Jiangshan : le XXe congrès du Parti communiste chinois expliqué pour vous

Une représentation peinte du poème de Mao Zedong, Neige, sur l’air de « Printemps au Jardin de Qin » (1936), par les peintres tardifs Fu Baoshi et Guan Shanyue (1959). Domaine public – image historique.

Le 16 octobre, le secrétaire général du parti et président chinois Xi Jinping a prononcé le discours d’ouverture du XXe congrès du Parti communiste chinois.

Conformément au système politique à parti unique, le Congrès du PCC, auquel participent 2 296 délégués représentant 96,7 millions de personnes, élira les membres du Comité central, qui approuveront à leur tour une liste de 25 hauts responsables du parti pour le Bureau politique et son Comité permanent (organe décisionnel le plus puissant du pays et dirigé par le secrétaire général).

En d’autres termes, une inauguration « réussie » du Congrès devrait permettre à Xi d’obtenir un troisième mandat sans précédent en tant que président et consolidera davantage son pouvoir au sein du Bureau politique du PCC, comme l’ont déjà expliqué de nombreux médias.

En 2018, le Congrès national du peuple (Parlement) a voté pour abolir la limite de deux mandats pour la présidence prévue dans la constitution chinoise ; ce qui permet à Xi de renouveler son leadership indéfiniment.

Pour les spécialistes de la Chine, les documents officiels et les discours publics pendant la semaine du Congrès ont offert des indices concernant la trajectoire politique de la Chine pour les 5 prochaines années. L’une des méthodes d’analyse consiste à examiner les termes politiques clés.

Dans cette série de 5 articles, Global Voices expliquera la signification, le contexte, mais aussi les réactions locales à certains des termes clés qui sont apparus, ou ont disparu, pendant le XXe congrès du PCC.

Le premier terme de cette série est Jiangshan (江山), qui signifie littéralement « rivière et montagne », et qui est officiellement traduit par les médias d’État chinois par « pays ».

Le terme apparaît dans le discours d’ouverture de Xi Jinping pour légitimer la direction du PCC en Chine. La transcription et la vidéo des récits de Xi Jinping sur le Jiangshan, dont certains sont accompagnés de traductions officielles en anglais, ont été diffusées par les médias officiels sur toutes les plateformes de réseaux sociaux chinois.

Débats autour de la traduction

Zhang Lifan, un historien de la Chine continentale, a intégré le clip vidéo sur Twitter :

[Traduction officielle] Le pays est son peuple ; le peuple est son pays. Dans sa lutte pour fonder et développer la République populaire, le Parti communiste chinois a guidé le peuple et s’est battu pour obtenir son soutien.

pic.twitter.com/V9Ol6ZjXRx

— 章立凡 Zhang Lifan (@zhanglifan) Le 18 octobre, 2022

Le Great Translation Movement, groupe de traducteurs-activistes basé sur Twitter, a critiqué la traduction officielle chinoise et a souligné que le terme 打江山, dont le sens littéraire signifie « battre et conquérir la rivière et la terre », devrait être traduit par « conquérir le pays » plutôt que de parler de « lutte pour fonder » ce pays.

D’autres réactions spontanées des communautés sinophones portent sur la logique de l’expression. L’utilisateur de Twitter @srpnmamtf a souligné le problème :

[Cette phrase ne manque-t-elle pas de logique ?!] Je n’arrive vraiment pas à comprendre la logique du grand chef. Si le peuple est son pays, pourquoi devons-nous lutter et conquérir Jiangshan [les terres et les rivières] ? Nous devrions plutôt « aimer Jiangshan [le pays] » ! […]

pic.twitter.com/zhGDhRBBb5

— 軟綿綿 (@srpnmamtf) Le 16 octobre, 2022

Des photos ou des vidéos montrant les forces de l’ordre chinoises en train de frapper des gens du peuple ont également été postées pour se moquer de la direction du parti et tourner en ridicule leur usage de l’expression « battre et conquérir Jiangshan ».

Le militant chinois des droits humains en exil @tengbiao a souligné un autre problème de traduction et a fait valoir que le terme Jiangshan ne devrait pas être traduit par « pays ».

La traduction officielle béatifie l’expression Jiangshan en faisant usage pour parler du « pays », mais en réalité, le terme fait référence au régime (système politique). 

— 滕彪 (@tengbiao) Le 17 octobre, 2022

La terre et le pouvoir des anciens empereurs chinois

Sur le fil Twitter de Tengbiao, d’autres personnes se sont jointes à la discussion pour comprendre la signification de ce terme chinois. Beaucoup ont souligné que l’utilisation de ce terme reflète la mentalité des anciens empereurs chinois.

L’internaute @TaylorEvan6839, par exemple, explique :

“江山”这个词作为一个政治术语,是有浓厚的中国古代政治含义在里面的,这种含义意味着政权有对土地和土地上的人民的私有权和管辖权,而不是现代意义上,建立契约之上的现代国家(state)的含义。

Le terme Jiangshan, lorsqu’il est utilisé dans un contexte politique, reflète la politique de la Chine ancienne et suppose un pouvoir absolu du régime sur ses terres et sa population, ainsi que la prospérité à l’intérieur de ses frontières.

