Appel à l'action à l'occasion de la Journée internationale des migrants : mettre fin au travail forcé et rétablir l'agence des travailleurs

Œuvre d'art de Mariam A., utilisée avec permission.

La coupe du monde au Qatar a une fois de plus mis en exergue les réalités sur les conditions des travailleurs migrants ; des histoires de meurtres, de lésions et de conditions de travail dangereuses pour ceux qui ont participé à la construction de l'infrastructure pour célébrer l’événement ont surgi.

Le journal britannique The Guardian estime à 6500 le nombre de travailleurs migrants décédés ces dix dernières années depuis l'attribution de la coupe du monde. Ce rapport attire l'attention notamment sur des questions importantes liées à l'exploitation des travailleurs migrants par des employeurs publics et privés également.

Cependant, l'accent mis sur les travailleurs qui ont participé à la construction a rendu invisible dans l'opinion publique un autre groupe important : les travailleurs migrants domestiques. Les travailleuses du sud et du sud-est de l'Asie et de l'Afrique constituent quasiment 17% des 41,4 millions de migrants dans les pays du Golf, la majorité trouve du travail dans le secteur domestique. Le Qatar seul compte 1,8 million de ces travailleurs.

La Journée internationale des Migrants est un moment opportun pour demander le démantèlement des problèmes structuraux qui sous-tendent l'exploitation des travailleurs et attirer l'attention pour restaurer leur agence.

Le système Kafala est le régime d'immigration sous-jacent aux conditions de travail forcé, qui régule les contrats de travail des immigrants dans la majeure partie des pays du Golfe, excepté en Irak. Le système lie l'emploi et la condition migratoire des travailleurs et la liberté du mouvement des employés, ce qui propage le travail forcé et sape l'action des travailleurs.

La Kafala est un excellent exemple de régimes de visas restrictifs et exploitants qui régissent l'emploi temporel ou liés dans d'autres contextes, ce qui laisse s'installer des situations similaires à la traite des migrants.

L'alliance mondiale contre la traite des femmes a signalé des formes d'abus et des conditions de travail forcé qui permettent les régimes restrictifs de visas dans des pays tels que les États-Unis, par exemple.

Sous le système de kafala, les travailleurs peuvent être déportés s'ils quittent leurs emplois sans permission écrite par leurs employeurs. Les travailleurs restent également complètement dépendants des employeurs pour rénover leurs visas, ce qui élimine leur droit de déterminer le lieu où ils souhaitent vivre ou travailler. Cela signifie que les travailleurs ont très peu de pouvoir d'action pour rencontrer des alternatives pour leurs salaires ou conditions de travail déficientes. En plus de cela, les travailleurs sont exposés à des vols de salaires fréquents, ils manquent de paye et sont sujets à un excès de travail sans vacances hebdomadaires ni repos réguliers durant la journée.

Dans de nombreuses situations, les employés confisquent des documents d’identité comme les passeports, à l'entrée et restreignent même l'accès aux téléphones portables limitant le contact avec les familles, ce qui restreint de façon importante l’indépendance des travailleurs. Les travailleurs domestiques sont spécialement vulnérables de par la nature de leur travail qu'ils effectuent dans les foyers des employeurs.

Au vu de la culture d'impunité qui entoure de tels abus et la persécution criminelle des travailleurs qui « s'enfuient » des maisons de leurs employeurs, les employeurs n'ont quasiment aucune responsabilité.

Une étude novatrice réalisée par Egna Legna, une organisation de travailleurs migrants dont le siège est au Liban, a découvert que 68% des travailleurs sur un échantillon de quasiment mille travailleurs domestiques migrants dans le pays ont au moins rencontré une situation de harcèlement sexuel.  Les auteurs sont pour la majorité des employés (70% des cas dénoncés), ainsi que des amis et des membres de la famille des employeurs (40%).

Les travailleurs se sont vu refuser l'accès à la justice, parmi eux on compte le peu de travailleurs qui ont répondu à l'étude qui se sont rapprochés des forces de l'ordre publique et qui ont été virés ou a qui on a demandé d'être prudents ou même de fuir. L'abus effréné avec peu d'aide des autorités locales, en plus de l'isolement des familles, a un impact sévère sur la santé mentale des travailleurs : plusieurs personnes interrogées avaient pensé à se mutiler ou à se suicider.

Une autre réalité surprenante est la fétichisation et l'abus des migrants noirs. Les travailleurs originaires de la région africaine nous rapportent qu'ils subissent différentes formes de violence physique, verbale et sexuelle de façon plus régulière que les travailleurs des autres pays.

