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Twi Wikimedians partagent leurs perceptions de la sécurité numérique et leurs pratiques autour de celle-ci

Catégories: Médias citoyens, Rising Voices

Illustration de Hashim Samiru pour Rising Voices

Une version de cet article est disponible sur  Twi [1]

Par Maria Alvarez Malvido et Zita Ursula Zage, sur la base de l’ouvrage de Zita « Digital Security Vulnerabilities among Minority Linguistic Wikimedian Communities : The case of the Twi Language Wikimedians Group ».

La langue en un coup d'œil

« Le twi est un dialecte de la langue akan parlé par des millions de personnes dans le sud et le centre du Ghana, principalement par le peuple akan, le plus grand des 17 principaux groupes ethniques du Ghana. Le twi compte environ 17 à 18 millions de locuteurs au total, y compris les locuteurs de langue seconde ; environ 80 % de la population ghanéenne parle le twi comme première ou seconde langue. » – Wikipédia [2]

Reconnaissance : Le twi est une langue officielle de la région Ashanti du Ghana et est reconnu comme une langue minoritaire au Ghana.

Statut linguistique : 3 (communication élargie). Langue de travail nationale de facto. Cette langue est utilisée au travail et dans les médias sans statut officiel pour transcender les différences linguistiques au sein d'une région. – Échelle EGIDS, Ethnologue [3]

Ressources de sécurité numérique dans cette langue :

L'autodéfense de surveillance de l'Electronic Frontier Foundation en twi par Localization Lab (CC BY 3.0 US). [4]

Outils de sécurité numérique dans cette langue :

Signal ❌
TOR ❌
Psiphon ❌

Le groupe des wikimedistas du twi [5] est un organisme à but non lucratif qui travaille pour augmenter la présence d'une des langues indigènes du Ghana dans le monde numérique. Grâce à leurs stratégies engagées de création et traduction de contenus, il existe une page wikipédia disponible pour les personnes parlant la langue twi. Cependant, défendre et s'organiser collectivement sur toutes les régions n'est pas une petite affaire, et cela nécessite de nombreuses stratégies de sécurité numérique qui restent encore à concevoir et à appliquer.

Zita Ursula Zage est une des membres fondatrices de ce groupe. En tant que membre de la communauté Wikimedia et activiste numérique elle a travaillé sur de nombreux projets avec des leaders et des membres de cette organisation, dont la série Twi Wikipedia Translatathon. A partir de son expérience dans la communication et dans l'organisation par l'intermédiaire de nombreux groupes internes sur WhatsApp, elle identifie les problèmes liés au spam, le piratage et l'extraction des données qu'il faut prendre en compte pour la sécurité du groupe et la continuité de son action.

Zita cherche à trouver la raison de cette situation, et a commencé l'enquête « Vulnérabilités de la sécurité parmi les communautés linguistiques minoritaires wikimédiennes : Le cas du groupe wikimédiens sur twi ». Selon son analyse d'articles scientifiques, nouvelles et rapports gouvernementaux, et les captures d'écrans ; notes de terrain d’observations virtuelles et de sa propre expérience, Zita a interrogé trois membres de l'exécutif de l'organisation : deux femmes et un homme, tous âgés de 25 à 30 ans et qui parlent la langue twi. Un est administrateur d'un groupe WhatsApp qui compte plus de 71 participants.

Ces militants ne se contentent pas de mettre leur langue en ligne, ils utilisent également des outils numériques pour la revitaliser. À quoi ressemble ce processus dans le contexte de l'accès bon marché, mais limité à l'Internet au Ghana ?

L'accès à Internet au Ghana et les Wikimédiens twi

Ce groupe de linguistes activistes en ligne prend racine à Kumasi et Accra, les deux villes les plus peuplées du Ghana.Leurs membres sont en majorité des natifs qui parlent la langue twi et des étudiants de cette langue à l'Université de Sciences et Technologies Kwame Nkrumah. Ils organisent des activités de formation, des ateliers de traduction et des concours autour des projets de la fondation Wikimedia. Leur travail en tant qu'activistes et groupe dispersé géographiquement, est dépendant de leur accès à Internet, ce qui suppose une difficulté constante quand la qualité de la connexion dans la région est tout le temps incertaine.

