Cyclisme : une activité risquée à Trinité-et-Tobago où les demandes d'aménagements routiers restent lettres mortes.

image d'illustration via Canva Pro.

Un accident de vélo avec délit de fuite est survenu il y a quatre mois au Queen’s Park Savannah — principale aire de loisir de Trinidad et plus grand espace vert de la capitale, Port d'Espagne — ravivant, et ouvrant à nouveau les vieilles blessures pour les familles des victimes précédentes.

Le matin du 9 juillet, le photojournaliste Anthony Harris circulait à vélo dans la Savannah lorsqu'il a été percuté par un véhicule. Bien que ses blessures soient graves — il a été transporté d'urgence à l'hôpital où il a subi une opération du cerveau — le conducteur s'est enfui du lieu de l'accident. Le lendemain, Harris est décédé.

Harris n'est, malheureusement, pas le seul cycliste décédé ainsi. Le 10 novembre 2018, un conducteur ayant perdu le contrôle de son véhicule a percuté un groupe de 14 cyclistes le long de l'autoroute Beetham, la principale voie de circulation est-ouest du pays, tuant deux personnes et blessant de nombreuses autres malgré leur encadrement par une escorte de police.

Même si les statistiques complètes sur les accidents mortels de cyclistes à Trinité-et-Tobago sont inexistantes, plusieurs cas notables ont fait la une des journaux ces dernières années. Rien qu'en 2018, au moins huit cyclistes ont été tués. Selon les données publiées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2020, les décès dus aux accidents de la circulation à Trinité-et-Tobago ont atteint 130, soit 1,51 % du total des décès — -. sur une population d'environ 1,4 million d'habitants. Cependant, le ministre des Travaux publics et des Transports Rohan Sinanan, a déclaré qu'une baisse « significative » des accidents mortels de la route a été constatée entre 2018 et 2021.

Cela ne va pas aider à rassurer les usagers de la route. Lors d'un entretien avec Global Voices, l'ancien cycliste national Michael Phillips a admis que la pratique du cyclisme sur les routes du pays était risquée, ce qui explique qu'il hésite à emmener ses enfants, qui s'intéressent au cyclisme, faire du vélo avec lui :

Ma grande expérience et ma compétence ne me serviront à rien .. [au moment où] quelqu'un [serait entrain] de me percuter à bout portant par derrière. [C'est] aussi dû à un problème d'ignorance de la loi. Parfois, un conducteur passe et vous crie : « Prenez le trottoir, allez rouler ailleurs … ». Cela nous aiderait si les conducteurs se contentaient de respecter la loi, en comprenant que celle-ci nous autorise parfaitement à utiliser les routes.

La loi sur les véhicules à moteur et la circulation routière de Trinité-et-Tobago considère les bicyclettes comme des « véhicules », ce qui confère aux cyclistes le droit d'utiliser toutes les routes, comme toute autre catégorie de véhicules. Une campagne de sensibilisation a même été lancée pour inciter les automobilistes à « partager la route ».

Phillips a connu sa part d'accidents de vélo. Racontant une histoire dans laquelle il a été heurté par un camion alors qu'il faisait du vélo dans le parc national de Chaguaramas, dans le nord-ouest de Trinité, , il se rappelle avoir été éjecté de son vélo alors que le véhicule s'éloignait. Un autre facteur pourrait-il entrer en jeu dans ces types d'accidents de la route? Tous les facteurs contribuant aux décès de cyclistes peuvent aussi être pertinents dans les décès de piétons, qui représentaient la plus grande partie (39 %) des décès sur la route en 2021, selon l'ONG Arrive Alive.

Dans une interview accordée à Global Voices, Ryan Darmanie, expert en planification urbaine, a déclaré que l'incident de juillet au cours duquel Harris a été tué l'a particulièrement marqué, notamment en raison du lieu du drame: « Je fais assez régulièrement du jogging autour de Queen's Park Savannah, et je me sens extrêmement mal à l'aise et pas du tout en sécurité en raison de la circulation à grande vitesse adjacente. »

Suggérant qu'une décision récente de hisser la limite de vitesse de 50 à 65 km/heure autour de Queen's Park Savannah a entraîné une détérioration encore plus importante de la sécurité, Darmanie a critiqué le ministère des Travaux publics et des Transports , qui s'est contenté d'augmenter les limitations de vitesse pour qu'elles correspondent aux vitesses affichées sur la route, au lieu de reconfigurer les routes pour encourager des vitesses plus basses.

Dans la foulée des décès de cyclistes sur l'autoroute de Beetham en 2018, le ministre des Travaux et des Transports Rohan Sinanan a déclaré que le gouvernement s'efforçait d'améliorer la sécurité routière via son projet de politique sur le cyclisme routier, qu'il a présenté au Cabinet le 15 novembre. La législation vise à garantir que les dispositions relatives aux bicyclettes sont intégrées à la fois dans les infrastructures routières existantes et dans les projets de nouveaux développements. S'engageant à réparer les routes de Chaguaramas, qui sont très fréquentées par les cyclistes, le ministre a également indiqué que le Code de la route et la loi sur la circulation routière des véhicules à moteur du pays avaient été mis à jour afin d'imposer des amendes et des points d'inaptitude aux personnes commettant des infractions liées au cyclisme.

