La communauté queer fuit l’Azerbaïdjan : seule, mais libre

Image par Sharaf Nagiyeva, partagée dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Cet article a initialement été publié sur Chaikhana Media. Une version éditée est publiée ici dans le contexte d’un accord de partage de contenu.

Ces dernières années, des dizaines de personnes de la communauté queer d’Azerbaïdjan ont fui leurs foyers en raison des persécutions dont ils faisaient l’objet. Il n’existe pas de statistiques/chiffres officiels concernant cet exode des membres de la communauté LGBTQ+ en Azerbaïdjan, néanmoins, les preuves anecdotiques indiquent que cette migration vers la sûreté ne se produit pas qu’en direction de pays de proximité.

Pari Banu (qui utilise les pronoms elle/iels), activiste et artiste queer, fait partie de ceux qui se sont récemment installés à Tbilisi en Géorgie, pays voisin. Artiste et interprète visuelle, Banu expérimente avec la photographie, la performance, la vidéo, le son, et la mode pour ouvrir la discussion sur des sujets comme l’identité, la violence et la transformation.

 Les gens te répètent : « Tu as un pénis. Sois un homme ! » ou « Tu as un vagin ! Comporte-toi comme une femme ! » Mais j’ai toujours été curieuse sur ce que cela signifie, d’être un homme ou d’être une femme. Ne serait-il pas possible de s’écarter de cette vision binaire primitive ? Est-ce que c’est vraiment si important d’avoir un pénis, mais d’être efféminé et doux, ou d’avoir un vagin, mais d’être masculine et dominante ? Quand j’étais enfant, j’aimais avec passion me maquiller, enfiler un haut et faire un spectacle de danse du ventre. Cependant, mes parents étaient très stricts à ce propos, surtout mon père. Mais j’ai toujours eu forte tête. Ensuite, on m’a puni pour agir de la sorte. Donc je me suis toujours posé la question… Pourquoi ? La féminité est-elle une malédiction pour un garçon ? Et aujourd’hui, j’ai trouvé la réponse… Mon émancipation complète a toujours fait peur aux autres !

Banu a grandi dans une famille conservatrice pour qui même un sac au motif fleuri posait problème. Banu se remémore dans sa conversation avec Chaikhana Media que ses proches avaient l’habitude de dire des choses comme « Les voisins vont te voir, et que vont-ils dire ? Quelle honte ! »

Quand elle a atteint l’âge du service militaire obligatoire, la mère de Banu l’a convaincue de s’engager. Mais son service militaire fut synonyme de terreur et dépression. En plus du bizutage et du harcèlement dont elle a fait l’objet, des soldats tentent de la persuader d’avoir des relations sexuelles avec eux. Quand elle refuse, ils la punissent en l’enfermant dans les toilettes et en la tabassant pendant la nuit. Un soldat menace de la retrouver une fois qu’elle aura quitté l’armée, et de la tuer.

À Chaikhana Media, Banu raconte que sa mère a essayé de la convaincre de se marier avec une fille. Mais malgré les protestations de Banu, qui assure à sa mère que chaque parti finirait par souffrir de la situation, la priorité pour cette dernière reste les on-dit. Banu décide alors de déménager de chez ses parents et de partir pour Tbilisi en Géorgie, le pays voisin, où elle espère que personne ne lui reprochera d’être elle-même. Elle a tenu compte de ses questionnements en rapport avec son identité et sa famille à travers un journal :

21/06/22
C’est si étrange qu’après tout ce que ma famille m’a fait, je me sente quand même coupable. C’est peut-être le syndrome de Stockholm. J'aimerais juste me débarrasser de ce sentiment désagréable.Hier, je suis entrée en contact avec deux agences de mannequinat à Tbilisi. Ils veulent des photos de moi. Je devrais essayer d’en prendre et les envoyer. Ça pourrait être une opportunité d’emploi. Mais je suppose que je suis un peu âgée pour être mannequin. Mon père, cet alcoolique, a voulu me frapper après avoir vu mon nouveau sac avec she/they (elle/iels) inscrit dessus. Il tenait un couteau. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu’il voulait me couper. Il se souciait seulement de ce que penseraient les voisins, comme d’habitude.
25/06/22
Aujourd’hui, j’ai dit à ma mère que je m’en irais bientôt.

Le déménagement n’est pas une mince affaire. Banu change plusieurs fois d’appartement avant de rencontrer et de se lier d’amitié avec un bailleur bienveillant. Elle se sent moins seule dans cette ville, désormais. Trouver du travail s’avère être plus difficile qu’il n’y paraît. Banu ne parle pas Georgien, ce qui ne facilite pas les choses, mais la chance finit par tourner.

Image par Sharaf Nagiyeva, partagée dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Avant de venir en Géorgie, Banu est tombée sur un appel ouvert pour les artistes queer pour une exposition à Berlin. Sélectionnée, elle prend part à l’exposition et présente ses Polaroids. À Tbilisi, un conservateur présent à cette exposition invite Banu à jouer dans une pièce de théâtre. Elle remporte un grand succès en interprétant la Déesse Serpent Shahmaran, trahie par son amant. « Si l’on en croit la légende, quiconque dévore la chair de Shahmaran devient immortel, alors son amant avoue au roi où elle se cache, et le roi la tue et la mange. » Explique Banu.

Et bien que Banu ait cru laisser sa famille et ses proches en Azerbaïdjan, ils continuent de lui envoyer des messages, lui signifiant leur inquiétude quant à sa nouvelle vie en Géorgie. Un jour, elle est même accostée dans la rue par des femmes originaires d’Azerbaïdjan, mécontente de voir une femme transgenre azerbaïdjanaise. Elles considèrent ça honteux.

Néanmoins, un mois après le déménagement, Banu se sent libérée. Elle s’exprime librement, même si sa sécurité reste sujette d’inquiétude. Récemment, Banu a été attaquée par deux hommes non loin de chez elle. Elle a été sévèrement battue. Et bien qu’un homme plus âgé soit venu lui porter secours, Banu est désormais à la recherche d’un appartement plus proche du centre-ville, plus sûr et où les gens sont moins homophobes.

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