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En Azerbaïdjan, les journalistes s'unissent pour dire « non aux médias autorisés »

Catégories: Asie Centrale et Caucase, Azerbaïdjan, Censure, Droit, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Advox

Image de Pinho [1]. Utilisation libre sous Unsplash License [2].

La campagne #IcazəliMediaIstəmirik (##Nonauxmédiasautorisés) a été lancée en février 2023 par un groupe de journalistes indépendants en Azerbaïdjan. Rassemblés sous ce hashtag, les journalistes protestent contre la nouvelle loi sur les médias [3], entrée en vigueur l'année dernière [4], et contre le registre des médias, une ressource d'information électronique gérée par l'Agence de développement des médias d'Azerbaïdjan, créée en janvier 2021. Avec cette nouvelle campagne, les journalistes exhortent le gouvernement à abroger [5] la loi, alléguant qu'elle viole la Constitution azerbaïdjanaise et lève l'obligation de s'enregistrer au registre des médias. Les journalistes affirment que le registre pourrait réduire au silence les dernières plateformes médiatiques indépendantes d'Azerbaïdjan et éroder davantage un environnement médiatique déjà restreint.

Pour s'inscrire, les journalistes doivent remplir une série de critères. Par exemple, ils doivent avoir suivi des études supérieures ; ne pas avoir de casier judiciaire — ce qui est pratiquement impossible pour les journalistes indépendants ou d'opposition, car ils sont souvent interrogés ou harcelés par la police et, dans certains cas, purgent une peine de prison ; ils doivent être sous contrat de travail avec un éditeur, ce qui pose des difficultés aux journalistes indépendants et pigistes. Pendant ce temps, les points de distribution doivent produire un minimum de 20 histoires par jour ; les fondateurs doivent venir d'Azerbaïdjan et être basés dans le pays, ce qui constitue également un défi, car un certain nombre de médias, dont les fondateurs sont basés à l'étranger, ont quitté le pays en raison de la pression de plus en plus forte.

Le calendrier de la campagne

Le système de registre des médias est devenu opérationnel en octobre 2022. Conformément à la loi sur les médias, les médias imprimés et en ligne doivent s'adresser à l'agence des médias dans les six mois suivant la création du registre des médias. Le délai expire ce mois-ci. Selon un communiqué [6] de l'Agence des médias, 200 médias et 180 journalistes ont déposé une demande d'inscription au registre des médias. Parmi ces demandes, 160 médias ont été enregistrés, tandis que l'inscription a été refusée pour les 40 médias restants [6]. Le 12 janvier 2023, Ahmed Ismayilov, directeur exécutif de l'Agence de développement des médias, a déclaré [6] que l'agence prévoit de poursuivre en justice les médias qui ne se sont pas enregistrés auprès de l'agence. Les tribunaux décideront de leur permettre ou non de poursuivre leur travail, a ajouté Ismayilov. Quant aux journalistes ayant refusé de s'enregistrer, ils ne seront pas considérés comme des journalistes a-t-il précisé, tout en ne sachant pas encore toutefois quelles pourraient en être les conséquences officielles.

Ces déclarations ont incité un groupe de journalistes et de professionnels des médias à lancer la campagne intitulée « Nous ne voulons pas de médias licenciés ». Dans un entretien, le journaliste Aynur Elgunesh a expliqué [7] que c'était avant tout la loi elle-même qui dressait les contours [6] du métier de journaliste. Mais à présent, le patron de Media Agency menace les journalistes de restreindre leurs activités professionnelles s'ils ne s'enregistrent pas ou décident de ne pas s'enregistrer. Elgunesh n'est qu'un des nombreux autres journalistes qui ont rejoint la campagne.

« Comment se fait-il qu'il n'existe pas de registre pour les employés médicaux, les entreprises de construction, etc. C'est risible », a déclaré Turan Mehman Aliyev, journaliste et directeur de l'agence de presse lors [6] d'une conférence de presse organisée par les militants en réponse aux déclarations antérieures d'Ismayilov sur inscription obligatoire. La journaliste Khadija Ismayilova, également présente à cette même conférence de presse, a déclaré trouver cela amusant qu'Ahmed Ismayilov [sans lien de parenté avec Khadija Ismayilova] « décide qui est journaliste ou non ».

En réponse à la campagne, Ahmed Ismayilov est revenu sur ses précédentes menaces concernant d'éventuelles poursuites judiciaires. Au lieu de cela, l'enregistrement était volontaire, aurait-il dit [8]. Cependant, il reste à voir si cette affirmation est vraie, en particulier compte tenu de la mauvaise note de l'Azerbaïdjan sur l'indice mondial de la liberté des médias. « Le Président Ilham Aliyev a anéanti tout semblant de pluralisme, et depuis 2014, il a cherché sans relâche à réduire au silence toutes les critiques restantes », lit-on [9] dans le rapport établi par Reporters sans frontières 2022, qui a également classé l'Azerbaïdjan au 154e rang sur 180 pays dans l'indice mondial publié l'année dernière. Selon les informations [10] d'Eurasianet, « cette tentative claire de coopter des journalistes critiques potentiels rappelle un programme d'État introduit en 2013 visant à fournir des appartements gratuits [11] aux journalistes des médias fidèles au gouvernement et de l'opposition ».