Les systèmes d'immigration des pays d'origine jouent également un rôle dans l'augmentation de la vulnérabilité des travailleurs. En Éthiopie par exemple, l'envoi de travailleurs domestiques vers les pays du Golfe a été interdit, bien que les agents continuent de les recruter et de les loger de façon illégale. Les travailleurs se voient obligés d'accéder aux pays du Golfe via des visas de visite et restent plus de temps que prévu ; ce qui expose une exploitation majeure de la part des agents, employés et autorités locales.

L'alliance mondiale contre la traite des femmes souligne que les politiques qui restreignent le mouvement des femmes comme justification pour réduire la traite poussent les travailleurs à emprunter des routes illégales de migration. Pour les femmes migrantes, la migration peut offrir l'indépendance, puisque leurs options de subsistance dans leurs pays d'origine peuvent se voir limitées par les normes générales et d'autres facteurs. Nous avons besoin de systèmes qui protègent les droits des travailleurs plus que les systèmes qui cherchent à détenir une migration complète.

Le Qatar s'est transformé en l'un des premiers pays à réformer le système de kafala en 2020, avec l'objectif de réduire le contrôle absolu qu'ont les employeurs sur la condition légale des travailleurs migrants dans le pays. Les travailleurs au Qatar ne sont pas obligés de recevoir des certificats de non-objection de leurs employés avant de changer de travail ou avant la fin de leur contrat, comme s'est encore le cas dans d'autres pays.

Les réformes ont également établi un salaire minimum plus élevé pour tous les travailleurs, ce qui a fait que le Qatar se retrouve être le second pays du Golf derrière le Kowait à avoir une réglémentation pour le salaire minimum. Le pays a aussi adopté une loi pour les travailleurs domestiques en 2017, avec des réglementations sur les contrats de travail, les heures de travail et de pension.

Cependant, comme l'a souligné la Fédération internationale des Travailleurs du Foyer, la mise en oeuvre de ces lois et réformes reste quand même déficiente : plus de la moitié des demandes pour changer de travail continuent d'être refusées. Le syndicat a lancé des appels au Gouvernement du Qatar pour qu'il travaille avec des groupes de travailleurs migrants afin de mettre en oeuvre ces réformes.

L'organisation des travailleurs est l'un des moyens principaux pour rompre avec ces cycles d'isolement et d'abus. Les syndicats et collectifs informels de travailleurs ont réussi à s'affirmer alors que le système kafala dénie toute liberté d'association. Les syndicats restent incapables de s’enregistrer et d'obtenir des droits de négociation collective malgré la prise de conscience parmi les travailleurs et l'offre de services essentiels comme la représentation légale et la réponse à la crise. Dans la majorité des pays du CCG et de nombreuses juridictions au niveau mondial, les travailleurs domestiques sont explicitement exclus de la législation du travail et des protections sociales.

Il y a des chemins et des moyens évidents pour restaurer l'action et la dignité des travailleurs.

D'abord la réforme et l'abolition du système kafala sont nécessaires pour délier la condition migratoire de la condition du travail. Les travailleurs domestiques doivent s'intégrer dans les marques de la législation du travail national avec les protections adéquates pour le salaire minimum, les heures et conditions de travail et la protection sociale.

Les travailleurs domestiques doivent également figurer dans la réglementation nationale concernant le harcèlement sexuel, comme la loi 205 au Liban, qui a été récemment approuvée pour protéger les travailleurs contre la violence au lieu de travail, mais cela ne donne pas des  avantages supplémentaires pour garantir la protection des travailleurs domestiques.

Une seconde variante de la réforme doit se centrer sur les lois concernant l'immigration dans les pays d'origine, comprenant la levée des interdictions discriminatoires sur la migration, les programmes de réintégration pour les travailleurs qui reviennent et la signature d'accords bilatéraux pour protéger les droits des travailleurs.

D'autres demandes exploitables comprennent l'aide aux travailleurs qui subissent des abus via les ambassades locales des pays d'origine, et l'accès à la justice par l'intermédiaire des fonctionnaires de police formés au droit du travail .

Il est essentiel de ratifier les standards globaux concernant la migration, notamment le protocole de 2014 concernant le travail forcé de 1930 et les conventions 189 sur les travailleurs domestiques et 190 sur l'élimination de la violence et du harcèlement.

Ces réformes exigent par-dessus tout un changement des régimes d'immigration qui ont pour objectif de pénaliser les travailleurs qui fuient des conditions économiques dévastatrices vers des systèmes qui promeuvent des routes migratoires en sécurité et qui rétablissent l'action des travailleurs.

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