Entre 2019 et 2020, le ministère a certes mené à bien un projet de réfection des routes à Chaguaramas, qui comprenait une voie cyclable de 6,4 km, mais les réactions ont été mitigées. La mesure a été accueillie positivement par certains, tandis que d'autres ont jugé les barrières de protection le long de la route trop fragiles pour être d'une quelconque utilité en cas d'accident.

D'ici 2019, Sinanan a fait remarquer que si le gouvernement s'engage à mettre en place des infrastructures adéquates, il incombe aux citoyens d'être plus responsables sur les routes du pays.

Cette croyance selon laquelle « l’approche disciplinaire suffit » est, selon Darmanie, contre-productive

Nous estimons que les lois, les amendes et l'appel à la responsabilité personnelle peuvent résoudre tous les problèmes imaginables.. […] Peut-être que cela est efficace dans les régimes autoritaires, mais nous constatons à maintes reprises des échecs dans les démocraties […] Certains facteurs de conception encouragent intrinsèquement les conducteurs à accélérer, en suggérant inconsciemment que cette pratique est sécuritaire, indépendamment de la limitation de vitesse. Pour résoudre ce problème, il faut créer un environnement non propice à la vitesse.

S'exprimant lors d'une cérémonie d'inauguration des travaux peu de temps après le décès de Harris en juillet, Sinanan a déclaré que l’espace était un facteur inhibant des efforts d’amélioration de la sécurité des cyclistes autour de Queen's Park Savannah.

En réalité, les infrastructures appropriées pour les usagers de la route font défaut, en raison d'une combinaison d'entretien inadéquat, « de contraintes d'espace » et de mauvaise planification urbaine. Si un réaménagement complet n'est pas forcément envisageable, d'autres approches sont possibles. M. Darmanie a indiqué que des mesures d'atténuation de la circulation –notamment des passages pour piétons surélevés, des tables de vitesse, des revêtements texturés et des voies de circulation plus étroites — peuvent être mises en œuvre sur les routes dangereuses. Il est également possible d'élargir les trottoirs et de créer simultanément des pistes cyclables protégées, comme c'est le cas dans des villes très peuplées comme New York. Il pourrait également y avoir des journées réservées aux piétons et aux vélos sur certaines routes afin d'encourager les gens à sortir dans un environnement plus sûr, et le gouvernement pourrait envisager la suppression ou la réduction des droits d'importation et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les vélos et les équipements de sécurité, ainsi que l'introduction d'incitations budgétaires pour l'installation de râteliers à vélos et de douches dans les bureaux du secteur public et privé.

En fin de compte, M. Darmanie estime toutefois que les routes locales devraient être réaménagées pour encourager les vitesses plus lentes. « Toute agence élaborant une politique de gestion du trafic dans les zones urbaines sans se concentrer sur le risque de décès des piétons et des cyclistes en fonction de la vitesse de déplacement d'un véhicule agit de manière extrêmement irresponsable avec la vie des citoyens. » Le facteur présentant la plus étroite corrélation avec les accidents de la route est le nombre total de véhicules-kilomètres parcourus. En d'autres termes, plus on conduit, plus il y a de décès. Un système de transport en commun sûr et fonctionnel pourrait contribuer à réduire ces chiffres à long terme.

Un autre obstacle doit être franchi : l'éthique. La planificatrice des transports Onika Morris-Alleyne a déclaré à Global Voices que « les piétons et les cyclistes sont mis en danger par les mentalités et les approches centrées sur l'automobile dans les domaines de l'infrastructure, de l'exploitation et de l'application. » M. Darmanie est d'accord, expliquant : « Nous ne voyons absolument pas l'interconnexion entre les décisions prises par les différents ministères et agences […] Le ministère de la Santé a récemment lancé la campagne TT Moves pour augmenter l'activité physique. Bien sûr, la meilleure façon d'accroître l'activité physique est de l'intégrer dans nos modes de transport quotidiens. Pourtant, la quasi-totalité de notre planification urbaine est articulée sur les attentes de la conduite automobile, et nos décisions en matière de transport font de même. »

« Ce n'est pas que nous n'avons pas de planification urbaine en cours à T&T », a-t-il poursuivi, « c'est que les résultats que nous obtenons sont une conséquence directe de l'approche particulière de la planification que nous avons adoptée depuis l'indépendance. » Le pays n'a pas anticipé ni réagi efficacement au changement, ne voyant pas comment un plus grand nombre de vélos sur la route peut également profiter aux conducteurs (moins d'embouteillages), aux commerçants (plus de clients) et à l'environnement (moins d'émissions de gaz à effet de serre).

Morris-Alleyne, quant à elle, a déclaré « qu'en l'absence d'une approche globale et étudiée » d'une politique nationale des transports, « nous continuerons à tourner en rond. »
La solution miracle n'existe pas– mais Trinité-et-Tobago peut s'inspirer de certains exemples de réussite pour élaborer des « politiques et approches adaptées au contexte ». Faisant remarquer que « tous les environnements de transport sont une combinaison unique de géographie, d'infrastructure et de culture », Mme Morris-Alleyne a affirmé:

La principale solution est la conception de systèmes de transport axés sur les personnes, qui est liée à de nombreuses autres questions dans les domaines de l'aménagement du territoire, de la santé publique et de l'éducation. […] La conception des infrastructures est probablement l'aspect le plus critique et le plus tangible. Concevons-nous nos infrastructures pour déplacer et protéger les voitures ou pour déplacer et protéger les personnes?

La réponse coule de source pour les nombreuses familles qui ont perdu des êtres chers dans des accidents de la route.

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