Quelle sera la prochaine action du Président érythréen Isaias Afwerki après une trêve douteuse ?

Un réservoir rouillé vu au bord de la route dans le nord de l'Éthiopie, non loin de la frontière avec l'Érythrée. C'est un rappel poignant du passé tumultueux encore récent de la région. source d'images ; gordontour Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Générique (CC BY-NC-ND 2.0)

Un tank rouillé vu au bord de la route dans le nord de l'Éthiopie, non loin de la frontière avec l'Érythrée. C'est un rappel poignant du passé tumultueux encore récent de la région. Source de la photo; gordontour Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Générique (CC BY-NC-ND 2.0)

Les estimations des deux années de combats en Éthiopie auraient entraîné la mort de 383 000 à 600 000 civils et de 250 000 à 600 000 soldats. Un processus de désengagement est actuellement en cours, mais il est loin d'être achevé. Il n'est pas clair non plus si le cessez-le-feu tiendra puisque les troupes érythréennes continuent de piller les maisons et les entreprises tigréennes tout en tuant les résidents locaux.

Cette guerre, contrairement à plusieurs autres en Afrique, ne tire pas ses origines de la religion ou l'ethnicité. Elle est le produit de tensions, qui remontent au XIXe siècle et à l'expansion impériale connue sous le nom de « ruée vers l'Afrique ». L'Empereur éthiopien Menelik II (qui a régné de 1889 à 1913) s'est joint aux nations européennes pour étendre considérablement son territoire. L'Éthiopie a été transformée d'un royaume principalement chrétien en un empire regroupant plus de 80 groupes ethniques, dont beaucoup étaient musulmans.

Cela a produit des tensions entre le centre de l'empire et la périphérie. Les conséquences se ressentent encore. Depuis lors, l'Éthiopie est en proie à des conflits sur la question de savoir si le pouvoir doit appartenir au gouvernement central ou aux régions et aux groupes ethniques.

L’Érythrée [fr], un territoire d'environ 117 600 kilomètres carrés au nord de l'Éthiopie et bordant la mer Rouge,  s'est séparée après une guerre d'indépendance de 30 ans (1961-1991) et est devenue une nation pleinement reconnue en 1993. Les Tigréens de la région voisine au nord de l'Éthiopie se sont battus aux côtés des Érythréens, capturant la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, avec l'aide de l'Érythrée en 1991. Les Tigréens sont devenus le parti au pouvoir en Éthiopie et ont transformé l'Éthiopie en un État fédéral fort, basé sur l'ethnicité. Les différences avec les Érythréens sur l'idéologie, la stratégie et la tactique se sont aggravées et de 1998 à 2000, ils ont mené une dure guerre frontalière. Un accord de paix a finalement été signé et une commission internationale a statué sur la frontière, mais le gouvernement éthiopien, alors contrôlé par les Tigréens, a refusé d'accepter le jugement. 

Cela est resté non résolu, avec des conséquences tragiques, comme le souligne le rapport Bertelsmann Transformation Index 2022 . « La frontière entre les deux pays n'a pas été délimitée en raison de l'opposition du gouvernement régional du Tigré. Au lieu de démobiliser son armée recrutée de force, le gouvernement érythréen s'est engagé dans une guerre non déclarée contre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) aux côtés des forces fédérales éthiopiennes depuis novembre 2020, ce qui a entraîné une catastrophe humanitaire.

Un conflit international éclate

En 2018, les Tigréens ont perdu le pouvoir en Éthiopie et le Premier ministre Abiy Ahmed a fait la paix avec le dirigeant érythréen, le président Isaias Afwerki. Les deux hommes partageaient une aversion commune pour les Tigréens et complotaient pour les détruire en tant que force sérieuse.

La guerre qui a éclaté le 4 novembre 2020 a déclenché des meurtres et des abus sexuels à une échelle effroyable. « Le conflit du Tigré a été marqué par une extrême brutalité. La gravité et le nombre de cas de violations et d'abus que nous avons documentés soulignent la nécessité de poursuivre les responsables de ces abus des deux côtés », a déclaré Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux Droits de l'Homme.

