Le Burkina Faso change de stratégie dans sa lutte contre les attaques djihadistes

Carte du Burkina Faso, Capture d'écran de la chaine Youtube de France 24

Touché par des conflits armés et une insurrection djihadiste depuis 2015, le Burkina Faso demeure la proie d’une grande instabilité politique et sécuritaire. Le gouvernement semble tenter une nouvelle stratégie en invitant la Russie à la place de la France, et en faisant appel à des volontaires pour défendre le pays.

Une succession de coups d'État

Depuis les années 80, Le Burkina Faso est marqué par des transitions politiques souvent violentes. En 1987, Blaise Compaoré arrive au pouvoir à la suite d'un coup d'État contre le père de la révolution Burkinabè Thomas Sankara. Après sa chute en 2014, le pays est mené par un Conseil National de Transition (CNT) qui essuie une autre tentative de coup d’État en septembre 2015.

Quelques mois après, en décembre 2015, Roch Marc Chritian Kaboré est élu président à la suite d'élections présidentielles. Mais cette période marque un début d’une crise sécuritaire qui perdure jusqu'à aujourd'hui. Kaboré, réélu en 2020 pour un second mandat, est contraint en 2022 à la démission sous pression de l’armée. Le pays connaît un nouveau coup d'État en janvier 2023. Paul-Henri Sandaogo Damiba prend la tête du pays mais ne reste que huit mois en tant que président de transition. Il est destitué à son tour par un autre coup d'État, le dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré.

Le nouveau président annonce plusieurs réformes: une au sein de l’armée et l’autre pour la réduction du nombre des partis politiques. Le gouvernement de transition veut aussi compter sur ses citoyens, et non plus seulement sur ses partenaires stratégiques comme la France pour mettre fin à la crise sécuritaire. Malgré ces mesures, le pays continue de subir des attaques djihadistes meurtrières liées à la guerre du Sahel qui oppose plusieurs états à la mouvance al-Qaïda et à l’État islamique depuis deux décennies.

Le Burkina Faso, de part sa mixité ethnique et religieuse, est également touché par cette guerre. Le pays compte plus de 20 millions d'habitants, repartis en 60 groupes ethniques. La majorité, composée de Mossis, vit surtout au centre du pays. Les Peuls et les Touaregs vivent principalement au nord du pays. Au plan religieux, on compte une majorité de musulmans (63,8%), ainsi que de fortes communautés catholiques (26,3%), les animistes (9%) et autres religions (0,9%).

Appel aux volontaires pour la défense de la patrie

En octobre 2022, le Burkina Faso lance une campagne afin de recruter 50 000 citoyens pour le compte des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), une milice créée en décembre 2019 pour s'opposer à l’État islamique dans le Grand Sahara, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans et Ansarul Islam, actifs dans le nord du pays.

Fin novembre 2022, les autorités annoncent ainsi avoir recruté 90 000 personnes. Une décision saluée par certains Burkinabés sur Twitter:

Sabre, Barkhane et Takuba sont différentes opérations militaires menées par les troupes françaises au Burkina Faso depuis 2009. L’Initiative d’Accra est un mécanisme lancé en septembre 2017 par le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo, en réponse à l’insécurité grandissante en Afrique de l'Ouest.

Mais le déploiement des VDP exige beaucoup de moyens. L’État Burkinabé a besoin de 100 milliards FCFA (163 millions de dollars américains) pour l’envoi en mission de ces VDP. Un objectif qui est loin d’être atteint puisqu'à ce jour seulement 432 millions (706 000 dollars américains) ont été récoltés, selon les explications d'Oumarou Yaro, expert en Gestion de la Performance Sociale et en Finance Inclusive au Burkina, interrogé par la West Africa Democracy Radio (WADR).

