Comment la jeunesse palestinienne résiste à l'occupation israélienne : en se rasant la tête

Bienvenue à la jeunesse de Jérusalem, dessin de Mahmoud Abbas, utilisé avec permission.

Ces dernières semaines, de jeunes palestiniens du camp de réfugiés de Shu'fat, au nord de Jérusalem occupée, se sont rasés la tête pour induire en erreur les troupes d'occupation israéliennes. Elles sont à la recherche d'Uday Al-Tamimi, 23 ans, soupçonné d'avoir mené une fusillade à un point de contrôle militaire à proximité du camp, le 8 octobre dernier.

Connu dorénavant sous le nom « opération Shu'fat », l'incident a entraîné la mort d'une soldate israélienne et la blessure de deux autres, entrainant un siège complet du camp de réfugiés par les forces d'occupation israélienne.

Après la publication par l'armée israélienne d'une description de l'agresseur comme étant chauve, plusieurs jeunes palestiniens ont posté des vidéos en ligne d'eux-mêmes se rasant la tête chez un coiffeur du camp, sans ajouter de commentaire.

Ils étaient loin de se douter que cet acte de résistance pacifique déclencherait une vague de soutien parmi les jeunes hommes à l'intérieur et à l'extérieur du camp. Mais également au-delà des frontières, où décider de se raser la tête est devenu une tactique de résistance non violente, en solidarité avec les résidents du camp.

Les autorités d'occupation israélienne ont annoncé que le jeune homme commanditaire de l'attaque armée du checkpoint au camp de Shu'fat samedi dernier, tuant une femme soldat et blessant trois autres soldats israéliens, est chauve, et toujours en fuite. Pour tromper les Israéliens, tous les jeunes hommes du camp se rasent la tête. #فلسطين pic.twitter.com/O5w5XGJARr

— A Mansour أحمد منصور (@amansouraja) 15 octobre 2022

Une telle tactique rappelle les soulèvements palestiniens de 1936 à 1939. Les Palestiniens des villes avaient abandonné leurs « tarbooshes » pour porter une « kufiya » — la coiffe traditionnelle à carreaux généralement portée par les « fallaheen » (résidents ruraux) — afin de tromper les colons britanniques qui identifiaient les rebelles palestiniens originaires de zones essentiellement rurales par leurs kufiyas.

Cette méthode de protestation pacifique est rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux, inspirant diverses œuvres d'art pour commémorer la solidarité. Elle a également suscité d'autres actes de défiance, comme l'utilisation délibérée du prénom Uday (pour Uday Al-Tamimi, le jeune homme du checkpoint) dans des conversations téléphoniques, des messages WhatsApp et des SMS, afin de tromper la machine de surveillance israélienne dans ses efforts pour le localiser.

#FreePalestine Depuis la rivière à océan, nous nous raserons la tête. Ahmad Qaddoura pic.twitter.com/tCNByTMEsC

— Ahmad Qaddura Cartoon (@qadduracartoon) 19 octobre 2022

En hommage au caricaturiste palestinien Naji Ali, cet artiste a incorporé la figure Handala — un symbole iconique de l'identité et de la défiance des Palestiniens.

Les Palestiniens se tournent également vers l'humour pour affronter la triste réalité de la situation :

Punition collective

Malheureusement, la réalité en Palestine est loin d'être humoristique. En avril 2021, Human Rights Watch a publié un important rapport accusant Israël de crimes contre l'humanité sous forme d'apartheid, exprimé par une discrimination institutionnelle et l'oppression systématique des Palestiniens.

Ces récents actes de défiance n'ont pas plu aux autorités israéliennes, dont les attaques contre tous types de manifestations pacifiques palestiniennes sont depuis longtemps une source de préoccupation pour les défenseurs des droits de l'homme.

Le 8 octobre, les autorités israéliennes ont imposé un confinement de six jours au camp de Shu'fat. Abritant environ 100 000 réfugiés palestiniens, tous déracinés de force en 1948 de leurs maisons et de leurs terres natales dans la Palestine historique pour la création d'Israël, le camp a depuis été coupé du reste de Jérusalem par le mur de séparation israélien. Celui-ci a créé une prison à ciel ouvert où Israël contrôle les points d'entrée et de sortie. Au cours de ce confinement militaire, les résidents du camp se sont vus refuser la possibilité de sortir, d'aller travailler, de consulter un médecin ou d'accéder aux fournitures et services de base.

