Salvador : les raisons de la probable réélection de Bukele malgré une politique de plus en plus autoritaire

President Nayib Bukele

Nayib Bukele lors de son discours d'investiture. Flickr.com image (CC BY-NC-ND 2.0)

[Sauf indication contraire les liens de cet article mènent vers des sites en anglais et en espagnol].

Le 15 septembre dernier, à l'occasion de la journée célébrant l'indépendance du Salvador, le Président Nayib Bukele a annoncé publiquement qu'il sera candidat à sa réélection en 2024. Cette déclaration n'a surpris personne, mais a fait éclater de nombreuses critiques.

Des organisations locales et internationales, des médias, des politiciens, des journalistes ainsi que des dirigeants de la société civile ont immédiatement dénoncé les intentions électorales de Bukele, les qualifiant d'anticonstitutionnelles. « L'annonce de Bukele de concourir à sa réélection va à l'encontre de la constitution salvadorienne, qui l'interdit, et est le résultat prévisible des mesures de répression et de l'affaiblissement des droits qu'il a mis en place. Aujourd'hui, l'avenir de la démocratie salvadorienne est plus que jamais menacé, » a déclaré Tamara Taraciuk, directrice adjointe pour l'Amérique à Human Right Watch, dans un post publié sur Twitter.

Depuis son accession au pouvoir en 2019, Nayib Bukele, le président le plus populaire du continent américain, a été critiqué pour ses tendances autoritaires. De nombreux organismes tels que Human Rights Watch, Amnesty International, Cristosal et Citizen's actions ont accusé le gouvernement de Bukele de non-respect des droits humains.

état de situation exceptionnelle » qui dure depuis sept mois représente l'exemple le plus récent de mise en danger des droits humains. Il s'agit d'une mesure d'état d'urgence déclenchée par Bukele pour réprimer une hausse soudaine du nombre d'homicides en début d'année.   

L'état d'urgence décidé à la fin du mois de mars met temporairement fin à certains droits garantis par la Constitution. Par exemple, le droit d'être informé des raisons qui justifient une détention n'est plus appliqué. Le temps dont le procureur général dispose pour établir le dossier d'accusation passe de 2 à 15 jours, et la police peut maintenant écouter des conversations téléphoniques ou consulter des SMS sans le moindre mandat judiciaire.

Selon la constitution salvadorienne, l'état d'urgence est promulgué pour une durée de 30 jours ; au moment de la rédaction de cet article, il a été prolongé 6 fois. En moins de six mois, cela s'est traduit par l'arrestation de plus de 53000 personnes, dont beaucoup dénoncent le non respect des procédures légales et la détention injustifiée de personnes innocentes et aucunement associées aux gangs.

Malgré l'autoritarisme croissant dont il fait preuve, Bukele peut compter sur le soutien de la majorité des Salvadoriens pour sa réélection. La justification de ce soutien réside essentiellement dans l'amélioration de la sécurité dans le pays.

Ces 25 dernières années, le Salvador a fait partie des pays les plus violents de la planète. Cette violence a principalement été perpétrée par des gangs criminels dont la plupart avaient des liens avec les membres de gangs salvadoriens extradés des États-Unis au milieu des années 1990.

Ces gangs font usage de la violence pour intimider les communautés et contrôler les territoires. Les Salvadoriens étaient dans la crainte constante de se faire tuer ou d'être victime de racket. La peur occasionnée par la violence des gangs a mené des milliers de Salvadoriens à quitter le pays.

La sécurité a toujours été une priorité pour les Salvadoriens. Le gouvernement précédent n'est pas parvenu à faire en sorte que les Salvadoriens se sentent en sécurité – et selon les sondages et les statistiques, il semblerait que l'administration Bukele ait réussi.

Personne ne nie l'amélioration de la sécurité depuis l'accession au pouvoir de Bukele. Selon les données quotidiennes publiées par la police nationale salvadorienne, le taux d'homicide du pays a diminué.

De plus, le gouvernement affirme que le nombre de jours sans homicide a augmenté sous l'administration Bukele, et que l'état d'urgence a permis de mettre des membres de gangs avérés hors d'état de nuire. Selon de nombreux sondages réalisés cette année, la grande majorité des Salvadoriens se considère en faveur de l'état d'urgence pourtant si polémique.

