Massacre d'une crèche en Thaïlande : reconnaître les erreurs et aller de l'avant

Police officers and other officials at Uthai Sawan Child Development Centre after the killing.

Des policiers et des fonctionnaires à la crèche d'Uthai Sawan après la tuerie. Photo publiée par Prachatai (Source: Pheu Thai Party press team)

L'article suivant a été publié par Prachatai, un média indépendant en ligne de Thaïlande. Cette version est republiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Dans le sillage de la fusillade du 6 octobre faisant 37 morts dans la province de Nong Bua Lamphu, au nord-est de la Thaïlande, les autorités et les médias ont commencé à réfléchir aux erreurs du passé et à chercher un moyen pour aller de l'avant.

Le 12 octobre, les corps des victimes ont été incinérés dans trois temples de Nong Bua Lamphu. Selon le Thai Post, les cérémonies se sont déroulées sous patronage royal, en présence du Premier ministre, le général Prayut Chan-o-cha, faisant office de représentant.

Panya Kamrab, auteur du crime et ancien officier de police, s'est tué avec sa femme et son enfant. Il a été incinéré dans un temple de la province voisine d'Udon Thani. D'après The Manager Online, la mère de Panya Kamrab a accompagné son cadavre jusqu'au crématorium.

Au cours de la semaine, la petite ville du nord-est a continué d'attirer l'attention du pays. Les autorités ont poursuivi leurs enquêtes et les journalistes sont restés sur place pour faire des reportages de terrain.

N'ayant trouvé aucune trace de drogue dans son corps, la police cherche toujours à comprendre ce qui a déclenché les actions de Panya Kamrab. Dans un article de la BBC Thaïlande, le général Surachate Hakparn, commandant adjoint de la police nationale, pense que Panya Kamrab a agi à cause du stress causé par des dettes écrasantes et la perte de son emploi.

Sur ordre de Surachate Hakparn, les 180 témoins du massacre ont été interrogés une seule fois afin qu'ils n'aient pas à revivre le traumatisme.

Colère publique et volonté de censure

Les autorités étatiques et les médias ont été les premiers pointés du doigt. Le matin suivant l'incident, l'entrée de la crèche, où 23 enfants et deux enseignants ont trouvé la mort, a été décorée. Un tapis rouge a été installé en vue d'une cérémonie de dépôt de gerbe au nom de la princesse Sirivannavari. Le tapis a toutefois été jugé inapproprié et retiré avant le début de la cérémonie du gouverneur adjoint de la province.

Les ministres du gouvernement ayant mis un certain temps à arriver sur les lieux, les familles des victimes auraient été obligées d'attendre longtemps pour récupérer les corps de leurs proches à la morgue, et recevoir des fonds de secours.

Des mesures inutiles dans des circonstances où le temps était compté n'ont pas été les seules perturbations. Un journaliste de CNN, accompagné d’un cameraman, a été photographié en train d'escalader un cordon de police pour aller filmer l'intérieur de la crèche, suscitant la colère du public et des médias locaux. Pour beaucoup, filmer à l'intérieur du centre était non seulement insensible et contraire à l'éthique, mais équivalait également à dégrader la scène de crime.

En réponse aux condamnations du Club des correspondants de Thaïlande (FCCT) et de l'Association des journalistes thaïlandais (TJA), CNN a déclaré que le personnel sur place a autorisé l'équipe à entrer et qu'aucun cordon de police n'était installé à ce moment-là. La paire aurait filmé pendant 15 minutes, puis serait repartie.

Dans une déclaration ultérieure, le vice-président exécutif et directeur général de CNN International, Mike McCarthy, a insisté sur le fait que les journalistes de CNN avaient demandé l'autorisation d'entrer, mais qu’il « comprend maintenant que ces personnes n'étaient pas autorisées à accorder cette autorisation », ajoutant qu'il n'a « jamais été dans leur intention d'enfreindre quelque règle que ce soit. »

Il précise que CNN a cessé de diffuser le reportage et retiré la vidéo de son site Internet. L'équipe de CNN présente sur les lieux, la journaliste primée Anna Coren et le cameraman Daniel Hodge, sont également allés à la rencontre du général Surachate Hakparn pour s'excuser. Ils ont été condamnés à une amende de 5 000 bahts chacun (133 dollars), et ont été priés de quitter le pays lorsqu'il a été découvert qu'ils travaillaient avec des visas de touristes.

Dans une interview accordée à Inside Thailand le 10 octobre, Surachate Hakparn révèle que le personnel de CNN est entré lors de la préparation du lieu pour la cérémonie du dépôt de gerbes. À ce moment-là, le cordon de police était retiré et le portail ouvert. Plusieurs autres personnes sont également entrées dans l'établissement au même moment.

Outre CNN, huit médias locaux ont fait l'objet d'une attention particulière pour leur couverture « inappropriée » de l'incident. Le 11 octobre, la Commission nationale de l'audiovisuel et des télécommunications (NBTC) a envoyé une lettre de convocation à Channel 3HD, Thairath TV, Amarin TV HD, Channel 8, Nation TV, WorkPoint, National Broadcasting Services of Thailand (NBT) et ONE Channel pour discuter des reportages contenant des entretiens avec les familles des victimes et des blessés, des photos dérangeantes et des graphiques simulant le massacre. Les médias ont été blâmés pour leur insensibilité présumée à l'égard de ces nouvelles troublantes, relançant un débat de longue date sur la manière dont les journalistes doivent couvrir de telles tragédies.

