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La transition de l’Inde vers l’énergie propre est-elle réalisable ou s’agit-il d'un vœu pieux ?

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La centrale thermique solaire d'1 MW India - One à Abu Road, au Rajasthan [1]

La centrale thermique solaire d'1 MW India – One à Abu Road, au Rajasthan, fournit de l'électricité à 25 000 personnes. Image issue de Flickr par Brahma Kumaris [1]. CC BY-NC 2.0 [2].

Les entretiens de cet article ont été réalisés par téléphone, par e-mail et en présentiel lors des travaux de recherche menés en février 2023.

L’engagement de l'Inde dans la lutte contre les changements climatiques par l'accélération de sa transition vers des énergies propres est le dénominateur commun entre la COVID-19, la guerre russo-ukrainienne [3], les fluctuations du marché des combustibles fossiles, la déclaration [4] du pays d’atteindre zéro émission nette d’ici 2070 et sa présidence [5] du G20.

Des engagements ambitieux ?

Atteindre la neutralité carbone [6] implique d’arrêter les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Cela requiert de passer, de manière juste et équitable, d’une économie dépendante des combustibles fossiles à une économie alimentée par des énergies propres. Un rapport intitulé « Getting India to Net Zero [7] » estime que l’Inde aura besoin d’environ 10,1 milliards de dollars américains pour atteindre son objectif en 2070.

« Il s’agit d’un réel défi pour le pays : atteindre ses objectifs économiques et développer l’accès à une énergie fiable et financièrement abordable pour ses citoyens, tout en maintenant le cap sur des objectifs climatiques ambitieux, » a déclaré Harjeet Singh, responsable de la stratégie politique mondiale de l’organisation Climate Action Network International [8].

Singh avertit qu’il est crucial, lors d’un processus de transition, de veiller à ce que les personnes défavorisées ne soient pas exclues, mais au contraire intégrées en tant qu’élément essentiel de l’avenir vert et du développement durable du pays.

L'Inde s’est engagée à produire 50 % de son électricité [9] à partir de sources d’énergie renouvelables d’ici 2030, ce qui permettra de réduire ses émissions cumulées d’un milliard de tonnes et de diminuer l’intensité des émissions de son PIB de 45 %.

L’énergie renouvelable [10] est une des sept priorités majeures du pays, cependant le budget alloué au ministère des Énergies nouvelles et renouvelables (MNRE) pour l’exercice 2023-2024 ne s’élève qu’à [11] 102,2 INR (124 millions USD) ; ce qui représente seulement 2,2 % du budget total de 45 billions INR (545 milliards USD). Ce chiffre est toutefois en hausse de 48 % par rapport au budget de 2022.

Un ensemble d’initiatives remarquables [12] dans le domaine du développement vert ont été néanmoins introduites, notamment en ce qui concerne le stockage de l’énergie, l’hydrogène vert, l’exonération des droits à l’importation sur les biens d’équipement et la machinerie essentielle pour la production de batteries au lithium pour les véhicules électriques, le financement du déficit de viabilité (VGF) pour les projets de stockage d’énergie [13] d’une capacité de 4 gigawatt-heures (Gwh) et la construction d’un système de transmission interétatique pour transporter et injecter dans le réseau 13 GW d’énergie renouvelable issue de la région himalayenne du Ladakh [14].

Concilier sécurité énergétique et croissance verte

En février 2023, la capacité d’énergie verte installée de l’Inde a atteint les 174,53 GW [15], ce qui représente 42,5 % de sa capacité totale de production d’électricité de 410 MW. Le portefeuille [16] d’énergies renouvelables du pays comprend actuellement 63,30 GW d’énergie solaire, 46,85 GW de grandes centrales hydroélectriques, 41,93 GW d’énergie éolienne, 10,73 GW d’énergie biomasse, 4,94 GW de petites centrales hydroélectriques et 6,78 GW d’énergie nucléaire. Ces chiffres placent l’Inde en quatrième position mondiale [17] en termes de capacité d’énergie renouvelable installée.

Parallèlement, l’Inde se classait [18], il y a dix ans, comme le troisième plus grand émetteur mondial, derrière les États-Unis et la Chine. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande en énergie de la nation sera la plus élevée au monde [19] au cours de la décennie 2020, avec une augmentation de plus de 3 % par an. Le rapport prévoit que l’Inde deviendra le pays le plus peuplé du monde d’ici 2025, ce qui entrainera une énorme demande en énergie ainsi qu’une urbanisation et une industrialisation croissantes.

Pour atteindre son objectif, l’Inde devra disposer d’une capacité de production d’électricité à base de charbon de 275 GW [19] d’ici 2030, soit une augmentation de 35 GW par rapport à 2021. Selon le rapport, le principal défi pour l’Inde est de satisfaire la demande croissante en électricité avec des énergies renouvelables et de réduire l’utilisation du charbon, qui représente actuellement plus de la moitié de l’alimentation en électricité du pays.

