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Le tribunal militaire ougandais défie la décision d'arrêter de juger des civils

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Ouganda, Droits humains, Jeunesse, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique

Une capture d'écran d'une vidéo montrant Sanya Muhydin protestant contre sa détention de deux ans et son procès devant un tribunal militaire

Un nouveau procès lundi 30 janvier 2023 de trois personnes accusées de diffuser une propagande [1] néfaste contre l'armée ougandaise a mis en lumière l'utilisation répressive des tribunaux militaires en Ouganda. L'un des accusés était Agaba Anthony, également connu sous le nom de Bobi Young, qui a été le garde du corps du musicien ougandais devenu homme politique et ancien candidat de l'opposition à la présidence, Bobi Wine [2] [fr]. Les deux autres inculpés étaient des officiers en service. L'acte d'accusation indique que le trio a diffusé de mauvaises déclarations dans les régions des districts de Kazo, Mbarara et Kampala.

L'utilisateur de Twitter, Byamugisha Moses, a tweeté une photo de l'acte d'accusation :

Voici la feuille d'inculpation de Bobi Young et de ses deux coaccusés devant la cour martiale. Même les détails de l'infraction eux-mêmes ne peuvent permettre à l'accusé de plaider avec compétence.
C'est si triste, nous vaincrons.

pic.twitter.com/xp7Oyv6U29 [3]

  1. — Byamugisha Moses (@ByamugishaMoses) 31 janvier 2023 [4]

Le Président ougandais Yoweri Museveni est au pouvoir depuis 37 ans à la suite d'un coup d'État en 1986. Depuis lors, les opposants politiques à son régime ont été brutalement arrêtés et emprisonnés. Kizza Besigye, quadruple candidat à la présidence, a été emprisonné à plusieurs reprises depuis 2001 et s'est exilé [5] en Afrique du Sud pendant quatre ans. Lors des élections générales de 2021, le gouvernement avait interdit toutes les campagnes politiques publiques invoquant la prévention du COVID-19. Pourtant, Bobi Wine a continué à organiser des rassemblements publics qui ont conduit à son arrestation le 18 novembre 2020, entraînant par conséquent des manifestations à l'échelle nationale au cours desquelles 50 personnes ont été tuées par des agents de sécurité et des centaines d'autres ont été arrêtées.

L'armée ougandaise gère également une cour martiale qui fait partie de cette répression, et c'est le tribunal où Young et deux autres ont été inculpés. Le tribunal est censé juger les officiers de l'armée en service. Cependant, il juge également des civils dans des affaires concernant la sécurité nationale et a jugé des dirigeants politiques, dont Bobi Wine, à la suite de son arrestation lors d'une campagne électorale partielle à Arua, dans la région du Nil occidental, en 2018, pour trahison [6].

Avant son inculpation, Bobi Young avait été enlevé par des hommes en civil et embarqué dans une camionnette Toyota Hiace [7], un véhicule que l'armée ougandaise utilise pour arrêter des militants politiques de l'opposition et connu sous le nom de drone [8] en raison de sa vitesse, de sa stabilité sur la route et sa capacité à livrer dans des conditions difficiles.

Bobi Wine a posté un commentaire pour protester contre l'enlèvement et le procès de civils devant le tribunal militaire :

Le camarade Bobi Young a été secrètement traduit devant la cour martiale militaire aujourd'hui soir et accusé de « diffusion de propagande nuisible ». Il avait disparu depuis 8 jours suite à son enlèvement ! Nous condamnons cet abus de pouvoir et ce procès de civils dans des tribunaux militaires fantoches !

pic.twitter.com/e74xrHR263 [9]

— BOBI WINE (@HEBobiwine) 30 janvier 2023 [10]

Wine est le principal politicien de l'opposition qui conteste le règne de 37 ans du Président Museveni. Il est devenu célèbre au début des années 2000 en tant qu'artiste dont la musique citait les défis auxquels les gens sont confrontés, en particulier dans les ghettos. En 2018, il a été élu député de la circonscription de Kyadondo East lors d'une élection partielle. Puis, il s'est présenté à la présidence en 2021 et est arrivé deuxième.

Le procès de Bobi Young devant la cour martiale intervient après que la cour constitutionnelle ait statué en décembre 2022 qu'il était illégal pour la cour martiale de juger des civils. Le journal ougandais Daily Monitor a cité [11] la juge Elizabeth Musoke :

Je déclare que la loi UPDF de 2005, dans la mesure où elle peut être comprise comme conférant compétence aux tribunaux militaires pour juger des civils, est inconstitutionnelle et donc nulle et non avenue,…

J'ordonne que les déclarations de culpabilité et les peines de civils résultant d'affaires criminelles jugées par des tribunaux militaires avant la date de cet arrêt soient valides. Cependant, à l'avenir, tout procès de civils par des tribunaux militaires et toute décision qui pourrait être prise lors de ces procès pour convaincre et/ou condamner des civils seront, à compter de la date du présent jugement, invalides, nulles et non avenues.

