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La fusion de groupes armés séparatistes risque d'accentuer la crise politique et sécuritaire au Mali

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Mali, Droits humains, Élections, Gouvernance, Guerre/Conflit, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique

Capture d’écran de la Chaîne YouTube de Tv5monde Info [1]

Au Mali, la fusion de trois groupes armés séparatistes de la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) signifie-t-elle une nouvelle étape dans l'impasse politique et sécuritaire du pays?

Le Mali est un pays relativement grand en raison de sa superficie d’ 1.2 million km² qui réunit deux grands groupes ethniques [2], les arabo-berbères au nord,  et les subsahariens au sud. Le pays compte en tout une soixantaine d'ethnies qui inclut, entre autres, les Bambaras (23,9 %) vivant principalement dans le district de Bamako [3],  les Sénoufos (12,2 %), les Songaï (8,9 %), les Soninkés (8,8 %), les Fulani du Maasina (8 %), les Peuls (8%), les Maninka (7,9 %), les Dogons (5,5 %).

Depuis 2012, le pays traverse une grave crise identitaire, suite à la guerre du Mali [4] (2012), provoquée par une insurrection de groupes djihadistes et indépendantistes pro-Azawad. Ces organisations politiques et militaires majoritairement touarègues et actives au nord du Mali annoncent le 28 octobre 2014 la création d'une coordination des mouvements de l’Azawad [5] (CMA).

Le CMA est composé du Mouvement national pour la libération de l’Azawad [6] (MNLA), du Mouvement arabe de l’Azawad [7] (MAA) et du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad [8] (HCUA) qui en sont les trois principaux mouvements, même si d’autres groupes sont aussi présents. Tous ces groupes luttent ensemble contre l’État malien, avec toutefois des objectifs différents, et sont tous signataires de l’accord de paix pour la réconciliation du Mali (Accord d’Alger [9]) signé le 15 mai et le 20 juin 2015.

En décembre 2022, la CMA suspend sa participation aux mécanismes de mise en œuvre de l'accord de paix, tout comme la quasi-totalité des groupes armés signataires. La CMA dénonce [10] “ l'absence persistante de volonté politique” du gouvernement du président malien Assimi Goïta [11] à mettre en œuvre l'accord de paix. Le 27 janvier 2023, la Coordination fait de nouveau volte face en indiquant à travers un communiqué [12]son retrait de la commission chargée de la finalisation du projet de la nouvelle constitution du Mali.

Selon ce communiqué, la CMA “se démarque des déclarations unilatérales d’Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères Malien, à la tribune des Nations unies le 27 janvier 2023, parlant ‘d'élans freinés’ dans la mise en œuvre de l'Accord par les mouvements signataires”.

Cet effondrement du processus de négociations renforce aujourd'hui le positionnement des groupes armés au sein de la coordination.

L'union fait la force

Le 8 février 2023, les trois groupes majeurs au sein de la coordination fusionnent en une seule entité militaire et politique. Selon Mohamed Elmaouloud Ramadane [13], membre de la CMA, ce nouvel élan devrait permettre aux rebelles du Nord d’avoir plus de poids face au gouvernement malien comme il l'explique sur Radio France Internationale [14]:

C'est une étape très importante qu'on vient de franchir, parce que la population du Mouvement le demandait depuis longtemps. Donc, c'est une chose faite aujourd'hui. C'est une nouvelle donne. C'est un nouvel élan. Si on parle d'une seule et même voix, nous avons un seul leadership, ça va beaucoup booster tout ce que nous avons comme objectif .

Ramadane réitère le même message sur compte Twitter:

Pour ce dernier, cette fusion vise à unir les efforts des mouvements armés pour faire bloc aux conflits intercommunautaires afin de parvenir au bien-être socio-politique. Il estime [17] qu'une nouvelle dénomination sera donnée à cette union avec de nouveaux emblèmes après un consensus de la nouvelle commission technique chargée des modalités pratiques de cette fusion.

