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Le tunnel de l'espoir : un outil de survie durant le siège de Sarajevo

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Bosnie-Herzégovine, Guerre/Conflit, Histoire, Médias citoyens
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La maison de la famille Kolar à Sarajevo, le point de départ du tunnel de l'espoir. Photo d'Alem Bajramovic, utilisée avec son autorisation.

Cet article de Kristina Gadže a été publié sur Balkan Diskurs [2], un projet du Post-Conflict Research Center [3] (PCRC). Une version éditée est publiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Le siège de Sarajevo [4] (1992-1996) a été le plus long siège d'une capitale de l'histoire moderne. Les campagnes quotidiennes de bombardements et les tireurs embusqués, d'une cruauté et d'une horreur extrême, ont pris pour cible la population civile, et se sont ajoutés au blocage des convois humanitaires et à l'isolement de la ville du reste de la Bosnie-Herzégovine et du monde. Tentant de survivre et de communiquer avec le monde extérieur, des résidents de Sarajevo ont creusé un tunnel [5] dans la cour de la famille Kolar. Celui-ci reliait le village de Dobrinja à celui de Butmir et était connu sous le nom de Tunnel D-B, ou le tunnel de l'espoir.

Le tunnel de l'espoir était sous le contrôle de l'armée de la République de Bosnie Herzégovine [6] (ARBIH) et était utilisé pour distribuer de la nourriture, des cigarettes et des armes de défense. Il reliait les villes de Sarajevo, totalement isolée par l'Armée de la République serbe de Bosnie [7] (VRS), aux territoires bosniens de l'autre côté de l'aéroport de Sarajevo, une zone contrôlée par les Nation unies. Le tunnel passait sous la piste de l'aéroport.

La construction du tunnel a commencé en avril 1993. Selon le conservateur Edis Kolar, fils de Bajro Kolar, ils étaient au courant qu'un tunnel allait être creusé dans leur cour, mais ça n'a jamais été discuté publiquement.

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Intérieur du tunnel de l'espoir. Photo d'Alem Bajramovic, utilisée avec son autorisation.

Malgré leur position en première ligne des combats, Edis Kolar et son père sont retournés régulièrement chez eux pour contrôler ce qui s'y passait. Edis se souvient qu'à une occasion des gens étaient rassemblés devant la maison, notamment l'ingénieur Nedzad Brakovic, le concepteur principal du tunnel, des architectes de Zenica et Bakir Izetbegovic [9] ( fils de Alija Izetbegovic [10], alors Président de Bosnie Herzégovine, qui à ce moment-là occupait le poste de Directeur de l'institut de construction de Sarajevo, avant d'entrer lui même en politique).

« Je me souviens très bien de ce que Bakir a dit : ‘nous avons besoin d'une maison et d'un terrain pour quelque chose.’ Nous savions qu'un tunnel était en construction, mais le secret était bien gardé. Mon père savait ce dont il avait besoin, alors il a simplement dit :'tout ce qui est à moi est à vous’ » se souvient Edis. Puis il explique que son père a fait partie de l'équipe qui a creusé le tunnel et qu'il a fourni du matériel.

Edis affirme que deux mois après cette visite, des gens ont commencé à creuser à la main, se relayant une personne après l'autre. Les bombardements étaient moins fréquents, pourtant lorsque l'armée de la République serbe (VRS) a appris que la construction d'un tunnel avait débuté, ils ont lancé une offensive terrible le 17 et 18 mars 1993. « Il ont tout démoli. Mais ils ont tout de même échoué » affirme Edis, la construction ayant continué malgré les dégâts.

Selon Edis le tunnel a eu une importance immense pour les citoyens de Sarajevo, et nul ne sait ce qui serait arrivé sans sa construction. Il insiste également sur le fait que le tunnel n'était pas une route pour fuir Sarajevo, mais bien une infrastructure et une ligne d'approvisionnement.

Un musée en guise de témoignage

Edis explique qu'après la construction des tranchées et des lignes de communication, le tunnel est devenu un témoignage de la vie des citoyens de Sarajevo, et que certains s'y sont mariés.

Parmi eux se trouvait l'un de ses amis, Elvir Spahic, alors âgé de 18 ans, aux côtés de qui il avait combattu dans la région de Treskavica. « Spahic avait une petite amie de Hrasnica et on le taquinait avec ça. Mais un matin il nous a dit qu'il allait se marier. Nous avons ri, mais nous avons pris les fusils et avons tiré quelques coups de feu vers le ciel, et il sont partis dans le tunnel en direction de Sarajevo, » se souvient Edis.

Selon lui le tunnel n'était pas utilisé durant les derniers mois de la guère après qu'il ait été inondé. Edis et son père sont rentrés chez eux pour nettoyer le tunnel mais n'y ont trouvé que des objets abandonnés, des charriots et des images. « Nous les avons ramassés et les avons organisés dans le sous-sol, qui était vide, c'est ainsi que le musée [11] a été créé ».

 

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Malgré leur coopération avec les écoles, le tunnel de l'espoir est moins souvent visité par les élèves d'Herzégovine ou de la région Republika Srpska. Photo d'Alem Bajramović, utilisée avec son autorisation.

Inspiré à l'idée de préserver le témoignage du passé, Edis s'est lancé dans la recherche de pièces de cette période en vente dans toute la Bosnie Herzégovine. Aujourd'hui encore, des objets peuvent être donnés au musée si les citoyens estiment qu'ils sont liés au tunnel pendant le siège de Sarajevo. Edis affirme que bien que de nombreuses organisations humanitaires aient proposé leur aide pour reconstruire leur maison après la guère, son père ne souhaitait pas qu'elle soit reconstruite. Il voulait que la maison soit préservée, exactement en l'état.

Un musée au contenu accessible

Le musée a été dirigé par Bajro et Edis Kolar jusqu'en 2012, date à laquelle le Sarajevo Canton Memorial Fund leur a succédé. En avril 2022 ils ont achevé la reconstruction [13] complète des 130 mètres de tunnel, qui a du être creusé une nouvelle fois dans sa totalité, car il passe sous l'aéroport de Sarajevo. À l'occasion de la reconstruction des pistes de l'aéroport en 1998, le tunnel avait été comblé de béton sur toute sa longueur.

« Il y a trois ou quatre ans, nous avons décidé de combler le tunnel et de ne pas aller sous l'aéroport, mais seulement de rester sous notre terrain autant que possible. Ainsi, on a inséré des planches et des rails dans le tuyau de béton, » a déclaré Edis avant d'expliquer que le concept du projet avait été créé par l'architecte Selina Tanovic et qu'un appel à candidature avait été publié pour sa réalisation.

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Chaque année le tunnel de l'espoir organise des ateliers pour les enfants non-voyants et déficients visuels. Photo d'Alem Bajramovic, utilisée avec son autorisation.

170 000 personnes environ visitent le tunnel et son musée chaque année. Le contenu a été adapté pour  le rendre accessible aux non voyants et déficients visuels, ainsi qu'aux personnes atteintes de troubles du développement. « Chaque année nous organisations des ateliers pour les enfants non voyants et déficients visuels, en présence d'un éducateur et de notre conservateur. Ils nous ont aidés à imprimer un guide en braille, » a affirmé Edis.

Des visiteurs en provenance de la région et du monde entier viennent voir le tunnel de la Bosnie Herzégovine.