Quant à jerry16789, il apporte un autre nuance avec des termes simples :

 “江山”含义比较复杂,即指政权,也指领地。跟黑社会抢地盘最接近,我抢来就是我的,可以收保护费了。

La signification de Jiangshan est complexe. Le terme peut faire référence au régime ou à ses territoires. Il s’apparente à la notion de « territoire » dans le monde mafieux, en ce sens que la conquête d’un territoire accorde à la mafia le droit d’en tirer des revenus (illégaux).

Mao Zedong, ancien dirigeant du PCC et fondateur de la République populaire de Chine, a lui-même utilisé le terme « Jiangshan » pour exprimer son ambition politique dans son poème le plus populaire, Neige, sur l’air de «Printemps au Jardin de Qin» (1936). Voici la traduction du deuxième vers de ce poème via Marxist.org :

江山如此多娇 – Cette terre si riche en beauté
引无数英雄竞折腰 – A amené d’innombrables héros à s’incliner en son honneur. 
惜秦皇汉武 – Mais hélas ! Chin Shih-huang [premier empereur de la Chine unifiée] et Han Wu-ti [empereur qui a régné pendant 54 ans sous la dynastie Han et a fondé la civilisation chinoise Han]
略输文采 – Ne brillaient pas par leur culture,
唐宗宋祖 – Tang Tai-tsung [empereur de la dynastie Tang dont la réforme politique a conduit la Chine à un âge d’or] et Sung Tai-tsu [premier empereur de la dynastie Song]
稍逊风骚 – N’étaient pas poètes dans l’âme ;
一代天骄 成吉思汗 – Et Gengis Khan, béni par le Ciel en son temps, 
只识弯弓射大雕 – Ne savait que tendre son arc pour tirer sur les aigles.
俱往矣 – Tout cela est du passé !
数风流人物 – Pour les vrais grands hommes  
还看今朝 – Tournons notre regard vers le présent.

En 1959, les défunts peintres Fu Baoshi et Guan Shanyue ont créé une œuvre d’art pour accompagner Neige, sur l’air de « Printemps au Jardin de Qin» à l’occasion du 10e anniversaire du PCC. Le tableau, dont le soleil représente le PCC, est accroché dans le palais de l’Assemblée du peuple depuis lors.

Le règne du parti unique

Après l’établissement de la RPC, les liens entre le peuple, Jiangshan et le CPC se sont resserrés. Le socialisme est bon, une chanson de propagande écrite en 1958 sous l’ère Mao, est un excellent exemple du cadre idéologique du parti unique. Voici les deux derniers couplets de cette chanson politique populaire :

社會主義好,社會主義好!社會主義江山人民保。人民江山坐得牢,反動分子想反也反不了。社會主義社會一定勝利,共產主義社會一定來到,一定來到!
共產黨好!共產黨好!共產黨領導中國富強了。人民江山坐得牢,反動分子想反也反不了。社會主義社會一定勝利,共產主義社會一定來到,一定來到!

Le socialisme est bon, le socialisme est bon ! Le régime socialiste (Jingshan) protège le peuple. Le régime populaire (Jingshan) est fort, les réactionnaires ne peuvent pas renverser [le régime]. La société socialiste remportera définitivement la victoire, et la société communiste deviendra définitivement réalité.

Le parti communiste est bon ! Le parti communiste est bon ! Le parti communiste mène la Chine sur la voie de la prospérité et de la force. Le régime populaire (Jingshan) est fort, les réactionnaires ne peuvent pas renverser [le régime]. La société socialiste remportera définitivement la victoire, et la société communiste deviendra définitivement réalité.

Xi Jinping a repris l’héritage de Mao, notamment en ce qui concerne sa vision politique du Jiangshan. Ce n’est pas un hasard si le China Post a redonné une vie au texte de Mao, Neige, sur l’air de « Printemps au Jardin de Qin », en l’associant à un dessin animé en 3D et en l’ajoutant à un timbre miniature en septembre 2021.

Le discours de Xi sur le Jiangshan lors du XXe Congrès obéit également à la tradition du PCC qui consiste à combiner les anciennes traditions du pays avec des termes politiques modernes, cette fois en mettant l’accent sur la « lutte pour fonder » ou « conquérir » le Jiangshan.

Cette rhétorique politique, qui reflète la détermination du parti à maintenir le système de parti unique par la force, devient, toutefois, de moins en moins attrayante, car le peuple souhaite désormais aller de l’avant, et non revenir en arrière. Grâce à des mesures de censure strictes, il y a eu très peu de critiques ou même de réactions sur la citation du Jiangshan de Xi sur Weibo. Néanmoins, des captures d’écran de commentaires critiques, comme celui-ci, continuent de circuler :

打江山!你不打,它永遠也在那裏,河還是那個河…打的那些人已經成為塵埃…你的守,你守啥?你不守,它們能跑路嗎?只有你們這些的家伙行才能跑路。你們的子孫後代把江山上的礦偷走了…變成美元偷走了,藏起來了,藏到大洋彼岸去了。[…]

Vous voulez que nous luttions et conquérions les rivières et les montagnes ? Les montagnes continuent d’exister et les rivières continuent de couler sans que vous vous battiez pour elles… Ceux qui se sont battus ont été réduits en cendres… Que protégez-vous ? Sans votre protection, elles ne s’enfuiront pas. Seuls vous et vos gangs devriez fuir. Votre progéniture a volé les mines situées dans ces terres et ces rivières… Puis, elle les a transformées en dollars qu’elle a cachés de l’autre côté de l’océan Pacifique…

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