Une radicalisation probable des demandes des rebelles

Il est difficile de prédire la tournure que prendront les relations entre le pouvoir de Bamako et les groupes armés au nord du pays, mais celles-ci risquent d'être encore plus tendues.

Nicolas Normand [18], ancien ambassadeur de France au Mali, interrogé par la Deutsche Welle [19], estime que des indices laissaient présager une telle alliance. La récente rencontre des responsables des groupes avec Iyad Ag Ghali [20], chef touareg du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) en serait un des signes annonciateurs. Selon le diplomate, Iyad Ag Ghali circulerait désormais librement dans la région de Kidal [21] située au nord-est du Mali, ce qui n'était pas le cas à l'époque de la présence de l’opération Barkhane [22], menée par les militaires dans la région. Selon la même source [19], Normand redoute la radicalisation de ces groupes:

Je crains que cette fusion des trois groupes armés soit un signe de cette radicalisation et des gens qui se préparent à un affrontement potentiel. Je ne pense pas qu'ils vont prendre l'initiative d'attaquer eux-mêmes l'armée malienne parce qu'ils auront le blâme de la communauté internationale. Celui qui commence les hostilités, évidemment, sera responsable et sera blâmé par toute la communauté internationale.

Un tel scénario pourrait entraîner une escalade dans les rapports de force entre le nord sous domination de la CMA, et  probablement appuyé par la GSIM, face à l’État malien de plus en plus soutenu par les Russes via le groupe armé Wagner [23]. Ceci dans un contexte où la mission de l'ONU,  la MINUSMA, fait face à trois expulsions [24] de ses responsables par les autorités maliennes et rencontre des entraves dans le monitoring des violations des droits de l’homme sur place.

Certains n'hésitent pas à parler de guerre. Ainsi le 10 février 2023, deux jours après l'annonce de la fusion des mouvements au sein de la CMA, Dr Amadou Albert Maïga [25], membre du conseil national de transition (CNT), organe législatif de la transition malienne, à travers une vidéo diffusé sur sa page Facebook, [26] prédit une guerre entre les forces maliennes et la CMA.

https://t.me/amadoumaiga1/489Pourquoi la Guerre est inévitable à Kidal ?Les raison dans cette vidéoLangue d’expression: Français

Posted by Dr Amadou Albert MAÏGA [27] on Friday, February 10, 2023

 

Les propos de Maïga ont été immédiatement dénoncés par Mohamed Elmaouloud Ramadane sur sa page Facebook [28] et relayés par Tv5monde [29] sur son site d'information.

« Nous condamnons cette déclaration va-t’en guerre venant d’un responsable de l’une des premières institutions de la République, en l’occurrence l’organe législatif du Mali, et nous prenons la communauté internationale à témoin de tels agissements. Nous prenons cette déclaration au sérieux, car apparemment, cela a été fait suite à sa sortie d’une audience que le président de la transition lui avait accordée. »

Quel avenir pour le Mali?

Pour le moment il est clair que les autorités maliennes et la CMA sont dans une impasse à propos de la mise œuvre de l'accord d'Alger censé contribuer à la réconciliation du pays. Le sujet suscite de vifs débats entre Maliens comme en témoigne cette discussion sur twitter [30] organisée par Mamadou Ismaila Konate [31], avocat aux barreaux de Mali et Paris, ancien garde des Sceaux et ministre de la Justice du Mali, le 16 février 2023.

Une des principales questions du débat porte sur le contenu de la nouvelle constitution malienne en attente de finalisation: Assimi Goïta partira-t-il juste après son mandat de transition à la tête du pays, ou aura t-il la possibilité d’être candidat aux prochaines élections présidentielles? D'autre part, la coordination des mouvements de l’Azawad, qui ne prend pas part à ce processus, se pliera-t-elle aux exigences de la nouvelle constitution et abandonnera-t-elle sa lutte pour une indépendance de la grande région du nord?

Autant de questions sensibles auxquelles seule une vraie et sincère réconciliation du Mali permettra de trouver des réponses.