Les appels au recrutement d'interprètes se multiplient après que le vainqueur du marathon de New York, Evans Chebet, ait reçu une mauvaise traduction en kiswahili

A YouTube screengrab of Kenya's Evans Chebet at a pre-race interview ahead of the New York City Marathon in November 2022. Image source; Letsrundotcom

Capture d'écran YouTube du Kenyan Evans Chebet avec son entraîneur (devenu interprète) lors d'une interview d'avant course en prélude au marathon de New York en novembre 2022. Source de l'image ; Letsrundotcom

Lorsque le coureur de fond kenyan Evans Chebet s'est adressé aux journalistes avant et après les marathons de New York et de Boston, ses interviews ont brisé le moule linguistique. Chebet, qui a remporté les deux courses – celle de New York il y a quelques semaines et Boston en avril de cette année – a donné ses interviews aux médias dans la langue dans laquelle il se sentait le plus à l'aise, le kiswahili.

Son choix du kiswahili plutôt que de l'anglais, la langue standard a suscité de nombreuses réactions positives de la part des Africains en ligne, beaucoup exprimant leur fierté et leur joie. Beaucoup ont même invité les autres coureurs à l’imiter.

Le kiswahili est la langue la plus parlée [fr] au Kenya. En 2019, plus d'un quart de la population interrogée parlait le kiswahili comme langue principale. C'est aussi l'une des deux langues officielles. Enseigné en plus de l'anglais dans les écoles, la plupart des Kenyans, en particulier dans les zones rurales, parlent couramment le kiswahili comme deuxième ou troisième langue.

Les coureurs d'Afrique de l'Est sont parmi les meilleurs au monde et ils ont dominé depuis leur entrée en scène aux Jeux olympiques d'été de Mexico en 1968. Le Kenya et l'Éthiopie, un autre pays avec une variété de langues maternelles, sont au coude à coude pour mériter la désignation du pays avec les meilleurs coureurs de marathon. Selon Global Sports Matters, un Kényan ou un Éthiopien a été le vainqueur masculin du marathon de Boston 26 fois sur 29 de 1991 à 2019. Chez les femmes, ces nationalités ont pris la première place 21 fois sur 24.

Pour Chebet et de nombreux coureurs d'Afrique de l'Est, dont beaucoup viennent de la tribu des Nandi (Kalenjin) au Kenya ou de la région de Bekoji en Éthiopie, les deux pays qui ont régulièrement produit les meilleurs coureurs du monde, leur première langue est respectivement le kalenjin et l'amharique.

Les marathons de New York et de Boston font partie des majors Abbott – une série composée de six des marathons les plus grands et les plus renommés au monde : le marathon de Tokyo, le marathon de Boston, le marathon TCS de Londres, le marathon BMW de Berlin, le marathon Bank of America de Chicago et le Marathon TCS de New York.

Alors pourquoi les organisateurs de la course, en particulier lors des Abbott World Marathon Majors, n'ont-ils jamais envisagé d'avoir des interprètes professionnels, en particulier pour les langues kiswahili, kalenjin et amharique ? Est-ce leur responsabilité ou cela incombe-t-il aux instances dirigeantes nationales de l'athlète ?

Sur la base de nombreuses réactions en ligne, le moment est venu pour les organisateurs de courses d'en tenir compte alors que les athlètes acceptent de donner des discours et des interviews dans leur langue maternelle.

Kiswahili Kitukuzwe (Que le swahili soit glorifié!)

Les Africains de l'Est en ligne, pas seulement du pays d'origine de Chebet, l'ont salué pour avoir glorifié le kiswahili dans ses interviews avant et après la course, en particulier lors du récent marathon de New York.

Certains des commentaires d'une vidéo YouTube de son marathon de Boston publiée par CBS Boston se lisent comme suit :

C'est tellement incroyable, nous devrions être fiers de notre langue que de (sic) lutter avec l'anglais. Je suis si fier de toi Evans Chebet. Le reste (des) athlètes devrait l'imiter. Il est (sic) un bon exemple ☺️ . par Mercy RotichMercy Rotich

Dans son message sur Twitter avec une vidéo de l'interview d'après-course de Chebet, Ja Nyakach a déclaré  «C'est comme ça que ça devrait être».” 

Evans Chebet, vainqueur du marathon de Boston et de New York, a fait l'interview d'après course en kiswahili, vile inafaa … pic.twitter.com/8PUKH5Zslj

— Ja Nyakach 🇰🇪 (@Ja_Kopul) 7 novembre 2022

D'autres, comme Elias Kimutai, ont noté à quel point l'utilisation du kiswahili par Chebet était importante dans le contexte plus large de la langue dans le cadre de son identité.