L'alliance pour un Internet abordable a découvert que le Ghana profite du quatrième Internet le moins cher de l'Afrique australe. [6]Selon un rapport politique publié en 2017 [7] par le centre international de formation Kofi Annan pour le maintien de la paix, au moins 16 millions de Ghanéens ont accès à Internet. Cependant, comme le révèlent les interviews de l'étude et l'expérience directe de Zita, l’accessibilité relative du réseau Internet au Ghana implique des services Internet lents et de faible qualité qui limitent énormément les expériences des utilisateurs pour l'ouverture de sites Web, voir des contenus audiovisuels et exécuter des programmes en ligne.

D'un autre côté, un rapport de 2013 du Bureau Fédéral des investigations des Etats-Unis (FBI) [7] indique que le Ghana est la deuxième source de cyberfraude et d’escroqueries financières en Afrique. Ces cybercrimes sont appelés localement « 419 » ou « sakawa », un terme qui n’est pas entièrement traduisible en anglais, mais qui fait référence à « des pratiques illégales qui combinent la fraude moderne sur Internet avec des rituels traditionalistes africains ». Selon Zita, cela affecte non seulement l’économie ghanéenne, les étrangers refusant de faire des affaires avec des individus ou des entreprises locales, mais affecte également d’autres processus locaux pertinents comme ceux de la revitalisation linguistique.

Ainsi ce contexte affecte les wikimédistas twi qui se connectent à Internet en utilisant leurs propres ordinateurs portables et téléphones mobiles. Zita ajoute :

As much as the community members of this group have access to the internet and they do spend a lot of time on the internet performing various activities including, creating or editing articles on Wikipedia, using social media applications and performing internet banking, their safety on the internet is at risk.

Autant les membres de la communauté de ce groupe ont de loin un accès à Internet et passent beaucoup de temps en ligne en réalisant diverses activités, tels que créer ou éditer des articles sur Wikipédia, utiliser des applications de réseaux sociaux et réaliser des opérations bancaires via Internet, autant  leur sécurité sur Internet est en danger.

Au vu de ce contexte qui nous est exposé et en prenant en compte un scénario meilleur pour la sécurité du groupe, Zita a instauré quatre thèmes principaux qui informent sur les recommandations présentes ci-après

Pratiques digitales et connectivité

Les membres interviewés ont un accès à Internet et la majeure partie se connecte en utilisant leurs téléphones et les téléphones portables. Quand ils se connectent à Internet, ils utilisent avant tout des applications de réseaux sociaux, éditent des articles en twi ou sur Wikipédia en anglais, réalisent des transactions bancaires via Internet et cherchent des informations. Cependant, l'accès limité à Internet devient une frustration et, au long terme constitue un frein pour leur travail. Zita nous explique :

All three people who participated in the interview pointed out that poor internet connection and the cost of internet are the most pressing challenges they and members of their community face. Due to the COVID-19 pandemic, a lot of the group’s workshops were converted to online events and hence I had a chance to participate in some of their online workshops. During the workshops, it was realized that most participants were not able to follow what was being taught since a lot of them kept dropping in and out of the meetings due to poor internet connection. This created some level of frustration for the organizers and participants when they are not able to yield productive results after spending several hours online.

Les trois personnes qui ont participé à l'interview ont signalé que la mauvaise connexion Internet constitue l'un des défis les plus urgents auxquels elles et les membres de leur communauté font face. A cause de l'épidémie de COVID 19, de nombreux ateliers du groupe ont été convertis en événements en ligne et, par conséquent, j’ai eu la chance de participer à certains de leurs ateliers en ligne. Pendant ces ateliers, je me suis rendu compte que la majeure partie des participants ne pouvaient pas suivre ce qui était enseigné, et que de nombreuses personnes entraient et sortaient des réunions à cause de la mauvaise connexion Internet. Cela a créé un certain niveau de frustration parmi les organisateurs et les participants quand ils n'ont pas pu obtenir de résultats productifs après avoir passé de nombreuses heures en ligne.

Vulnérabilités de la sécurité numérique

Parmi les vulnérabilités communes identifiées parmi les membres du groupe se trouvent le spam, la piraterie informatique, l'usurpation d'identité et le vol d'identité. Le spam (envoi de nombreux messages publicitaires non demandés à un grand nombre d'utilisateurs) est généralement produit dans trois groupes WhatsApp administrés par les membres du groupe. Les trois participants aux interviews ont confirmé qu'il y a eu des incidents via les spams et, d'après l'étude, il y a souvent eu des cas de pirates informatiques qui utilisent les comptes ou les numéros des membres.

