La face cachée de l'influence chinoise en Macédoine du Nord

Publicité pour la Nouvelle Route de la Soie dans l'un des trains macédoniens achetés à la Chine, disant « Accélere la Nouvelle Route de la Soie, charmante Macédoine. » Photo de Meta.mk, utilisée avec permission.

Cette histoire a été produite par Meta.mk dans le cadre du Centre de Lutte contre la Désinformation dans les Balkans Occidentaux. Cette version modifiée est publiée ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu entre Global Voices et Metamorphosis Foundation.

La Macédoine du Nord a seulement pris quelques années pour changer dramatiquement ses relations bilatérales avec la Chine. En 1999, elle était le seul pays européen a reconnaître Taiwan comme un pays indépendant, avec le Vatican. A cette époque, Pékin avait rompu ses liens diplomatiques avec Skopje. En 2001, les autorités macédoniennes ont décidé de retirer leur reconnaissance de Taiwan, et ont rétabli les relations diplomatiques avec la Chine. En moins de 15 ans, les politiciens macédoniens ont radicalement changé de cap : de la reconnaissance de Taiwan en 1999 à l'obtention d'un prêt de l'Exim Bank de Chine en 2013 pour financer des grands projets de construction.

Une nouvelle ère de relations avec la Chine

La Chine est intervenue en Macédoine du Nord sous le mandat du Premier ministre Nikola Gruevski qui a dirigé le pays de 2006 a 2017. Gruevski et son parti de droite populiste VMRO-DPMNE étaient pris dans une impasse politique en raison d'un conflit de nom avec la Grèce, de sorte que les demandes d'adhésion de la Macédoine du Nord à l'OTAN et à l'Union européenne ont été suspendues à ce moment. C'était l'occasion rêvée pour la Chine de ramener cet État des Balkans dans sa sphère d'influence.

En octobre 2013, le parlement macédonien a décidé d’accepter la proposition de l'administration Gruevski de prendre un prêt auprès de la Exim Bank de Chine pour construire des autoroutes en Macédoine du Nord : la Kičevo-Ohrid et Miladinovci-Štip. Dans le même temps, le gouvernement macédonien a choisi l'entreprise Sinohydro de l'État chinois comme principal contractuel, qui a commencé à mettre en place ces projets au début de 2014.

Les neuf années suivantes, Sinohydro a réussi à concurrencer avec les entreprises de constructions nationales et étrangères, en mettant en place deux autres projets de construction majeurs en Macédoine du Nord, financés tous deux par des prêts de la Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD). En 2019, Sinohydro a remporté les procédures d'appel d'offres internationales pour la construction de la deuxième phase de la voie rapide Štip-Kočani, et d'une section de la nouvelle voie rapide Gradsko-Prilep sur le Corridor paneuropéen X. Les travaux ont débuté le 9 juin 2021.

Cependant, la construction de l'autoroute Kičevo-Ohrid, qui a commencé il y a neuf ans, n'est toujours pas terminée. En 2017, l'ancien Parquet Spécial a déposé un acte d'accusation dans l'affaire au nom de code « Trajectoire » , accusant de hauts responsables du gouvernement, dont le Premier ministre de l'époque, Gruevski, et le ministre des Transports et des Communications, Mile Janakieski, de truquage de la procédure de passation des marchés publics, de corruption et d'abus de pouvoir.

La tribunal avait fixé la date de la première audience du procès pour le 6 décembre 2017. Cependant, le procès du cas « Trajectoire » a été recommencé, après que le Conseil Judiciaire du RNM ait démis le juge Goran Boševski pour haute corruption en juin 2020. Deux ans et demi plus tard, ce procès n'est toujours pas terminé.