Cela fait partie du phénomène de la montée de l'Afrique… La langue est la clé de l'identité d'un peuple. Le kiswahili est enseigné dans de nombreuses universités africaines, en Chine et en Amérique du Sud…

— Elias Kimutai (@elkimkip) 7 novembre 2022

À côté se trouvait un interprète, son entraîneur dans l'avant-course et un bénévole, dans les remarques d'après-course de Chebet à New York. Il était cependant tout à fait clair que l'entraîneur et les bénévoles de la course de New York avaient du mal avec la langue. 

Tout en félicitant Chebet et en partageant leur fierté et leur respect, non seulement pour sa victoire mais aussi pour ses remarques dans une langue à laquelle ils s'identifient davantage, beaucoup se sont moqués de l'interprète qui, en raison de son manque de maîtrise de la langue, dans certains cas a utilisé des mots erronés tels que « mashindo » pour signifier « Mashindano ». Il n'y a pas de mot tel que «Mashindo » dans la langue kiswahili. Mashindano est cependant le mot Kiswahili pour compétition. Certains l'ont même qualifiée de fraude.

Hai le mkalani est faux 😜🤣🤣🤣🤣. Que signifie le mashindo mawili ?

— Sarah Kimani (@sarahkimani) 7 novembre 2022

Certains comme Frederick Muitiriri, ancien officier de police et présentateur de télévision, ont noté qu'il a toujours plaidé pour des interviews en kiswahili, ce qui, selon lui, permet aux coureurs de s'exprimer de manière authentique et non de la façon dont ils sont conditionnés. Mutuiriri a même proposé de fournir gratuitement ses services d'interprétariat.

Mashindo quoi ? 😂😂 Emmenez-moi la-bas, je vais interpréter gratuitement  😂😂😂😂Qu'est-ce que j'ai entendu? Et oui, j'ai toujours plaidé pour des interviews en swahili. Ainsi, nos athlètes peuvent s'exprimer comme ils le souhaitent et non comme ils sont conditionnés. Aussi, Glorifions le Swahili !

— Frederick Muitiriri (@FredMuitiriri) 7 novembre 2022

Comme Olech l'a noté dans sa réaction à la vidéo de l'interview de Chebet publiée sur Twitter, il était heureux que les coureurs commencent enfin à reconnaître le pouvoir qu'ils détiennent. Il a dit: « Pourquoi devraient-ils (les coureurs) avoir du mal à courir et aussi du mal à accorder des interviews? »

Je suis heureux que ces athlètes commencent enfin à apprécier le pouvoir qu'ils détiennent. Pourquoi lutter pour courir et lutter pour s'entendre avec les présentateurs aussi.

— Olecho (@Otek_Small) 7 novembre 2022

Même si beaucoup d'internautes étaient fiers d'être kenyans et de Chebet pour son insistance à utiliser le kiswahili pour ses interviews, d'autres estimaient qu'il aurait dû parler dans sa langue maternelle, le kalenjin, dans laquelle, selon beaucoup d'auditeurs, il aurait été plus à l'aise qu'avec le kiswahili.

« Bravo, la prochaine fois, que le gagnant le fera dans (sa) langue maternelle », a déclaré l'utilisateur de Twitter Kevin Ochieng.

La langue anglaise, un obstacle pour les coureurs d'Afrique de l'Est

Malgré leur domination dans ces grandes courses, de nombreux Kényans et Éthiopiens ont du mal à s'exprimer en anglais.

Les Éthiopiens ont fait des progrès pour avoir plus d'interprètes. Sabrina Yohannes, une journaliste qui a écrit de nombreux articles sur la course à distance pour diverses publications sportives et d'actualités mondiales, est devenue une interprète célèbre en amharique pour les athlètes éthiopiens.

En 2019, des athlètes kenyans ont demandé à Athletics Kenya (AK), l'instance dirigeante nationale du sport, de mettre à leur disposition des interprètes pour faciliter la communication lors des championnats internationaux. 

En répondant aux questions des médias lors d'un événement d'athlétisme passé, le champion du monde de marathon Eliud Kipchoge a demandé pourquoi le Kenya n'avait jamais eu d'interprète lors des grandes courses.

« Il est grand temps que l'AK forme des interprètes de nos langues locales, car parfois les athlètes peuvent souffrir d'une panne de communication », a-t-il déclaré.

Les appels à Athletics Kenya pour le recrutement d'un interprète officiel ont été lancés en 2019.  Trois ans plus tard, comme on l'a vu récemment au marathon de New York, le pays manque toujours de ses propres interprètes.

Beaucoup d'internautes défient maintenant les organisateurs de courses d'apporter une certaine diversité au langage officiel de la course, en particulier parce que l'Afrique, en particulier l'Afrique de l'Est, domine.

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