Dans cette interview accordée à la WADR, Yaro donne les raisons de la réticence des Burkinabés à contribuer à la levée des fonds:

“(…) la crise a suscité beaucoup de déplacement et certains déplacés ont été accueillis par des familles. Ce qui a réduit leurs pouvoirs d’achat. Les revendications des salariés n’ont pas obtenu satisfaction et le coup de l’inflation, l'un des plus élevés actuellement. Certaines entreprises ont préféré contribuer en nature que de donner de l’argent. Certains Burkinabè ne sont pas sûrs que ce fonds allait être bien géré. Ce qui a incité le gouvernement à faire des points réguliers à la population”.

Ceci intervient dans un contexte complexe lié au départ récent de forces armées françaises.

Départ des troupes françaises et rapprochement avec la Russie

En janvier 2023, le gouvernement Burkinabé dénonce et met fin dans son entièreté à l'accord du 17 décembre 2018 “relatif au statut des forces armées françaises intervenant” dans le pays. Les autorités demandent ainsi le départ des troupes françaises, présentes depuis 2009, et composées de 400 soldats. Ouagadougou manifeste sa volonté de diversifier ses partenariats stratégiques en optant pour la Russie.

Certains se réjouissent de cette décision et réclament ouvertement un rapprochement avec la Russie comme l'illustre les propos d'Anicet Ouédraogo, étudiant Burkinabè cité par Africanews.

C’est une très belle initiative. Je dirais même qu’ils ont tardé. Il fallait le faire très tôt parce qu'actuellement on a besoin de partenaires francs qui peuvent réellement travailler avec le Burkina Faso.

Cette idée est reprise par Apollinaire Kyélem de Tembela, Premier ministre Burkinabè, à l'issue d'une entrevue avec Alexey Saltykov, ambassadeur de la Russie au Burkina Faso, dans le même article:

“La Russie est un choix de raison dans cette dynamique” et “nous pensons que notre partenariat doit se renforcer”.

La Russie se déclare prête: Alexandre Ivanov, l'un des représentants des instructeurs militaires russes en Centrafrique, se dit favorable  dans un courrier à “partager l'expérience” du Centrafrique pour la formation de l'armée du Burkina Faso. En visite au Mali le 7 février 2023, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères promet une aide russe au pays du Sahel et du Golfe de Guinée face aux djihadistes.

Plus de 10 000 morts depuis 2015

Différentes entités suivent de près le bilan en vies humaines au Burkina Faso depuis le début des attaques terroristes en 2015. En octobre 2018, le gouvernement burkinabè, cité par le journal LeMonde dans un article, annonce 118 morts entre avril 2015 et le 15 septembre 2018 : 70 civils et 48 membres des services de sécurité. L’AFP affirme, de son côté, que 400 personnes ont été tuées entre 2015 et mai 2019. Selon Human Rights Watch, entre avril 2019 et janvier 2020, 256 civils ont été assassinés par les djihadistes dans le pays.

Entre le 4 avril 2015 et le 31 mai 2020, dans un article du journal LeFigaro, l’Observatoire pour la démocratie et les droits de l'homme (ODDH), une ONG basée au Burkina Faso, dans son rapport répertorie 436 militaires burkinabè tués et 310 blessés par les djihadistes, 1 219 civils tués et 349 blessés par les groupes armés alors que 588 civils ont été tués par les forces armées du pays.

L'ONG Armed Conflict Location and Event Data project (ACLED) estime, dans un rapport cité par LeMonde, qu'en février 2023, le conflit a fait plus de 12 000 morts depuis 2015.

Selon le bilan du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés au jour du 11 octobre 2019, cité par le journal Lemonde, les violences dans le nord ont causé 486 000 déplacés, dont 267 000 sur la période de juillet à septembre 2019. La plupart des déplacés trouvent refuge dans les grandes villes du centre du pays et 16 000 partent à l'étranger.

La situation sécuritaire est loin de s'améliorer: le 17 février 2023, au moins 51 soldats sont tués lors d'une embuscade tendue par des djihadistes présumés dans le nord du pays, à la frontière du Mali et du Niger. En réponse à cette attaque, l’armée nationale mène de nouvelles opérations qui lui ont permis de neutraliser une centaine de terroristes.

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