Pertes et dommages aux Caraïbes : c'est visible, nous le ressentons et nous en sommes conscients

La Première ministre de la Barbade, Mia Mottley à la COP27, un micro en main.

La Première ministre de la Barbade, Mia Mottley à la COP27 en Égypte, le 7 novembre 2022, a posé la question : « Quand est-ce que les dirigeants vont diriger ? » Photo du UCL Institute for Innovation and Public Purpose sur Flickr (CC BY-NC 2.0).

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndt.]

Cette année, une initiative historique a été prise au début de la Conférence des Parties (COP27) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), à Charm el-Cheik, en Égypte : les pertes et les dommages ont finalement été ajoutés à l'ordre du jour.

Quels sont ces pertes et dommages exactement ? Le terme fait référence aux conséquences des changements climatiques que les efforts d’adaptation et d’atténuation ne peuvent éviter. Le terme « perte » désigne tout impact négatif qu’il est impossible de compenser ou pour lequel aucune restauration n’est possible. Le terme « dommage », quant à lui, définit les impacts négatifs pour lesquels une indemnisation ou une restauration est, par contre, possible. Ces impacts négatifs peuvent être causés par les événements climatiques extrêmes, mais aussi, ceux à évolution lente.

Dès que j’ai appris que cette question serait à l’ordre du jour à la COP 27, j’ai tout de suite repensé à la COP 21, à Paris. Des foules de jeunes venus des pays développés et en développement s’étaient retrouvées pour un rassemblement de masse. Debout dans un vent glacial, ils avaient manifesté et demandé que les pertes et dommages soient discutés en priorité.

Pendant des années, les pays du Nord (c'est-à-dire les pays riches qui sont les nets bénéficiaires du développement industriel et qui sont parmi les plus importants émetteurs de gaz à effet de serre contribuant au réchauffement climatique) ont érigé des barricades pour éviter toute discussion de pertes et dommages, au grand dam des pays du Sud (ces pays les plus vulnérables face aux changements climatiques).

Lors de son discours à l’ouverture de la Semaine du climat à New York, le nouveau Secrétaire exécutif de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), a décrit la COP 27 comme étant « la première occasion au monde, à l’ère de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, de démontrer que l’on fait des progrès. »

Pour beaucoup, cette COP ne pourrait en aucun cas être considérée comme efficace sans une discussion des pertes et dommages. Sans en parler, comment pourrions-nous concrétiser les mesures mises en place pour faire face aux changements climatiques ? Pour les pays des Caraïbes, la notion de justice climatique notamment grâce au concept de « pertes et dommages » est intrinsèque à la mission de la COP 27.

Alors, pourquoi les pertes et dommages sont-ils importants pour les pays des Caraïbes ? Considérons les effets résiduels du réchauffement climatique que les efforts d’atténuation et d’adaptation ne peuvent ni éviter ni amoindrir – y compris la désertification ou l’augmentation du niveau des mers. Ces pertes et dommages ne sont que la réponse directe aux simples efforts d’atténuation et d’adaptation qui se révèlent insuffisants.

La cause des pertes et dommages a été défendue en premier par l’Alliance of Small Island States (« Alliance des petits États insulaires »), AOSIS, en 1991, en amont des négociations pour mettre en place la CCNUCC11. L’AOSIS a ouvert la voie en proposant la création d’un fonds d’assurance international qui faciliterait les offres de compensation aux pays côtiers en développement particulièrement vulnérables et de faible altitude, tels que l’Île Maurice, les Seychelles, les Maldives, Samoa, Palaos, etc., pour les pertes et dommages causés par l’élévation du niveau de la mer. Depuis lors, l’AOSIS n’a eu de cesse de préconiser l’établissement d’un mécanisme qui permettrait de compenser ces pays de façon efficace.