La juge Musoke faisait référence aux Forces de défense du peuple ougandais (UPDF), qui sont l'armée nationale.

Dans la même décision, elle avait demandé que toutes les affaires en attente de jugement et celles qui ont été partiellement entendues soient transférées aux tribunaux civils. Cependant, la cour martiale continue de juger des civils. Le mardi 31 janvier 2023, l'un des civils arrêtés lors des élections de 2021 a protesté [12] contre la manière dont la cour martiale a mené les procès les détenant pendant plus de deux ans. On peut l'entendre dans la vidéo ci-dessous dire que le tribunal aurait dû les condamner pour avoir soutenu Bobi Wine si c'est pour ce crime dont ils sont accusés.

Aujourd'hui 32 @NUP_Ug [13] ont comparu devant le tribunal militaire. Nos avocats ont protesté sur la base de la décision de la Cour constitutionnelle mais ils ont été ignorés. Le camarade Sanya Muhydin s'est encore une fois soulevé et a protesté contre cette détention sans procès pendant plus de deux ans. Il a été étranglé et violemment emporté!

pic.twitter.com/fv48tQvnwr [14]

— David Lewis Rubongoya (@DavidLRubongoya) 31 janvier 2023 [15]

Plusieurs personnes ont été émues par la décision audacieuse de Sanya de s'opposer à la cour martiale tandis que d'autres s'inquiétaient de ce qui lui arriverait après son retour en prison.

L'utilisateur de Twitter @woundedUgandan a salué l'audace de Sanya.

SANYA !
Laissez ce nom pénétrer.

Votre voix était plus forte et bien entendue !
La liberté est un droit !#FreeAllPoliticalPrisonersinUganda [16]

pic.twitter.com/IOgHRVZeMr [17]

— #BringBackOurPeople🇺🇬 (@woundedUgandan) 31 janvier 2023 [18]

Une autre utilisatrice de Twitter, @HillaryTaylorVI, qui s'identifie comme Justice Hunter dans son profil, a estimé que si tous les Ougandais avaient le courage de Sanya Muhydin, il serait alors plus facile d'évincer le Président le plus ancien au pouvoir.

Si nous tous, Ougandais, n'avions qu'une once de courage de Sanya Muhydin, nous serions maintenant libérés de la captivité du despote Museveni.

Plus besoin de prendre des pincettes.

#ResistMuseveni [19]#FreeAllPoliticalPrisonersInUganda [20] pic.twitter.com/l0PV70F3p7 [21]

— Justice Hunter 🇺🇬🇺🇸 (@HillaryTaylorVI) 1 février 2023 [22]

De nombreux Ougandais ont peur de dénoncer le régime et les méfaits du Président Museveni par crainte d'être arrêtés ou même tués.

Il y a des dizaines de partisans de Bobi Wine en prison. En 2022, le chef de l'opposition de la Plateforme d'unité nationale (NUP), Mathias Mpuuga, a présenté [23] devant le parlement et plus tard devant la Commission ougandaise des droits de l'homme (UHRC) une liste de 25 personnes dont on ne sait pas où elles se trouvent. Un article de l'UHRC sur son site Web citait la chef de la commission, Mariam Wangadya, déclarant [24] que sept des 25 personnes disparues avaient depuis été libérées. On peut y lire :

Le NUP a répondu à la demande de la Commission dans une lettre datée du 29 novembre 2022 fournissant des informations détaillées sur les 25 personnes présumées disparues, y compris leurs photos ; les dates auxquelles elles auraient disparu ; et les contacts de leurs proches. Cependant, nos enquêtes ont jusqu'à présent établi que 7 des 25 personnes présumées disparues ont été libérées en décembre 2022 et ont depuis retrouvé leur famille.

Tout cela se produit alors même que le fils du président, le général Muhoozi Kainerugaba, un officier de l'armée en service, continue d'organiser des rassemblements [25] à travers le pays et de tweeter des déclarations menaçant [26] d'attaquer le pays voisin, le Kenya.

Avec tout ce qui se passe pour le fils du Président, Bobi Young rejoint des dizaines de jeunes dans les prisons ougandaises pour avoir parlé de la situation politique dans leur pays. On ne sait pas quand Bobi Young et les autres retrouveront un jour la liberté.