Fin de la politique « zéro Covid » en Chine : une réouverture du pays parsemée d'obstacles

La Chine est sur le point de mettre un terme à sa politique « zéro Covid » après une vague de manifestations organisées en réaction à un incendie mortel qui s'est déclenché dans une résidence confinée de Urumqi, dans la région de Xinjiang, le 25 novembre dernier. Toutefois, le chemin vers la réouverture du pays s'annonce parsemé d'embûches.

Bien que le variant Omicron soit moins virulent que ses prédécesseurs, en Chine, le nombre de décès et de formes graves de la maladie pourrait devenir colossal étant donné le faible taux de rappel de vaccin et d'immunité acquise suite aux précédentes vagues d'infections, et l'insuffisance d'infrastructures médicales au niveau local.

Malgré tout, après trois ans de confinement et de contrôle strict, la population chinoise en a visiblement plus qu'assez de la politique zéro Covid et exige un changement de la situation. Par ailleurs, les autorités locales manquent d'argent pour financer les tests PCR quasi-quotidiens , les centres de quarantaine, et les confinements à répétition.

Prévision du nombre de décès

Un expert chinois en contrôle des maladies infectieuses estime que le pays risque de faire face à plus de 2 millions de décès s'il opte pour la stratégie sanitaire de Hong Kong, beaucoup moins stricte que celle de la Chine continentale. Une autre estimation avance le nombre d'environ 1,5 million de morts.

Voici⬇️ la raison pour laquelle le gouvernement chinois se trouve entre le marteau et l'enclume : même si près de 88% de la population est vaccinée, les décès provoqués par Omicron sont estimés à 1,55 million et la demande de soins intensifs à 15, 6 fois plus (!) que la capacité actuelle.https://t.co/cGApDyXmbU

— Arnaud Bertrand (@RnaudBertrand) 27 novembre 2022

À Hong Kong, le taux de mortalité durant l'épidémie d'Omicron au mois de mars dernier était le plus élevé parmi les pays développés en raison d'un taux de vaccination relativement faible chez les personnes âgées. Au plus fort de l'épidémie, le taux de mortalité était de 37,7 millions de personnes, alors qu'en Nouvelle-Zélande, il était de 2,1 millions.

La Chine vient de lancer une campagne vaccinale des personnes âgées afin de réduire les pressions sur son système de santé. Actuellement, seulement 68% des personnes âgées de 60 ans et plus ont reçu une dose de rappel, et pour celles âgées de 80 ans et plus, le taux chute à 40%

La Chine n'est pas du tout préparée à une résurgence de cas de Covid-19. Parce qu'elles n'ont pas été exposées au virus, très peu de personnes sont immunisées, et le taux de vaccination chez les personnes âgées est extrêmement faible.

4/https://t.co/FT74QqhN23 pic.twitter.com/9Bc5BygVJ9

— Prof Francois Balloux (@BallouxFrancois) 27 novembre 2022

Par conséquent, atteindre son objectif d'un taux de vaccination complète de 90% chez les plus de 80 ans pourrait prendre des mois.  Et la réticence vaccinale chez les personnes âgées risque de ralentir la campagne de vaccination.

Afin de gagner du temps, un allègement des restrictions anti-Covid a débuté dans plusieurs grandes villes, comme Guangzhou, Shanghai et Beijing, qui bénéficient de meilleures infrastructures médicales et où la frustration de la population suite aux confinements à répétition a poussé les classes moyennes à manifester dans les rues.

Depuis quelques jours, Shanghaï et d'autres villes ont annoncé que les habitants n'avaient plus besoin de présenter un test négatif récent pour se rendre dans les centres commerciaux ou utiliser les transports en commun.https://t.co/0IY2z2P4KN

— The Economist (@TheEconomist) 6 décembre 2022

Cependant, après la réouverture des villes, le variant Omicron va certainement se propager rapidement dans les provinces les plus pauvres du pays où le taux de vaccination est faible et les centres médicaux insuffisants.

Financement de la politique « zéro Covid »

Paradoxalement, l'impasse dans laquelle se trouve la Chine en ce moment résulte de son succès à empêcher le virus de se propager dans la communauté grâce à ses politiques zéro Covid draconiennes qui reposaient sur le dépistage en masse par RT-PCR, des règles d'hygiène strictes, le confinement de provinces, la quarantaine obligatoire pour tout patient contaminé, les restrictions de déplacement, la propagande en faveur de la politique zéro Covid, et plus encore.

De larges sommes provenant de ressources et d'investissements publiques ont financé la construction d'infrastructures pour lutter contre le virus au lieu de développer des centres médicaux  et promouvoir la vaccination. Comme le précise Kenneth Roth, défenseur des droits humains :

Pourquoi Xi Jinping s'obstine-t-il avec ses confinements « zéro Covid » si draconiens? Pendant qu'il dépense des milliards au profit de la censure et de la répression, « la capacité de la Chine en lits de soins intensifs est inférieure à 4 pour 100 000 habitants comparé à 30 pour 100 000 habitants aux États-Unis.»

https://t.co/7eOrHT8NYI

— Kenneth Roth (@KenRoth) 28 novembre 2022

En réalité, selon des journaux de la Chine continentale, plus de 2 000 hôpitaux privés ont dû fermer leurs portes ces trois dernières années en raison d'un manque d'activités, faute de patients. En 2020, le revenu total des établissements médicaux privés dans l'ensemble du pays s'élèvait à 373,5 milliards de yuan (soit 53,5 milliards de dollars), les dépenses totales à 525,6 milliards de yuan (soit 7,3 milliards de dollars) et le déficit à 150,2 milliards de yuan (soit 21,5 milliards de dollars).