Le groupe de travail sur les transitions énergétiques (ETWG) du G20, récemment réuni à Bangalore, a fait de cet équilibre délicat entre la sécurité énergétique et la croissance verte l’un de ses principaux sujets de discussion. Lors de la réunion, R.K. Singh, ministre de l’Électricité et des énergies renouvelables a précisé [20] que la sécurité énergétique prime sur la transition vers une énergie propre.

Singh a déclaré que l’on ne peut pas exiger des personnes qui n’ont pas accès à l’énergie qu’elles donnent la priorité à l’environnement au détriment de leurs besoins immédiats, tels que l’utilisation de bois de coupe comme combustible pour la cuisine. Les participants à la réunion sont donc arrivés à un consensus : les combustibles fossiles continueront d’être utilisés dans la plupart des pays au cours des 15 à 20 prochaines années, en parallèle d’efforts visant à accroître l’utilisation des énergies renouvelables.

Les promesses et les défis de la technologie solaire

La technologie solaire photovoltaïque (PV) joue un rôle crucial dans le déploiement de l’énergie renouvelable en Inde, tout en réduisant la dépendance du pays au charbon. Avec environ 300 jours de temps clair et ensoleillé à l’année, l’Inde reçoit approximativement 5 quadrillons de kilowatt-heures [21] (kWh) d’énergie solaire par an. Selon les experts, cette énergie, si elle est exploitée pendant un an, surpasse les réserves totales d’énergie fossile du pays.

L’énergie solaire [22] peut être directement convertie en électricité en utilisant les cellules photovoltaïques (PV). Cette électricité peut ensuite être connectée au réseau conventionnel pour réduire l’utilisation de l’énergie à base de charbon. Elle peut être aussi utilisée hors du réseau en la stockant dans une batterie et en utilisant un convertisseur pour alimenter divers appareils tels que l’éclairage public, les pompes à eau, les entrepôts frigorifiques et autres appareils domestiques et industriels.

Le membre du Congrès Gaurav Pandhi a souligné dans un tweet que l’Inde possède de grands projets de systèmes solaires appelés parcs solaires, dont les plus importants se trouvent à Bhadla, Pavagada, Kurnool et Rewa :

La plupart des 61 parcs approuvés par le MNRE sont en cours de développement, pour une capacité proposée de 40 GW. Sur ce total, 10 GW ont déjà été mis en service. Le ministère a déclaré [26] que l’acquisition des terrains nécessaires est l’un des principaux défis [26] pour le développement de parcs solaires.

La Mission solaire nationale a fixé un objectif [27] de 40 GW pour l’installation de toitures photovoltaïques, mais, en septembre 2022, seulement 10,4 GW ont été installés [28] en Inde.

« [Le] pays doit accorder plus d'importance aux toitures photovoltaïques qui rencontrent aujourd’hui un succès mondial, » dit Santipada Gon Choudhury [29], universitaire et président du Comité des experts en énergie (gouvernement de l’Inde). Il remarque cependant que le système de facturation nette [30], essentiel pour la viabilité des toitures photovoltaïques, n’est autorisé que dans quelques états comme le Rajasthan, le Gujarat, et le Karnataka. Selon lui, une politique nationale est nécessaire pour cautionner les toitures photovoltaïques. Il suggère également que les compagnies de distribution appliquent un prix uniforme. Choudhury a ajouté qu’en l’absence de solutions de prêt bancaires pour les toitures photovoltaïques, le financement reste un obstacle.

De plus, les centrales solaires flottantes sont en plein essor, avec le déploiement de panneaux photovoltaïques sur les plans d’eau, comme à Khandwa dans le Madhya Pradesh, où se construit la plus grande centrale solaire flottante [31] au monde d’une capacité de 600 MW. « Une fois que l’on a trouvé un plan d’eau approprié pour l’installation, le coût élevé des systèmes d’ancrage pour retenir les panneaux flottants reste un défi, » a dit Chondhury.

La première centrale solaire flottante d'Inde, d'une capacité de 10 KW, à Kolkata. Image de NBIRT. Utilisée avec permission. [32]

La première centrale solaire flottante d'Inde, d'une capacité de 10 KW, à Kolkata. Image de NBIRT. Image de N.B. Institute For Rural Technology (NBIRT). Utilisée permission.

Les systèmes de stockage d’énergie solaire doivent évoluer pour améliorer la sécurité et la durabilité énergétique. Les batteries au plomb sont traditionnellement utilisées comme des moyens de stockage sûrs, cependant elles présentent des risques pour la santé en raison de la contamination au plomb [33]. Les batteries au lithium, qui sont aussi fréquemment utilisées, sont plus chères, car le coût de leur composant essentiel, le lithium, a considérablement augmenté [34].

Le site d’actualités alternatives The Better India a tweeté au sujet des batteries sodium-ion à bas coût et de la controverse croissante autour des mines de lithium :

Cette vidéo YouTube [38], disponible sur la chaîne EyeTech, spécialisée en technologie et durabilité, présente les caractéristiques des batteries au sodium-ion :

Bien que l’Inde dépende actuellement des importations [39] d’Argentine et d’Australie pour les alliages nécessaires, la découverte [40] de réserves de lithium dans la vallée de Jammu-et-Cachemire représente un espoir pour l’avenir.