Jure Francetić et Rafael Boban, entre autres. Pendant des années, les appels à la modification des noms de rue ont été bloqués par Dragan Čović et le HDZ-BiH, jusqu'en juillet dernier, peu après la visite de Dragan Čović en Israël. Cette décision a clairement été prise pour apaiser Israël et a également été mentionnée par l'ancien ambassadeur israélien en Albanie et en Bosnie comme la raison de son soutien à la réforme électorale.

Il est également important de noter que les rues ont été rebaptisées par des noms de personnalités de la NDH et d'Oustachis provenant de la guerre de Bosnie, des extrémistes croates tels que Mate Boban, président du para-État « Herceg-Bosna », ou le président du HDZ-BiH pendant la guerre et criminel de guerre condamné, Bruno Stojić.

En Croatie, l'homme politique défendant le plus ardemment la cause des extrémistes croates en Bosnie est le président du pays, Zoran Milanović. Au cours de l'année écoulée, il a promis de mettre son veto à l’adhésion de la Finlande et de la Suède dans l'OTAN tant que les lois électorales favorisant le HDZ-BiH et les extrémistes croates ne seraient pas adoptées. Il a également déclaré que la Bosnie-Herzégovine ne fera jamais partie de l'OTAN tant que les lois électorales n'auront pas été modifiées et que la Croatie ne lui permettra pas de faire partie de l'alliance.

Il y a deux semaines, lors d'une réunion des dirigeants des Balkans occidentaux en Slovénie, Zoran Milanović a également remis en cause l'existence du génocide de Srebenica.

Plus récemment, il a demandé que des soldats croates participent à l'opération Althea, un déploiement militaire de l'UE en Bosnie-Herzégovine pour superviser la mise en œuvre militaire des accords de Dayton. Zoran Milanović s'est exprimé : « Nous nous battrons toujours pour la protection des Croates en Bosnie-Herzégovine. Nous insisterons pour que la Croatie envoie ses soldats en Bosnie-Herzégovine dans le cadre de l'opération Althea, sous les auspices de l'OTAN ou de l'Union européenne (UE). C'est nous qui le déciderons, pas Sarajevo, ni Belgrade. Un nouveau temps est venu pour la politique croate. »

Cela a suscité des réactions de la part de politiciens et de diplomates bosniaques, dont Željko Komšić, lui-même d'ethnie croate et membre de la présidence bosniaque. Il a déclaré « qu'il était inacceptable pour nous que la Croatie, un pays qui a participé aux combats pendant la guerre de Bosnie, ait des troupes présentes dans le cadre d'une mission de l'UE. »

Le ministre bosniaque des Affaires étrangères, Bisera Turković, a pris la parole sur Twitter pour exprimer son inquiétude :

Graves inquiétudes quant à l'intention du président croate d'envoyer des troupes croates en Bosnie-Herzégovine, dans le cadre de la mission Althea EUFOR/NATO en Bosnie-Herzégovine, surtout en niant le génocide commis à Srebrenica.

pic.twitter.com/hI6QQ3C5ZT

— Bisera Turković (@BiseraTurkovic) 16 septembre 2022

Si ces réactions sont les bienvenues, il y a bien d'autres raisons de ne pas vouloir des militaires croates sur le sol bosniaque, étant donné que la Croatie utilise depuis des années son influence en tant que membre de l'UE et de l'OTAN pour déstabiliser la Bosnie-Herzégovine. Il y a beaucoup plus à dire que le rôle de la Croatie pendant la guerre et le déni de génocide de Zoran Milanović. Les politiciens et diplomates bosniaques doivent être parfaitement clairs quant à l'influence malveillante de la Croatie.

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