Le but est de recueillir un soutien en faveur des pays vulnérables aux changements climatiques et qui en paient le plus lourd tribut. Sachant parfaitement les conséquences de cette crise sur leurs économies, sociétés, moyens de subsistance et citoyens, ces petits États insulaires ont défendu la notion de pertes et dommage depuis son début – sans jamais reculer, lançant ainsi un véritable cri de ralliement pour un financement plus ambitieux de ces pertes et dommages.

Ces dernières années, la pression n’a cessé de croitre pour institutionnaliser un mécanisme de pertes et dommages de la CCNUCC qui répondrait aux insuffisances des politiques d’atténuation et des aides à l’adaptation inadaptées pour les pays qui subissent les pires effets des changements climatiques. C'est pourquoi les dirigeants des Caraïbes ont lutté et continuent de lutter pour plus de progrès en matière de pertes et dommages à la COP27.

Pour les pays des Caraïbes et les nations insulaires, pertes et dommages sont des entravent à leur développement et à leur prospérité économique. Le fonds d’assurance dédié aux catastrophes naturelles, le Caribbean Catastrophe Risk Insurance Facility (CCRIF,) a signalé que, selon le pays et la vitesse des changements climatiques, les pertes annuelles escomptées dues aux effets des catastrophes provoquées par de telles menaces devraient se situer entre 1 et 9 % du Produit intérieur brut (PIB) d'ici 2030.

Les effets néfastes de la crise climatique se manifestent déjà dans maints secteurs de la vie dans les Caraïbes, notamment sur l'agriculture et la production alimentaire, la santé humaine, les écosystèmes [fr], le tourisme [fr], la disponibilité de l'eau douce, la production d'énergie, les moyens de subsistance [fr], la productivité humaine, les infrastructures essentielles et le développement économique.

Selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l'Alimentation et l'Agriculture [fr], seulement entre 1970 et 2000, les Caraïbes ont subi des pertes directes et indirectes de plus de trois milliards de dollars américains en raison de catastrophes naturelles liées aux phénomènes météorologiques et climatiques.

Au moment de la rédaction de ce rapport depuis le centre informatique à l'extérieur de la salle plénière principale de la COP27 où tous les discours ont eu lieu il y a quelques jours, je suis inquiète face aux pertes et dommages massifs auxquels mes concitoyens de Trinité-et-Tobago sont actuellement confrontés à cause des énormes inondations qui ont eu lieu pendant la nuit dans l'ensemble du pays.

Pertes et dommages dans les Caraïbes, c'est visible, nous les ressentons et nous en sommes conscients.

À la lumière des dizaines de milliards de bénéfices réalisés cette année par les compagnies pétrolières, les prix du pétrole brut ayant grimpé à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, un groupe de petites nations insulaires a ajouté sa voix à un appel le 8 novembre, réclamant une taxe sur les bénéfices exceptionnels. Celle-ci obligerait ces compagnies à indemniser les pays en développement pour les dommages causés par les catastrophes naturelles dues aux changements climatiques.

« Il est temps que ces entreprises soient obligées de payer une taxe mondiale COP sur le carbone sur leurs bénéfices qui pourrait aider à financer les pertes et les dommages », a déclaré Gaston Browne, Premier ministre d'Antigua-et-Barbuda et président actuel de l'AOSIS. « Ils encaissent les profits alors que la planète brûle », a-t-il ajouté, parlant au nom de l'Alliance des petits États insulaires, qui compte 39 nations et dont l'existence même est menacée par l'élévation du niveau de la mer et par des tempêtes tropicales de plus en plus intenses. Pendant ce temps, la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, a défendu une taxe de dix pour cent sur les compagnies pétrolières pour financer les pertes et les dommages.

Les nations insulaires ne sont pas venues en Égypte pour se tourner les pouces. Elles ne seront plus entravées par les États-Unis et l'Union européenne, qui par le passé, ont tous deux fait traîner les discussions sur les pertes et dommages. « Nous attendons avec impatience la création et l'officialisation du fonds d'ici 2024 », a déclaré M. Brown.

Au cœur de la question, les pertes et les dommages restent une question de justice.

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