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Undertones en Inde : infiltration dans les réseaux de suprémacistes hindous

Catégories: Asie du Sud, Inde, Ethnicité et racisme, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Religion, Country Monitor Observatory 2021-2022, L'observatoire des médias citoyens

Cet article est extrait d’Undertones, la newsletter de l’Observatoire civique des médias (Civic Media Observatory [1]) de Global Voices. Il offre le résumé d’une étude de l’écosystème médiatique en Inde, étalée sur un an, et de ce à quoi nous pouvons nous attendre en 2023. Pour plus de détails et d’articles étayant les informations fournies, nous vous invitons à consulter les nombreux liens hypertexte présents tout au long de l’article. Abonnez-vous à Undertones [2].

Au cours de l’année 2022, les discours d’extrême droite hindous ont gagné à la fois en visibilité et en virulence, et nos chercheurs pensent que cette tendance va se poursuivre en 2023. Les politiciens suprémacistes hindous s’appuient sur l’islamophobie pour exister ; et les messages antimusulmans diffusés dans les sphères numériques continueront probablement à se traduire par des politiques discriminatoires et des violences physiques dans le monde réel.

Opération dinfiltration

Les récits nationalistes hindous dominent les discours politique et médiatique en Inde, mais les chercheurs de l’Observatoire civique des médias ont entrepris de s’intéresser plus particulièrement aux racines de la radicalisation en ligne. Dans ce but, sous des pseudonymes destinés à plaire aux nationalistes hindous, ils se sont infiltrés dans des groupes privés via Facebook, Whatsapp et Telegram, et ont pu constater le matraquage médiatique auquel s’adonne l’extrême droite hindoue. Ces chercheurs ont complété leurs investigations en analysant les médias les plus en vue et les discours hors ligne qui prolifèrent dans les cercles sociaux de ces groupes. Leurs recherches ont permis de révéler la façon dont ces groupes en ligne font peu à peu évoluer le discours public vers la droite.

Hindutva

Lorsque Narendra Modi est devenu Premier ministre en 2014, avec le puissant parti politique, le Bharatiya Janata Party (BJP), les récits axés sur le thème de l’hindouisme ont investi les devants de la scène dans les médias grand public. Alors même que près de quatre Indiens sur cinq se déclarent hindous, le BJP est arrivé au pouvoir en affirmant que « les hindous sont démographiquement et culturellement menacés par les musulmans [3] ». Chiffres mis à part, les Indiens hindous, musulmans, ainsi que les autres minorités religieuses, contribuent depuis des siècles au melting-pot culturel que représente l’Inde aujourd'hui.

L’Inde abritant des dizaines de cultures et de langues distinctes, le BJP a décidé d’utiliser le terme « Hindutva » pour ratisser le plus large possible auprès des électeurs hindous. Idéologie qui consiste à fusionner les identités indienne et hindoue pour faire de l’Inde un État ethnoreligieux, l’Hindutva rejette ainsi activement les valeurs laïques de ce pays [4], pourtant inscrites dans la Constitution. L’Hindutva est la croyance que l’Inde est intrinsèquement une nation hindoue ; or, ce discours fait planer un risque de nettoyage ethnique pour les musulmans indiens et les autres minorités. En focalisant toute l’attention sur la suprématie hindoue, et son corollaire, l’islamophobie, le BJP cherche à faire oublier les problèmes économiques et politiques du pays.

Ces discours se retrouvent sous leurs formes les plus virulentes sur Internet, par le biais des plateformes de Telegram ou Facebook. Récupéré en amont, le contenu choisi est diffusé sur des pages dédiées à la désinformation sur les réseaux sociaux, puis atterrit, en aval, sur les chaînes de télévision grand public. Il convient de mentionner que la mainmise du BJP sur les instances du pouvoir du pays empêche le développement d’une opposition politique crédible et d’une presse libre. Ainsi, peu de place est accordée à la diversité des contenus et des points de vue. Les critiques et les journalistes qui expriment des opinions différentes de celles du gouvernement sont automatiquement qualifiés d’antinationaux [5].