Quand Bukele est arrivé au pouvoir, il y a trois ans, le nombre d'homicides quotidiens s'élevait à 6,6. En 2021, celui-ci a chuté à 3,1, puis à 2,0 le 30 septembre. Le Salvador a encore abaissé son taux d'homicide cette année pour atteindre son plus bas niveau enregistré.

Les données rassemblées par la Police Nationale Salvadorienne et le tableau technique inter-institutionnel pour le bilan comparatif du nombre de victimes d'homicide m'ont permis de créer le tableau suivant sur le taux d'homicide au Salvador. Celui comprend l'ensemble des homicides — et pas uniquement ceux perpétrés par les membres présumés de gangs.

Le meilleur moyen d'observer les chiffres est de combiner les données quotidiennes de la police avec celles publiées par le procureur général et les bureaux de police scientifique. Le sujet est extrêmement politisé au Salvador – les données fournies par la police sont insuffisantes pour dénombrer l'ensemble des morts violentes. 

Nombreux sont ceux qui mettent en doute les chiffres fournis par l'administration Bukele, particulièrement les jours où aucun homicide n'est déclaré, et affirment que ceux-ci ne prennent nullement en compte les tombes collectives de personnes disparues et les décès de criminels notoires morts suite à leur confrontation avec la police. Pour autant, même en incluant ces chiffres, le taux d'homicide reste inférieur à celui enregistré les années précédentes.

Roberto Valencia, un journaliste indépendant reconnu au Salvador, confirme qu'au 30 septembre, le nombre d'homicides était d'un tiers inférieur environ à ceux relevés sur la même période en 2021. Il a déclaré qu‘« au taux actuel, le Salvador terminerait l'année 2022 avec 730 homicides, avec un taux de 11,5 homicides pour 100 000 habitants ».

Nombres quotidiens moyens des homicides au Salvador  :
✔️ Septembre (jusqu'au 30): 0,8🔴
✔️ Aout: 1,1
✔️ Juillet: 0,7
✔️ Juin: 1,4
✔️ Mai: 1,2
✔️ Avril: 1,3
✔️ Mars: 5,5*.
Moyenne annuelle:
✔️ 2022: 2,0🔴
✔️ 2021: 3,1*
✔️ 2020: 3,7*
✔️ 2019: 6,6*
Source NCP et Technical Bureau(*)

Néanmoins, de nombreuses allégations concernant un pacte secret entre le gouvernement Bukele et les gangs ont fait surface, et ont remis en question la façon dont il est parvenu à élever le sentiment de sécurité. En 2021, les Etats-Unis ont sanctionné deux membres du gouvernement du Salvador après les avoir accusés de négocier un accord secret avec des membres de gangs et de consolider leurs soutiens politiques. Le site indépendant d'investigation EL Faro a également publié des images et des enregistrements sonores mettant en évidence le pacte supposé entre l'administration Bukele et les gangs. Pourtant, malgré les preuves présentées par El Faro, rares sont ceux qui croient ces rapports.

Beaucoup croient que la propagande de Bukele et ses tentatives de ridiculiser la presse et de la réduire au silence ont influencé l'opinion publique, et ils pourraient avoir raison. Cependant, le sentiment de sécurité est la principale raison pour laquelle les Salvadoriens souhaitent le voir réélu, ceci malgré les accusations de non respect des droits de l'homme, de comportement de plus en plus autoritaire et de négociations secrètes avec les gangs.

Le fait que la réélection de Bukele soit conforme ou non à la constitution n'a que peu d'importance pour le Salvadorien moyen. Ils sont davantage préoccupés par le sentiment de sécurité, leur travail, la possibilité d'aller à l'école ou de faire leurs courses. Pour eux, ce sont des domaines dans lesquels l'administration Bukele a rempli ses engagements. À l'heure qu'il est, nombreux sont ceux prêts à soutenir Nayib Bukele à tout prix.

*L'étude CID Gallup révèle 91 pour cent d'opinion favorable, un autre sondage publié par l'université indépendante locale affirmait que les Salvadoriens lui donnaient « une note de 7,99 sur 10 », et le journal local ( dont les vues sont souvent critiques envers l'administration Bukele) publiait un chiffre de 74 pour cent d'opinions favorables. En tout état de cause, les derniers chiffres de l'étude du CID Gallup montrent que 85 pour cent des Salvadoriens sont en faveur de la mise en place de mesures plus strictes encore contre les gangs.

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