Dans un entretien accordé à PPTV, Teeranai Charuvastra, le vice-président de l'Association des journalistes thaïlandais supervisant la section réforme des médias et de la liberté d'expression, déclare que les médias doivent tenir compte de trois éléments lorsqu'ils rapportent un contenu sensible : le reportage est-il d'utilité publique, va-t-il causer du tort et est-il possible de gérer un éventuel retour de bâton?

There is no concrete rule. Despite how we draft it, despite how stringent it appears, there is no clear rule. The media and its audience are the only ones who can answer.

Il n'y a pas de règle concrète. Malgré la façon dont nous rédigeons, malgré la rigueur apparente, il n'y a pas de règle claire. Les médias et le public sont les seuls à pouvoir répondre.

Dans la même émission, Sakulsri Srisaracam, professeur adjoint de journalisme à l'université de Chulalongkorn, partage son opinion : la couverture médiatique devrait se concentrer sur un contenu interrogeant la cause profonde d'une tragédie, permettant de sortir les gens de leur chagrin et les aider à mieux aborder les problèmes à l'avenir.

Un pas en avant ?

Un magasin de vêtements pour enfants de la province de Lampang a fabriqué gratuitement les tenues funéraires des 24 enfants tués dans l'incident. Ces tenues reflètent les rêves de carrière des enfants, exprimés à leurs parents : astronautes, infirmiers, pilotes, soldats, pompiers, médecins et policiers.

Considéré comme l'un des massacres d'enfants les plus meurtriers au monde, cet incident a ébranlé le pays et suscité des appels à prendre des mesures pour que cela ne se reproduise jamais.

Le 12 octobre, le Premier ministre a annoncé quatre mesures visant à attaquer ce que beaucoup considèrent comme les causes profondes du drame : la prolifération des drogues et des armes à feu, et le manque de programmes de réhabilitation pour les toxicomanes et les troubles de santé mentale.

Ces mesures comprennent une répression des réseaux de stupéfiants, une réduction du nombre de drogues qu’un individu peut posséder donnant lieu à des poursuites pénales et à une désintoxication obligatoire, un renforcement de la délivrance des permis de port d'armes, la révocation de ce dernier pour les toxicomanes connus, les malades mentaux et les personnes considérées comme une menace pour la société, et une répression du marché illégal des armes à feu.

Suwit Chantaworn, gouverneur adjoint de la province de Nong Bua Lamphu, a annoncé que des plans ont été élaborés pour fournir aux familles des victimes un service de suivi à court, moyen et long terme.

Lors d'une récente émission de Thairath TV, Yongyut Wongpiromsant, conseiller au département de la santé mentale, évoque les problèmes de santé mentale des criminels. Citant des recherches sur d'autres fusillades, seulement 5 % environ des tueurs étaient souffrant de maladies mentales. Les autres étaient motivés par le stress, l'alcool ou des problèmes personnels.

Selon Yongyut Wongpiromsant, les personnes atteintes de maladies mentales souffrent souvent de toxicomanie non traitée et de graves troubles psychotiques. Il ajoute qu'un traitement réduirait considérablement la possibilité d'un comportement violent et propose de faire des efforts pour réhabiliter les toxicomanes.

Concernant les auteurs d'actes criminels employés dans le secteur de la sécurité, Yongyut Wongpiromsant pense que la révocation de ces personnes ne suffit pas à résoudre le problème. Le conseiller suggère qu'un traitement de santé mentale soit imposé en parallèle à des mesures disciplinaires afin de réduire le risque d'anciens officiers violents se retournant contre la société.

L'une des victimes de l'incident a toutefois été largement négligée : la mère de l'auteur du crime, vivante et en deuil, s'apprête à quitter son domicile pour vivre avec un autre de ses enfants, afin de réduire le stress et d'accepter la situation.

Dans un premier temps, elle a fait l'objet d’une condamnation et de la colère du public, mais la situation s’est calmée lorsque le service de santé mentale a publié ses excuses pour ne pas avoir assisté à la cérémonie des funérailles royales. Elle a expliqué vouloir s'excuser personnellement auprès de tout le monde lorsqu'elle irait mieux.

Certaines personnes ont demandé pourquoi une mère devrait accepter le blâme pour un crime qu'elle n'a pas commis. Sur sa page Facebook, Decha Piyawatkul, psychiatre à l'hôpital Thai Nakarin, critique le fait d'« injecter de la culpabilité » à des personnes n'étant pas responsables du méfait, ajoutant que les excuses devraient plutôt être présentées par la police nationale :

Claiming [the killer] was no longer a police officer is hideous. He used to be an employee under your affiliation. He had problems all along and when you didn’t have any way to take care of him, you turned him out. That doesn’t mean that you can brush off responsibility.

You’re a public organisation with a public responsibility; you don’t have the rights to brush off the burden.

Prétendre que [le tueur] n'était plus un officier de police est hideux. Il était un employé sous votre affiliation. Il avait des problèmes depuis le début et quand vous n'avez pas eu les moyens de vous occuper de lui, vous l'avez renvoyé. Cela ne signifie pas que vous pouvez rejeter toute responsabilité.

Vous êtes une organisation publique avec une responsabilité publique ; vous n'avez pas le droit de vous débarrasser de ce fardeau.

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