Khodanour Lajai : icône de la révolution

Œuvre d'art d’Assad Binakhahi. Utilisée avec autorisation.

Depuis deux mois en Iran, des manifestations sans précédent rassemblent des milliers de personnes dans la rue pour protester contre la République islamique. Le soulèvement, qui a débuté en réponse à la mort de Mahsa (Zhina) Amini, a été qualifié par beaucoup de révolution, et a produit des images devenues des symboles d’espoir, emblématiques de la résistance.

L’une des images les plus marquantes liées à ce soulèvement est la photographie traumatisante d’un jeune homme iranien baloutche, Khodanour Lajai, prise lors de son arrestation par les autorités iraniennes, qui témoigne de la torture dont il a été victime. Devenue virale, elle montre Lajai à l’intérieur d’une prison, assis sur le sol, avachi et épuisé, les bras et les jambes liés à un poteau.

Khodanour Lajai pendant son emprisonnement. Source de la photo : Haalvsh, utilisée avec permission

Les rapports officiels accusent Lajai d’avoir été impliqué dans un conflit avec un homme affilié à la garde révolutionnaire iranienne en juillet 2022. Ce dernier a par la suite utilisé des relations familiales pour faire arrêter et torturer Lajai.

Sur la photographie en question, on aperçoit une tasse d’eau, juste hors de portée de Lajai. Toujours selon les rapports, le gobelet d’eau avait été placé à cet endroit pour narguer Lajai, qui s’était plaint d’avoir soif. Les autorités ont publié la photo en ligne dans le but d’humilier le jeune homme, mais l’ironie du sort a voulu que ce geste fasse de Lajai une icône de la lutte pour la liberté.

La vie ou la mort

Khodanour Lajai, 27 ans, était un membre sans-papiers de la communauté baloutche d’Iran. Les Baloutches constituent une minorité ethnique et religieuse, concentrée dans le Sistan-Baloutchistan, la province la plus pauvre du pays. Victimes de taux d’exécution disproportionnellement plus élevés, les Baloutches sont systématiquement criminalisés, notamment en période de troubles politiques.

Malgré une enfance pauvre et difficile, l’entourage de Lajai le décrit comme une personne optimiste, qui faisait preuve d’une grande joie de vivre. Ses publications sur les réseaux sociaux étaient suivies par un grand nombre de personnes et reflétaient l’amour de Lajai pour la danse et la musique.

Après son arrestation, Lajai a été emprisonné pendant un mois avant que ses amis ne parviennent à réunir suffisamment d’argent pour obtenir sa libération.

C’est donc après sa libération, que Lajai a participé aux manifestations dans la ville de Zahedan contre le gouvernement iranien le 1er octobre 2022, jour aujourd’hui connu sous le nom de « vendredi sanglant de Zahedan ». Pendant les manifestations, les autorités, qui ont tiré sans discernement sur la foule, ont blessé et tué de nombreux Baloutches. Khodanour Lajai est décédé ce jour-là de ses blessures, à l’hôpital.

Halvash, l’une des rares organisations de défense des droits de l’homme qui se concentre sur le Baloutchistan iranien, a été la première à relater l’histoire de Lajai. Shirahmad Shirani-Naroui, militant des droits de l’homme chez Halvash, a confirmé à Global Voices que l’organisation avait documenté les mauvais traitements infligés à Lajai par les responsables de la prison, et qu’elle avait rendu la photo publique une fois qu’elle avait appris qu’il avait été tué. « Lorsque nous avons reçu la nouvelle du décès de Khodanour après le massacre de Zahedan, je le connaissais déjà en raison des abus qu’il avait subis auparavant. »

Baloutche emprisonné en Iran pendant plus de dix ans, Shirani-Naroui souligne l’importance de la couverture des questions baloutches par des organisations non gouvernementales. « La République islamique profite de l’absence de sources d’information indépendantes pour mener une vaste campagne de propagande contre le peuple baloutche et entacher son image en les qualifiant à tort de terroristes, de séparatistes et de criminels. »

Le jour du massacre de Zahedan, le 1er octobre, est considéré comme le plus sanglant depuis le début des manifestations en Iran. D’après Amnesty International, « la majorité des victimes ont reçu des balles dans la tête, le cœur, le cou et le torse, ce qui trahit une intention claire de tuer ou de blesser gravement. »