Le 4 novembre 2020, les armées de l'Érythrée et de l'Éthiopie, soutenues par des conscrits somaliens et des milices ethniques de plusieurs régions d'Éthiopie, ont envahi le Tigré. La guerre était, dès le début, un conflit international. Les Éthiopiens avaient signé un accord de sécurité tripartite avec l'Érythrée et la Somalie en septembre 2018, qui sous-tendait leur relation. Les troupes érythréennes et somaliennes ont été jetées dans la mêlée. De loin, le nombre le plus important était érythréen, dont beaucoup étaient de jeunes recrues prises dans le système de conscription indéfinie connu sous le nom de « service national ». 

Malgré cela, les Tigréens ont résisté et, à la fin de 2021, ils ont avancé si loin vers le sud que la communauté internationale a commencé à faire partir du personnel d’Addis-Abeba. À la fin de l'année dernière, le conflit s'est arrêté difficilement et n'a été relancé avec une férocité accrue qu'en août de cette année, avec de nouvelles attaques de toutes parts contre la région. 

Quel avenir pour l'Érythrée ? 

En supposant que la guerre soit maintenant terminée – et cela ne peut pas être tenu pour acquis – quel est l'agenda caché du Président de l'Érythrée, Isaias Afwerki, dans sa manche ? En tant que leader national qui a mené la lutte de 30 ans du pays pour l'indépendance de l'Éthiopie (qui s'est terminée [fr] en 1993), le président s'est simplement accroché au pouvoir. Il ne s'est jamais présenté à des élections et n'a pas de constitution ou d'Assemblée nationale fonctionnelle ; il n'est responsable devant personne.

L'Érythrée a le pire score mondial sur l'indice de gouvernance BTI, avec seulement 1,12 point sur 10 possibles, ce qui lui vaut un classement « échec ». Le président ne fait confiance qu'à ses plus proches collaborateurs du parti au pouvoir – le Front populaire pour la démocratie et la justice (PFDJ) – et à l'armée, et même ceux-ci sont régulièrement changés de sorte qu'ils n'ont pratiquement aucune autorité.

Bien qu'il règne sur une population minuscule et pauvre d'environ 3,5 millions d’habitants (environ, puisqu'il n'y a pas eu de recensement récent), le dirigeant érythréen se considère comme une force dirigeante dans la Corne de l'Afrique. A ce titre, il est intervenu chez tous ses voisins, de la Somalie, au Soudan, en passant par l'Ethiopie.

Sa relation avec le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed remonte officiellement à 2018, lorsque les deux hommes ont signé un accord de paix en Arabie saoudite. Depuis lors, leurs forces ont combattu côte à côte dans le Tigré. Pourtant, la relation n'est pas sans tension. Le Président érythréen a résisté aux demandes visant le retrait des troupes érythréennes d'Éthiopie, ce qui a été réclamé lors de la récente cessation des hostilités à Nairobi, qui stipule que le désarmement aurait lieu « en même temps que le retrait des forces étrangères… de la région ».

Au lieu de cela, l'Érythrée a commencé à former des milices du groupe ethnique Amhara dans une région du nord de l'Éthiopie qui borde le Tigré – les Fano – qui sont généralement hostiles au dirigeant éthiopien. Le Président Isaias a précédemment utilisé des forces étrangères pour menacer les dirigeants voisins de recourir à la force. En 2011, par exemple, les Nations unies ont signalé que l'Érythrée était à l'origine d'une attaque «massive» planifiée contre un sommet de l'Union africaine à Addis-Abeba, utilisant des rebelles éthiopiens. Il serait faux de supposer qu'une attaque similaire est maintenant sur les cartes, mais le Fano pourrait être utilisé pour faire pression sur le Premier ministre Abiy.

D'autres scénarios incluent la réactivation de conflits avec Djibouti voisin ou l'intervention au Soudan. Cela laisse la Corne de l'Afrique dans une position précaire, avec une guerre inachevée au Tigré et des conflits dans plusieurs autres régions éthiopiennes, tandis que la Somalie continue de combattre les militants islamiques et que le Soudan se trouve dans une position précaire suite au récent accord de paix entre les militaires et les civils. Il est impossible de prédire ce que le président Isaias pourrait faire ensuite, mais sur les performances passées, on peut être certain qu'il souhaitera étendre son influence au-delà de ses frontières, s'attaquant aux conflits qui continuent de tourmenter la région.

L'auteur de ce billet, Martin Plaut, est un journaliste indépendant et chercheur principal à l'Institute of Commonwealth Studies, spécialisé dans la Corne de l'Afrique et l'Afrique australe. Il est l'ancien rédacteur en chef Afrique de BBC World Service News. 

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