Face à cette punition collective appliquée au camp pendant la chasse à l'homme d'Uday Al-Tamimi, les résidents du camp ont lancé une campagne de désobéissance civile.

Avec cette « punition » collective et son obsession vengeresse, l'occupation assiège 150 000 Palestiniens pour rechercher l'auteur de l'opération Shu'fat. La Cisjordanie a annoncé une grève générale demain, et les habitants du camp de Shu'fat ont déclaré la désobéissance civile avec des affrontements continus. La Cisjordanie est une bombe à retardement qui explosera face à l'occupation et aux forces de sécurité la rendant possible.

Les manifestations ont pris de l'ampleur en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupée, où une grève générale des commerces s'est déroulée. Cet appel à la grève a été lancé par Areen al-Usud (« la fosse aux lions »), un groupe rebelle armé composé de jeunes hommes de divers horizons politiques, récemment créé dans la ville de Naplouse après la mort d’Ibrahim al-Nabulsi, 19 ans, un autre jeune homme célébré comme un héros local. Le groupe mène la résistance contre les attaques de l'armée israélienne dans le camp de réfugiés de Jénine et la ville de Naplouse.

Naplouse a récemment été le théâtre de violentes agressions de la part de colons protégés par l'armée israélienne, et a été soumise à un verrouillage similaire à celui imposé à Shu'fat depuis le 11 octobre. Si les autorités israéliennes ont assoupli les restrictions dans le camp de réfugiés de Shu'fat le 13 octobre, elles restent en vigueur à Naplouse.

Les jeunes palestiniens se rasant la tête sont désormais soumis à des amendes de 500 shekels et aux provocations de l'armée israélienne. Au moins 15 jeunes hommes ont perdu leur emploi à cause de leurs nouvelles coiffures.

Entre-temps, la chasse à l'homme d’Uday Al-Tamimi a pris fin le 19 octobre après une nouvelle tentative de fusillade visant des gardes israéliens dans la colonie illégale de Ma'ale Adumim, à l'est de Jérusalem occupée. Après avoir appris sa mort, des centaines d'habitants de Shu'fat ont afflué dans les rues pour lui rendre hommage et le saluer comme un héros.

Devant la maison du combattant martyr Uday Tamimi, au camp de Shu'fat.

La nouvelle vague de la résistance palestinienne

Au cours des derniers mois, les tensions en Cisjordanie se sont accrues en raison d’opérations militaires israéliennes, de colons armés terrorisant des natifs palestiniens en toute impunité, et d'une intensification de la résistance armée palestinienne. Ce cycle de violence s'inscrit dans le cadre de la campagne d'opérations militaires israéliennes « Break the Wave » [Casser la vague] visant la résistance armée palestinienne. Cette dernière connait un regain en Cisjordanie après un tournant dans la mobilisation palestinienne depuis mai 2021.

À l'époque, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, ainsi que les citoyens palestiniens d'Israël, se sont unis pour protester contre l'exclusion des habitants du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est et les attaques contre les fidèles de la mosquée Al-Aqsa. Cette situation a rapidement dégénéré en une attaque israélienne de 11 jours contre la bande de Gaza assiégée, tuant plus de 260 Palestiniens, dont 66 enfants.

Néanmoins, l'élan de solidarité suivant ces évènements a donné un nouveau souffle à la résistance armée en Cisjordanie.

Depuis le début de l'année 2022, les forces israéliennes ont tué au moins 165 Palestiniens en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza, dont 51 Gazaouis en août, lors de l'assaut israélien de trois jours sur la bande. UNICEF décrit l'année comme « la plus meurtrière depuis 2006. »

Une nouvelle génération, de plus en plus désespérée par les réalités brutales de l'apartheid israélien, mène désormais le combat. Alors que les Palestiniens des territoires occupés continuent d'exprimer leur sympathie et leur inquiétude à l'égard de ces jeunes en première ligne du mouvement de résistance, cette solidarité croissante contribue à unir des communautés idéologiquement et physiquement fragmentées.

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