Shirani-Naroui précise, en outre, que beaucoup des personnes abattues, dont Lajai, ne seraient peut-être pas mortes si elles avaient reçu des soins médicaux une fois à l’hôpital. « Comme d’autres Baloutches, Khodanour aurait pu survivre s’il avait reçu des soins médicaux appropriés, mais il a lui aussi victime de chantage. On a refusé à ces blessés des soins médicaux, à moins de confesser, sur vidéo, qu’ils faisaient partie de certaines organisations ou groupes armés, ce qu’aucun d’entre eux n’a accepté. »

Un symbole d’innocence

Après sa mort, la photo de Lajai torturé en prison a refait surface sur Internet. Parallèlement, plusieurs vidéos le montrant souriant, riant et dansant, issues de son compte personnel sur les réseaux sociaux, sont devenus virales. Très bien illustré dans ces vidéos, c’est le contraste entre le bonheur et la liberté auxquels aspire le peuple iranien, et la souffrance et le deuil auquel le gouvernement condamne ce peuple, qui a tristement rendu célèbre Khodanour Lajai.

Lors d’un match de la première ligue de futsal iranienne, le 11 novembre, Hashem Shirali, un joueur du club Zarand, a fait la une des journaux pour avoir adopté la même posture que Lajai après avoir marqué un but.

Ce geste symbolique a également été copié par Miad Yazdani, un joueur du Chuka Talash Football Club, après avoir marqué un but le 12 novembre. 

En Iran, des militants ont reproduit « la posture » de Lajai dans plusieurs rues et endroits variés du pays, tandis que des dizaines d’étudiants ont manifesté leur sympathie pour Khodanour et le peuple baloutche en s’alignant symboliquement en rang, à l’Université kurde du Kurdistan à Sanandaj.

Traduction : Aucun iranien ne devrait perdre la vie inutilement… Nous sommes tous Khodanour #Khodanour_Lajaei, et honorés par les actions des étudiants de l’Université du Kurdistan.

Des artistes de tout le pays ont érigé des sculptures, partagé des dessins et posté des illustrations en ligne.

Traduction : Pour Khodanour… 💔 Ta danse me serre tellement le cœur… Demain, quand nous serons libres, nous danserons en suivant ta coutume [baloutche].

Pour le 40e jour après la mort de Lajai, les Iraniens du monde entier ont marqué l’évènement en postant des selfies reproduisant sa posture en prison. D’énormes protestations ont également été organisées à Los Angeles, par la communauté iranienne, qui a utilisé cette posture dans le cadre d’un spectacle artistique élaboré pour leur manifestation. On a vu aussi la danse emblématique de Khodanour imitée par une jeune fille portant des vêtements baloutches, au pied de la tour Azadi (« liberté ») à Téhéran.

La sensibilisation de la société au sort des Baloutches en Iran est l’un des objectifs les plus importants des militants des droits de l’homme comme Shirani-Naroui. « L’histoire de Khodanour illustre la manière dont nous pouvons montrer l’humanité de notre peuple au reste du monde. »

Malheureusement, la reconnaissance de ce drame au niveau international n’atténue pas la douleur pour la famille de Lajai. Dans un clip audio mis en ligne, la mère de Lajai parle des rapports uniques qu’elle entretenait avec son fils. « Mon fils était quelqu’un d’exceptionnel. Dieu n’a créé personne d’autre comme lui ». Elle raconte que Khodanour, le seul homme à la maison, était une figure paternelle pour la famille et l’a aidé à élever ses filles. Il avait l’habitude d’embrasser sa mère et de dire qu’il sacrifierait sa vie pour elle. Lorsqu’elle répliquait qu’elle ferait de même pour lui, il répondait : « Je prie jour et nuit pour que Dieu me prenne avant de prendre ma mère. » Quand elle lui disait de ne pas dire cela, il lui répondait que Dieu exaucerait son souhait.

« Je brûlerai aussi longtemps que je serai en vie, conclut sa mère dans l’enregistrement. Il n’existe pas de remède à ce chagrin. Ma douleur ne s’atténuera que lorsque ma tombe sera à côté de celle de mon fils. »

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