Quant aux hôpitaux publics, la majorité de leurs ressources furent canalisées vers le dépistage de masse, et ils se sont endettés auprès des fournisseurs de tests alors que les autorités locales sont maintenant à court d'argent.

La politique zéro Covid coûte cher! Des centaines de millions de tests PCR par jour représentent énormément d'argent et les autorités locales sont maintenant ruinées au moment où la Chine doit faire face à une crise croissante de la dette et où les revenus provenant de la vente de terrains se tarissent.

https://t.co/qU0qRQy1hI

— Astoria Seafood Enthusiast 🦀 (@DanKCheng) 3 décembre 2022

Outre les tests PCR, le budget des autorités locales a servi à la construction et à la gestion des centres de quarantaine ainsi qu'au financement d'agents de services sanitaires temporaires qui, dernièrement, ont organisé des manifestations afin d'exiger le versement de leurs arriérés de salaire.  L'une de ces manifestations a eu lieu à Shanghaï  au début du mois de novembre :

Avant les manifestations contre la politique zéro Covid, la construction des centres de quarantaine dans tout le pays se poursuivait toujours en préparation d'une épidémie du variant Omicron durant l'hiver, comme le gigantesque centre de Guangzhou :

Le plus grand centre de quarantaine de la ville chinoise de Guangzhou est en pleine construction et contiendra 90 000 cellules d'isolement.

pic.twitter.com/7VdAJpki5q

— Songpinganq (@songpinganq) 27 novembre 2022

Un bon nombre de ces projets sont à présent suspendus suite à la nouvelle politique du gouvernement qui autorise la quarantaine à domicile pour les personnes asymptomatiques.

Changement de discours et nouvelle orientation des débats

Le changement soudain de politique est aussi accompagné d'un changement de discours à propos de la politique de santé du pays et de coronavirus. Durant trois ans, les médias chinois ont diffusé des informations qui glorifiaient la politique zéro Covid et diffamaient la stratégie « Vivre avec le Covid-19 » adoptée par d'autres pays. Beijing considère sa politique comme la vitrine d'un gouvernement responsable et transparent.

Mais les évènements ont pris une autre tournure. La ville de Guangzhou, située à côté de Hong Kong, a publié, sur sa célèbre tour, un communiqué célébrant l'individualisme libéral.

Message affiché sur la Tour Canton de Guangzhou en Chine :
« La santé relève principalement de la responsabilité de chacun.»
Guangzhou signale la fin de la politique zéro covid, probablement par étapes 

pic.twitter.com/CpvHaU1mGC

— Zhao DaShuai 无条件爱国 (@zhao_dashuai) 1 décembre 2022

Hu Xijin, un influenceur nationaliste âgé de 62 ans, est l'un des premiers à avoir changé de discours. Le 2 décembre dernier, il a déclaré à ses abonnés qu'il était prêt à contracter le virus, et a suggéré le 5 décembre que la population devrait le considérer comme une grippe banale :

Dans de nombreuses régions chinoises, les mesures de lutte contre le virus se sont considérablement assouplies et d'ici peu les restrictions de déplacement dans tout le pays devraient pratiquement disparaître. Il est temps pour la population chinoise de considérer la Covid-19 comme une infection grippale. L'opinion publique évolue avec les changements de la politique.

— Hu Xijin 胡锡进 (@HuXijin_GT) 5 décembre 2022

Cependant il est beaucoup trop tôt pour affirmer si la Chine retrouvera les libertés dont elle bénéficiait avant la pandémie. Sur ce point, les avis au sein du Parti communiste chinois sont encore partagés.

Le 6 décembre dernier, Jiang Yu, chercheur au Centre de développement et de recherche du Conseil des affaires d'État, a écrit un long article critiquant Hu Xijin pour sa comparaison de la Covid-19 à une simple grippe et estimait qu'en un an, plus d'un million de personnes pourraient décéder si la Chine optait pour une ouverture du pays. Jiang Yu précise que, d'un point de vue culturel et politique, la population chinoise n'acceptera jamais d'abandonner les personnes âgées à leur sort.

Même si les  médias traditionnels ne diffusent plus l'article de Jiang Yu, il est toujours disponible sur les sites Internet affiliés au parti et fait l'objet de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. Par exemple, sur Weibo, Zhou Guoqing, un journaliste politique avec 1,86 million d'abonnés, a attaqué l'opinion sans pitié de Hu Xijin qui met en péril les vies des 267 millions de chinois âgés de plus de 60 ans.

Vu que le changement de politique est intervenu subitement, sans concertation, il est probable que le pays sombre dans le chaos lorsque le nombre de décès commencera à augmenter de manière substantielle.

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