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Les médias du Myanmar deux ans après le coup d'État de 2021: « Résistance, résilience, restauration »

Catégories: Asie de l'Est, Myanmar (Birmanie), Droits humains, Gouvernance, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Advox
    Journaliste documentant une manifestation dans la rue au Myanmar [1]Photo d'un journaliste documentant une manifestation anti-coup au Myanmar en 2021. Photo publiée avec l'autorisation de Radio Free Asia, 2025 M St. NW, Suite 300, Washington DC 20036. Copyright © 1998-2020, RFA.

Depuis deux ans, les journalistes du Myanmar rencontrent d'immenses défis et difficultés alors qu'ils continuent à documenter la résistance populaire contre le régime militaire et l'appel du peuple à la restauration du régime civil et de la démocratie.

Ceci résume le briefing spécial [2] [en] organisé par l'International Press Institute (Institut international de la presse) à l'occasion du deuxième anniversaire du coup d'État [3] de février 2021. L'IPI a été rejoint par le rédacteur en chef et fondateur de Mizzima News, Soe Myint, et la journaliste indépendante Thin Lei Win, qui ont tous deux souligné le rôle essentiel que jouent les médias indépendants dans la lutte contre les mensonges de la junte et dans la sensibilisation au mouvement pro-démocratie.

Thin a qualifié la junte de petit groupe de personnes disposant d'armes et de ressources dont la grande majorité de la population veut être libérée. Soe a ajouté que la prolongation de l'état d'urgence reflétait la volonté de l'armée de rester au pouvoir malgré son manque de crédibilité et de légitimité.

Malgré les vastes ressources à sa disposition, la junte est incapable de gouverner de manière efficace face aux forces pro-démocratie et aux groupes ethniques armés qui prennent pied dans l'ensemble du pays. La « grève silencieuse [4] » s'étant déroulée avec succès lors de l'anniversaire du coup d'État a été largement perçue comme une dénonciation ferme du régime de la junte. Les habitants ont protesté en refusant de sortir dans la rue.

Des artères désertées mercredi dans les grandes villes alors que la population du Myanmar organisait une grève silencieuse pour marquer le deuxième anniversaire du coup d'État militaire. Le régime aurait l'intention d'organiser un rassemblement pro-militaire devant l'hôtel de ville de Yangon à midi.

#WhatsHappeningInMyanmar [5] pic.twitter.com/2GcJPG3Nrc [6]

— The Irrawaddy (Eng) (@IrrawaddyNews) 1 février 2023 [7]

Les journalistes citoyens et les réseaux de médias indépendants qui couvrent la crise politique encourent de nombreux risques. Au moins 130 journalistes ont été arrêtés [8] [en] pour avoir documenté la résistance à la junte. Près de 72 personnes sont toujours détenues et pourraient être condamnées à de lourdes peines de prison par des tribunaux contrôlés par la junte militaire.

Lors du briefing, Thin a évoqué le traumatisme vécu par les journalistes réalisant des reportages sur la ligne de front de la résistance. Ceux qui sont soupçonnés de sympathiser avec les forces pro-démocratie sont menacés de représailles soutenues par l'État. Même les familles sont prises pour cible par les forces pro-militaires.

Tout cela a affaibli le travail de la presse en plus d'interrompre les revenus commerciaux des médias qui ont soudainement perdu toutes publicités, abonnements et subventions. Les lecteurs craignent d'être vus soutenant des médias accusés de critiquer le régime militaire.

Forcées de fuir le pays ou de se cacher, la majorité des médias locaux opèrent avec des licences révoquées [9] [en]. Contre toute attente et malgré la menace constante de répression de l'État, les médias indépendants du Myanmar ont gagné de l'ampleur en continuant à fournir au public des informations crédibles sur la junte et le mouvement de désobéissance civile [10] en cours.

Soe a mentionné que les lecteurs de Mizzima avaient augmenté à mesure que la compagnie adoptait des moyens innovants et créatifs pour diffuser des informations se concentrant sur les solutions. Thin a expliqué la difficulté de maintenir une couverture médiatique se focalisant uniquement sur le conflit et les violations des droits de l'homme et la nécessité d'adopter un ensemble de thèmes plus large résonnant avec le public mondial, tels que l'injustice climatique, la perte de biodiversité et les relations de la Russie avec la junte.