Dans un entretien accordé à l'agence de presse Turan, Ulvi Hasanli, journaliste qui dirige le site d'information en ligne Absaz media, a récemment déclaré [12] que « l'objectif était de se débarrasser complètement des médias indépendants » en Azerbaïdjan. Ce point de vue a également été réitéré dans un « Document d'évaluation [13]» signé par un groupe de journalistes et publié en janvier 2023. « Nous, les signataires du document, voyons clairement que la loi sur les médias et le registre des médias ouvre de larges opportunités pour restreindre la liberté d'expression », lit-on [14] dans le document.
Cependant, certains affirment que la nouvelle loi ne consiste pas seulement à réduire au silence les médias. Selon [7] Elgunesh, la loi, le système de registre et le pouvoir conféré à l'Agence de développement des médias privent les gens de l'accès à des informations indépendantes et objectives, les exposant plutôt à des flux d'actualités sursaturés contenant principalement des informations non pertinentes ou non locales. L'une des exigences introduites par la loi et nécessaires à l'enregistrement consiste à produire 20 histoires minimum et à les publier quotidiennement. « Dans un petit pays comme l'Azerbaïdjan, produire quotidiennement 20 informations « spéciales » est pratiquement impossible, en particulier lorsque les communiqués de presse, les discours ou les allocutions du Président ne sont pas considérés comme des informations « spéciales ». Et pourtant, [l'agence ne s'inquiète pas] lorsqu'un média local prend une histoire d'un média étranger, la traduit puis la publie telle quelle. Ce qui n'a aucun sens, car ce n'est pas une histoire originale, elle a été tirée d'un autre média. [Cette approche de l'information] crée une pollution de l'information et empêche les gens d'accéder à des informations véridiques. C'est ce que nous tentons d'expliquer aux personnes à l'origine de cette campagne. Que si nous fermons nos portes, leurs problématiques ne seront pas couvertes », a expliqué Elgunesh.
En juin 2022 [15], après avoir examiné l'avant-projet de loi sur les médias, la Commission de Venise a déclaré dans son avis conjoint avec la Direction générale des droits de l'homme et de l'État [16] de droit du Conseil de l'Europe, que « la loi tente de réglementer presque tout ce qui lié est au secteur des médias en Azerbaïdjan, dont les médias en ligne », et a « un accent problématique sur la restriction des activités des médias plutôt que sur la création des conditions nécessaires permettant aux médias de remplir leur rôle de « chien de garde public ».
Dans une évaluation juridique distincte de la loi sur les médias et de son impact sur les plateformes de médias en ligne, Azerbaïdjan Internet Watch, une plateforme qui assure le suivi des contrôles de l'information en Azerbaïdjan, a écrit [3] : « L'analyse globale de la loi révèle que son objectif principal est de réglementer les médias en ligne et le journalisme la façon dont les autorités réglementent la presse écrite, ignorant les caractéristiques et les besoins des médias en ligne basés sur les TIC. La nouvelle loi confère le pouvoir de suspendre et/ou de mettre fin aux activités des médias en ligne et d'imposer des sanctions sévères.»

Réponse de l'État

Les législateurs, cependant, pensent différemment. Sahib Aliyev, député, a affirmé [6] que la récente campagne avait été orchestrée par les puissances occidentales. « Autrement, pourquoi Peter Michalko, chef de la mission de l'UE en Azerbaïdjan, rencontrerait-il des journalistes indépendants », a déclaré Aliyev, faisant référence à une prétendue rencontre entre Michalko et un groupe de journalistes indépendants. Sauf que Michalko n'a jamais rencontré le groupe de journalistes indépendants. Dans un entretien [12] accordé à l'agence de presse Turan, le journaliste Ulvi Hasanli a déclaré que, même si une réunion a eu lieu avec la délégation et d'autres missions diplomatiques, Michalko n'était pas présent. Auparavant, les militants avaient été accusés [10] de « travailler pour l'Iran », dans le but de jouer sur les tensions de longue date [17] avec le gouvernement de Téhéran.
Et pourtant, les journalistes sont résolus [6] à poursuivre leur campagne aussi longtemps qu'il le faudra, afin que le gouvernement raye le projet de loi ou accepte la liste de recommandations [18] que les journalistes indépendants et les experts des médias ont proposée à l'époque où le projet de loi sur les médias était encore en discussion au Parlement.