L'influence chinoise dans le secteur ferroviaire

La Chine est aussi parvenue à intégrer le secteur ferroviaire de la Macédoine du Nord. L'ancien Ministre des Transports et des Communications, Miles Janakieksi, avec l'aide de l'ancien Ministre des Finances Zoran Stavreski, a signé un accord avec la Compagnie Chinoise CSR le 24 juin 2014, prévoyant l'achat de quatre trains diesel à rames multiples et deux trains électriques à rames multiples pour le transport de passagers. Les trains chinois sont arrivés en Macédoine du Nord en février 2017.

Le directeur de l'opérateur ferroviaire public de l'époque, Nikola Kostov, a déclaré qu'environ 60 % de la flotte de transport de passagers de la Macedonian Railways-Transport serait remplacée par des trains chinois. Aujourd'hui, cette compagnie s'appelle les « Chemins de fer de la République de Macédoine du Nord (RNM) » et possède quatre locomotives électriques chinoises supplémentaires utilisées pour le transport ferroviaire de marchandises. En janvier 2017, un accord avait été signé avec l'entreprise chinoise Zhuzhou CRRC, et vers la fin de 2020, les Chemins de fer de la RNM ont mis en service les quatre locomotives électriques. Depuis lors, elle se plaint de problèmes de maintenance – un problème qui traîne depuis 2019.

 

L'équipe de service chinois réparant un train en Macédoine du Nord en 2019. Photo de Meta.mk, utilisée avec permission

Dans le même temps, les documents officiels de Railways – Transport de la RNM indiquent qu'entre 2019 et 2021, une société appelée PEARL CA est devenue le plus gros client de l'entreprise publique macédonienne dans le segment du transport de marchandises. PEARL CA appartient au mégaconglomérat d'État chinois COSCO, qui a acquis une part croissante du transport ferroviaire de marchandises en Macédoine du Nord au fil des ans.

Le réseau 5G en Macédoine du Nord sans l'influence chinoise

Dans les années 2010, les réseaux 3G et 4G en Macédoine du Nord étaient procurés par les opérateurs de télécommunication macédoniens, par le biais des compagnies technologiques chinoises Huawei et ZTE. Cependant le 23 octobre 2020, l'ancien Premier ministre Zoran Zaev et le sous-secrétaire de la Croissance économique et de l'Environnement au Département américain, Keith Krach, ont signé le Protocole d'Accord sur la Sécurité de la 5G, dans lequel la Macédoine du Nord a accepté d'aligner ses politiques nationales concernant le développement des communications électroniques sur les intérêts de l'UE et des États-Unis.

La Macédoine du Nord, en tant que membre de l'OTAN et signataire du Clean Network Program lancé par les États-Unis, a décidé d'exclure les entreprises technologiques chinoises du développement du réseau 5G national afin de répondre à « la menace à long terme pour la confidentialité des données, la sécurité, les droits humains et la collaboration de principe que représentent les acteurs autoritaires malveillants pour le monde libre ». Le mémorandum signé avec les États-Unis a incité ces derniers à modifier la Loi sur les Communications électroniques (LEC) en avril 2021. L'Agence des Communications électroniques (ECA) de Macédoine du Nord a adopté ces réglementations à l'automne 2021, et elles sont entrées en vigueur immédiatement. Macedonian Telecom et A1 Macedonia, en tant qu'opérateurs de télécommunications en Macédoine du Nord, ont lancé un appel à propositions pour le développement de l'infrastructure du réseau 5G dans l'ensemble de la Macédoine du Nord. C'est l'entreprise suédoise Ericsson qui a remporté l'appel d'offres.

La Chine est « ici pour y rester »

A la fin du mois de décembre, Ana Krstinovksa du groupe de travail ESTIMA a présenté l'étude « comprendre les outils, les récits et les influences du “soft power” chinois en Macédoine du Nord. » Elle a insisté sur le fait que d'après le Global Soft Power Index, en 2022, la Chine avait la quatrième place sur le classement mondial, derrière les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne.

L'étude de 2022 sur la présence et l'image de la Chine dans les médias, soutenue par la fondation allemande Konrad Adenauer Stiftung, a montré que l'influence chinoise dans le pays est assez forte, alors que la Macédoine du Nord peut être classée au troisième rang des 17 pays d'Europe centrale et de l'Est.