Après le coup d'État, au lieu de succomber aux attaques incessantes, les journalistes ont persisté à faire leur travail. Ils ont incarné ce que Soe décrit comme les principes qui incitent les citoyens du Myanmar à aller de l'avant : « Résistance, résilience, restauration ».

Independent media and independent journalists are supposed to disappear, supposed to be killed, and supposed to stop… but two years after, we are able to do more than what we did even before the coup. This is resilience.

Les médias indépendants et les journalistes indépendants sont censés disparaître, censés être tués et censés s'arrêter… mais deux ans plus tard, nous sommes en mesure de faire plus que ce que nous faisions avant le coup d'État. C'est ça, la tenacité.

Alors que la junte cherche désespérément à se perpétuer au pouvoir, Thin et Soe ont souligné le rôle de la solidarité mondiale dans la mise en lumière de ce qui se passe dans le pays et, en particulier, de la tâche cruciale entreprise par les médias. L'IPI avait fait écho à ceci [11] [en] lors de l'organisation du briefing spécial. « En cette période de crises à travers le monde, il est crucial de ne pas perdre de vue ce qui se passe au Myanmar et de poursuivre les efforts visant à soutenir les journalistes du pays. »

Pour Thin, cela nécessite également un engagement avec les gouvernements et les entreprises technologiques étrangers, qui continuent de faire commerce avec la junte même si les outils et le matériel obtenus sont ensuite militarisés contre les communautés et les villages reculés à travers le pays.

That is where the international community can come in to make sure that countries that supposedly adhere to human rights standards actually do something about it and make sure that even if they have sold these technologies to the Myanmar government, they are no longer operable.

C'est là que la communauté internationale peut intervenir pour s'assurer que les pays qui adhèrent prétendument aux principes généraux des droits humains agissent réellement à ce sujet et s'assurent que même s'ils ont vendu ces technologies au gouvernement du Myanmar, elles ne sont plus utilisables.

Soe a exhorté les acteurs mondiaux à déployer d'autres moyens de communication pour veiller à ce que le Myanmar ne soit pas réduit au silence ou rendu invisible chaque fois que la junte restreint l'accès à Internet.

Soe a également appelé la communauté et les investisseurs internationaux à garder le Myanmar sur leur radar. Le manque d'attention à la situation n'a fait qu'alimenter le besoin de soutien financier crucial des OSC, des militants et des médias indépendants. Comme l'a souligné un récent appel à l'action [12] [en] lancé par Mizzima aux donateurs, « si les donateurs n'apportent pas aux médias indépendants du pays le soutien dont ils ont besoin, c'est à cause d'un manque d'appréciation de la situation actuelle au Myanmar… investir dans les médias indépendants du Myanmar, c'est rendre possible la liberté d'expression en Asie du Sud-Est, une région où il y a peu d'incitations à protéger la liberté d'expression au niveau national. »

Thin et Soe ont affirmé que la junte voulait que le monde oublie le Myanmar et que la meilleure façon de contrer cet objectif sinistre était d'amplifier davantage de voix locales. En effet, le régime militaire fait taire la dissidence de manière brutale, mais le peuple du Myanmar a trouvé des moyens imaginatifs d'échapper à la censure.

Par exemple, Thin a partagé cet extrait fort [13] [en] d'un journal en ligne écrit par un journaliste de Yangon sur la motivation à persévérer face à la violence incessante de la junte.

“But when after an interview, people tell me that they are grateful for the opportunity to share their stories, I am both sad and happy. At the very least, with this work, I can stand by the people who are oppressed unjustly and help them. I will continue my journey with this mind and this strength.”

“So let the nightmares come. I will conquer them.”

« Mais quand, après une interview, les gens me disent qu'ils sont reconnaissants d'avoir l'opportunité de partager leurs histoires, je suis à la fois triste et heureux. Au moins, avec ce travail, je peux soutenir les personnes qui sont injustement opprimées et les aider. Je continuerai mon voyage avec cet esprit et cette force. »

« Alors, les cauchemars, laissez-les venir. Je les vaincrai. »

« La communauté internationale doit renouveler son engagement envers le Myanmar, protéger et défendre les courageux journalistes qui risquent leur vie pour documenter les violations continues des droits humains commises par le régime », a déclaré [14] [en] le directeur adjoint de l'IPI, Scott Griffen, dans un communiqué publié après le briefing.