Syrie : depuis les mâchoires de la mort à l'étreinte du destin

    Un secouriste des Casques blancs réconforte un Syrien ayant perdu sa famille lors du tremblement de terre. Photo de Baynana, utilisée avec permission.

Cet article d'Ayhman Al Sati a d'abord été publié sur Baynana, un média arabique, le 10 février 2023. La version ci-dessous a été éditée pour être republié dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Pouvons-nous faire nos adieux à la mort ? Elle ne nous entend pas et ne nous répond pas. Elle refuse de nous quitter, nous suivant partout où nous allons. Nous pouvons fuir vers des régions ou des pays plus sûrs, mais la sécurité reste insaisissable.

Des secousses mortelles ont percé le calme et secoué avec fureur la nuit du 6 février, en Turquie. Des bâtiments se sont effondrés, emprisonnant les habitants en leurs intérieurs en un clin d'œil. La fureur du tremblement de terre s'est ensuite propagée en Syrie, causant des ravages à Lattaquié, Tartous, Hama, Alep et dans le nord-ouest du pays.

La mort n'est que trop familière dans les villes syriennes où règne l'oppression, cette compagne constante de la guerre depuis 11 ans. La peur et la destruction sont des saveurs amères que beaucoup de gens ont goûtées. L'effondrement des bâtiments et les cris d'angoisse sont devenus une musique trop familière, tandis que la sinistre attente pour la récupération des corps dans les décombres est devenue une routine. Le goût de la mort est amer, même si ses saveurs changent.

Dans le sud de la Turquie, Ahmed Saad Eldin Alsalamat, sa femme Sahab Riyadh Abou Hosainy et leurs filles Dima et Bana ont été enterrés sous les décombres. Leurs noms et leurs titres résonnent en moi ; une famille de quatre personnes, comme la mienne, originaire de ma ville natale de Tasil, située dans la région de Daraa, au sud de la Syrie. Ils avaient fui la longue mort syrienne pour se réfugier en Turquie, où la mort les attendait. Il y a des milliers et des milliers de noms comme le leur. Des personnes ayant trouvé leur dernière demeure en Turquie et en Syrie.

Ahmed et Sahab avaient deux adorables filles, Dima et Bana, toutes deux âgées de moins de six ans. Ils ont été découverts tous les quatre enlacés sous les décombres de leur maison d'asile. De leur vivant, ils s'étaient accrochés l'un à l'autre pendant des années, déterminés à n'affronter la mort que dans l'étreinte de l'autre. Après avoir échappé à l'emprise amère de la mort dans leur propre pays, ils ont enduré l'amertume du déplacement et ont trouvé refuge dans un pays étranger, pour finalement succomber à la mort là-bas.

Le tremblement de terre a frappé le nord-ouest de la Syrie, une région que la Russie et la Syrie appellent les zones « hors du contrôle de l'État », mais nous aimons les appeler les zones libres de tout contrôle dictatorial. Nous recevons fréquemment des rapports faisant état de dizaines de personnes tuées par les frappes aériennes russes et syriennes. Les habitants se sont lassés de cette mort quotidienne, du flot constant de destruction et de l'inévitable fuite vers des camps surpeuplés.

Aujourd'hui, ces régions du nord-ouest de la Syrie sont en proie à une véritable crise humanitaire. Selon les Nations unies, 14,6 millions d'habitants de cette région ont un besoin urgent d'assistance en raison du siège et des bombardements incessants qu'ils ont subis, avant même le tremblement de terre. Aujourd'hui, ils se déplacent constamment, d'un camp à l'autre, d'un tas de décombres à l'autre.

La situation sur place est tout simplement tragique, avec un secteur médical extrêmement vulnérable et un manque de capacités de réponse d'urgence. Le seul espoir pour les personnes piégées sous les décombres est la défense civile, également connue sous le nom de Casques blancs. Ils ont déclaré la zone sinistrée dès le premier jour du tremblement de terre. Malheureusement, l'ampleur de la catastrophe a dépassé les capacités limitées de ces bénévoles dévoués. La situation reste désastreuse, avec une pénurie d'équipements et de machines nécessaires et l'absence d'un plan d'action clair.

Les équipes de secours appellent ceux étant piégés sous les décombres de leurs maisons : « Répondez s'il vous plaît ; quelqu'un parmi vous a-t-il survécu ? »

De nombreux amis et collègues dans ces zones dévastées nous disent que les bruits des personnes piégées sous les décombres se sont tus car les opérations de sauvetage ont été retardées. Nous, Syriens, avons l'habitude de crier et d'implorer de l'aide sans être entendus.

Les Syriens meurent toujours en silence, avec peu d'aide ou d'assistance de la part de qui que ce soit. Parfois sous les bombardements, parfois sous la torture dans les prisons, et d'autres fois lors de voyages périlleux à travers les mers et les océans en quête de sécurité. Ces personnes endeuillées ont attendu 11 ans que le monde sonne le glas de la guerre. Au lieu de cela, les tambours de la guerre continuent de battre dans d'autres pays, au lieu de se taire.

Au lendemain du tremblement de terre, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que l'aide affluait de 45 nations. Mais à quelques kilomètres de là, dans le nord-ouest de la Syrie, aucune aide de ce type n'est arrivée, et les gens ont dû faire face à leur destin et à la menace imminente de la mort à la suite du tremblement de terre.

Ceux ayant survécu sont à l'extérieur de leurs maisons, les enfants, les femmes et d'autres sont dans les rues pour braver le temps orageux depuis le tremblement de terre. Leurs maisons sont maintenant en ruines, ou fissurées. La peur s'empare de leurs cœurs, sans aucune aide ou secours en vue. Et leurs vies, bouleversées.

Les enfants, déconcertés, ont du mal à comprendre ; ils spéculent entre eux : « Le tremblement de terre va-t-il frapper à nouveau ? »

À l'heure où ces lignes sont écrites, le ministère de la Santé du régime syrien faisait état d'un bilan de plus de 1 347 morts et de plus de 2 300 blessés dans les provinces d'Halab, Lattaquié, Tartous et Hama. Il convient toutefois de noter que ces chiffres ne sont pas définitifs.

Pendant ce temps, dans le nord-ouest de la Syrie, l'organisation des Casques blancs a enregistré plus de 2 037 morts et plus de 3 000 blessés, un chiffre risquant lui aussi d'augmenter car des centaines de familles sont toujours coincées sous les décombres.

Les pleurs et les cris du peuple syrien retentissent fort cette fois-ci, et la catastrophe naturelle semble être plus grave que celle causée par l'Homme. Pourtant, la question demeure : quelqu'un répondra-t-il à nos appels à l'aide, ou notre détresse tombera-t-elle dans l'oreille d'un sourd une fois de plus, nous laissant agacer le monde avec nos souffrances et nos cris jusqu'à ce que nous soyons oubliés dans un jour ou deux ?

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