Principaux thèmes étudiés en 2022

Dans le graphique interactif ci-dessous, vous pouvez voir la relation entre les thèmes majeurs que nous avons étudiés et les types de discours qui les entourent. Par exemple, on constate ici que les discours concernant la situation au Cachemire sont principalement pro-autoritaires, puis, dans une moindre mesure, pro-Hindutva et anti-musulmans.

Expansionnisme

Certains partisans de l’Hindutva vont même plus loin et embrassent des idéologies expansionnistes. Par exemple, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les mêmes groupes qui promeuvent l’Hindutva ont immédiatement diffusé des discours sur une « Inde unie » [6], qui engloberait d’autres pays d’Asie du Sud, en particulier le Pakistan, ainsi que les territoires contestés du Cachemire. Ce discours a été largement relayé en Inde et pourrait potentiellement être ravivé par de futurs éléments ou évènements déclencheurs.

Modi et d’autres politiciens, comme  Yogi Adityanath [7], qui prônent l’Hindutva, font figure de mâle dominants, et sont considérés par beaucoup comme étant les seuls capables de faire de l’Inde une superpuissance mondiale [8]et de conduire le pays à la « prospérité » [9].

La haine antimusulmane

Le discours islamophobe en ligne a des conséquences concrètes directes. Les violences collectives à l’encontre des musulmans indiens sont en augmentation et des mosquées sont menacées d’être transformées en temples hindous. Même le Taj Mahal a été ciblé pour être converti en lieu de culte hindou. De plus, dans le cadre de ce qui a été appelé la « justice du bulldozer », les autorités publiques démolissent parfois des entreprises familiales appartenant à des musulmans, notamment à New Delhi et dans l’Uttar Pradesh. Parallèlement, les médias projettent une mauvaise image des unions amoureuses interconfessionnelles, en particulier lorsque l’homme est musulman et la femme hindoue, sous prétexte que les femmes sont forcées de se convertir à l’islam au nom du « djihad de l’amour » [11].

« Le BJP a utilisé le terme “djihad de l’amour” pour instaurer un climat de peur chez les hindous, en les convainquant que les hommes musulmans essayaient d’apporter un changement démographique dans le pays, en épousant et en convertissant des femmes de leur communauté. Cette rhétorique a gagné en popularité en 2022. À l’approche des élections générales de 2024, nous pouvons nous attendre à ce qu'elle soit utilisée pour justifier des lois anti-conversion dans un plus grand nombre d’États indiens », explique notre chercheuse Ananya.

De même, les reportages des médias sur le bien-être des femmes se concentrent uniquement sur les femmes musulmanes, qui auraient besoin « d’être sauvées de l’oppression de l’islam. » [12]Cette image est construite en opposition à l’image de la femme hindoue, libérée et autonome. Les médias colportent des récits néfastes, tels que celui selon lequel « les Indiens musulmans sont violents et non éduqués » [13], qui finissent par influencer le discours public autour des politiques antimusulmanes.

 

Ce qui nous attend en 2023

En 2023, l’Inde accueillera le sommet du G20 à New Delhi. Cet événement donnera probablement un coup de fouet aux récits pro-Modi, qui dépeignent le Premier ministre comme un super-héros sur la scène mondiale, et le BJP comme le sauveur de l’Inde. Des élections législatives clés sont également prévues dans 10 États, ce qui pourrait entraîner un durcissement des discours concernant les musulmans indiens.

« Même si Modi essaie de redorer son image sur la scène internationale, l’Inde est une nation souveraine qui se plaît à clamer que “personne ne peut nous dire ce que nous devons faire” », nous explique notre chercheur, Setu Bandh Upadhyay.

La chercheuse, Shubhangi Heda, ajoute même que « l’Inde est un grand marché économique et est considérée, en Asie du Sud, comme un gouvernement stable, c’est-à-dire bon pour faire des affaires, notamment par la Silicon Valley. » Cela signifie que malgré le durcissement de ces discours néfastes et une population de droite enhardie qui bafoue les droits des minorités, il ne serait pas surprenant que Modi, son gouvernement et ses partisans puissent continuer leur petit jeu sans être dérangés par la communauté internationale.

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