Capture d'écran de la couverture de l'étude « Comprendre les outils, les récits et l'impact du “soft power” chinois en Macédoine du Nord » de ESTIMA et KAS. usage loyal.

Les recherches d'ESTIMA ont montré, par exemple, que le nombre de livres traduits du chinois vers la langue macédonienne a augmenté de façon spectaculaire au cours des dernières années. De 1978 à aujourd'hui, un total de 90 titres chinois ont été publiés en Macédoine du Nord, et 50 d'entre eux ont été publiés depuis 2018. La moitié des livres traduits sont en fait des livres pour enfants.

La recherche de l'ESTIMA a examiné les activités de l’Institut Confucius à Skopje et l'offre de bourses chinoises, la formation, les projets de recherche et d'autres activités mises en œuvre entre la Chine et la Macédoine du Nord, étiquetées dans le rapport sous la catégorie « construction de relations. » Krstinovska a fait remarquer : « Ces dernières années, la Chine est devenue plus active dans la mise en œuvre de projets de recherche conjoints, à tel point qu'aujourd'hui, la Macédoine du Nord a plus de projets bilatéraux avec la Chine qu'avec n'importe quel autre pays du monde (un total de 40 au cours des cinq dernières années) ».

Une autre cartographie de l'influence de la Chine en Macédoine du Nord, réalisée par le China Index, basé à Taipei, indique que la politique intérieure et l'économie sont les principaux domaines dans lesquels Pékin a fait des incursions.

Capture d'écran de la couverture de Secret Charm: China’s hidden influence in Southeast Europe, un rapport d'orientation de la Fondation Friedrich Naumann pour la liberté. Utilisée avec permission.

Le dernier rapport d'orientation, publié en décembre 2022 par la Fondation Friedrich Naumann pour la liberté (FNF), en coopération avec le Forum de Sécurité de Sofia, examine l'influence de la Chine dans huit pays ou territoires d'Europe du Sud-Est, dont la Macédoine du Nord.

La section du rapport consacrée à la Macédoine du Nord indique qu'à la fin de 2021, le volume des investissements chinois en Macédoine du Nord s'élevait à 130,37 millions d'euros, soit seulement 2 % du stock total d'investissements directs étrangers (IDE) dans le pays. Selon le document d'orientation, ce résultat est lié à des facteurs objectifs, tels que la petite taille du marché macédonien, mais aussi aux priorités des investisseurs chinois, qui sont généralement à la recherche de projets à forte intensité de capital et sont principalement motivés par le désir d'acquérir des entreprises dans des industries stratégiques, des startups à fort potentiel de croissance, des marques compétitives et de nouvelles technologies.

Le rapport d'orientation de la FNF affirme que malgré le peu de bénéfices générés jusque-là, les citoyens macédoniens continuent à avoir une opinion positive de la Chine, non pas pour « l'impact matériel de la coopération, mais pour l'idée d'opportunités que la Chine inspire. »

Le document d'orientation de la FNF a conclu que le « soft power » de la Chine s'exerçait dans deux dimensions principales. La première se situe dans la catégorie « gestion de l'information », puisque certains médias macédoniens imprimés et en ligne publient des chroniques et des articles de l'ambassadeur chinois dans le pays. La deuxième dimension du « soft power » est la catégorie « envoi de messages stratégiques », la Chine agissant dans le cadre de la coopération culturelle des villes jumelées ou par le biais d'activités mises en œuvre par l'Institut Confucius, qui est intégré à l'université d'État Sts Cyril et Methodius à Skopje. Ces activités comprennent la traduction et la publication de livres, la diffusion de programmes télévisés parrainés par la Chine, tels que « Ni Hao », qui est diffusé sur Telma TV, ainsi que la promotion des relations publiques pour les entreprises chinoises, principalement Huawei.

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