Pratiques en matière de sécurité numérique

Il y a des moyens pris par les membres afin de garantir leur sécurité en ligne, qu'ils apprennent de bouche à oreille, à travers des vidéos YouTube, des cours particuliers ou à partir d'information en ligne. Les trois participants ont des connaissances basiques de sécurité numérique et sont conscients de son importance, en particulier la sécurité liée aux plateformes de réseaux sociaux et les applications de messagerie. Cependant, les trois ont expérimenté séparément une situation de piratage.

De plus, les trois participants affirment avoir plus confiance en WhatsApp qu'en Facebook (ou toute autre application de messagerie) pour sa fonction de chiffrage de bout en bout et la fonction d'authentification de deux facteurs, qui les ont aidés à se sentir un peu plus en sécurité quand ils l'utilisent. Apprendre de cette perception de prise en compte de la nécessité de stratégies autour des connaissances et de la correspondance individuelle et collective avec la sécurité en ligne. Zita explique :

This was very interesting for me to learn because a report by ProPublica claimed WhatsApp messages are not end-to-end encrypted. And WhatsApp is now owned by Meta (Facebook in the past). And, just like Meta, WhatsApp undermines the privacy protection of its users. These platforms harvest users’ meta data and use the data for advertisement purposes without their knowledge. Most people including myself use WhatsApp and all other social media platforms without reading their privacy policy. So many users from my community are not even aware of the level of data Whatsapp is harvesting from them.

Cela a été très intéressant pour moi de l'apprendre parce qu'un rapport de ProPublica a affirmé que les messages de WhatsApp ne sont pas cryptés de bout-en -bout. Et WhatsApp est maintenant une propriété de Meta (anciennement Facebook). Et comme Meta, Whatsapp néglige la vie privée et la protection de ses utilisateurs. Ces plateformes récoltent les métadonnées des utilisateurs et les utilisent à des fins publicitaires sans le savoir. La majorité, y compris moi-même, utilise WhatsApp et toutes les plateformes de réseaux sociaux sans lire les politiques de confidentialité. Tout comme de nombreux utilisateurs de ma communauté qui ne sont même pas au courant de la quantité de données que WhatsApp collecte sur eux.

 Ressources de sécurité numérique

Une autre leçon à retenir de cette étude c'est l'impossibilité actuelle pour trouver du matériel éducatif sur la sécurité numérique disponible en langue twi. En dehors d'un manuel en langue yoruba [8] et un autre en igbo [9], il n'y a pas de matériel de ce type dans d'autres langues indigènes d'Afrique. Les participants à l'enquête ont également confirmé qu'ils n'ont trouvé aucune ressource en twi pour s'instruire sur la sécurité digitale et les lois politiques qui garantissent leur sécurité en ligne.

La création de matériaux et contenus locaux se trouve être une nécessité, avec des défis qu'il y a à prendre en compte. Comme on dit : « Les gens continuent de dire que quand la connaissance est donnée dans votre langage, il est très facile de l’attraper ou de la comprendre,  mais je m'inquiète ensuite de la manière dont certains termes informatiques peuvent être traduits dans ma langue. »

Aller de l'avant

Pour Zita, Internet est devenu une infrastructure fondamentale au Ghana et facilite l'engagement d'utilisateurs individuels, des entreprises et des efforts comme l'ont réalisé les wikimedistas twi pour préserver une langue indigène. Zita donne quelques idées pertinentes sur sa perception de la sécurité numérique et ses vulnérabilités. Elles se basent sur les recommandations suivantes pour une utilisation plus sûre d'Internet, qui requiert que diverses parties intéressées lancent des actions pour atteindre une information plus locale et accessible :

Le groupe de wikimédiens twi est déjà en train de réclamer et reprendre l'espace pour faire de l'Internet un lieu sûr pour la diversité au Ghana et dans le monde. Un effort délibéré doit être fait, pour que les utilisateurs et activistes twi créent et communiquent en toute sécurité, en continuant leur travail comme étant enraciné dans la langue et la mémoire collective de tous les locuteurs twi.

Pour plus d'histoires et d'informations sur les communautés linguistiques participantes, veuillez consulter la page du projet. « Sécurité numérique et langues » [10]