Comment la Serbie est-elle devenue « la plus grande victime » de la guerre en Ukraine ?

Crédit photo du collage : Istinomer/Fonet/Wikimedia, utilisé avec permission.

Cet article de Tijana Đorđević a été initialement publié sur Istinomer(Truth-O-Meter), une initiative de vérification des faits du Centre pour la recherche, la transparence et la responsabilité ( CRTA ). Une version modifiée est publiée ci-dessous dans le cadre d'un accord de partage de contenu avec Global Voices.

L'agression de la Russie contre l'Ukraine a commencé le 24 février de l'année dernière. Depuis ce moment, un pays a été « victime des grandes puissances ». Ce pays a été « sous pression », « soumis à un chantage », « exagérément » et ciblé dans des « attaques orchestrées ». La guerre est menée dans ce pays, mais un pays spécial. Et ce pays est – la Serbie.

Depuis les premières heures de la guerre en Ukraine jusqu'à ce jour, les médias en Serbie sont passés par différentes étapes – de prétendre que c'est un fait que «l'Ukraine a attaqué la Russie», jusqu'à l’appeler une «opération spéciale» et non une guerre, accepter la réalité, mais en applaudissant le régime de Vladimir Poutine et ses actions sur le front.

Les nuances de l'approche de ce conflit ont quelque peu changé jusqu'au moment où il est devenu clair qu'il ne se terminerait pas rapidement et que les conséquences se feraient sentir dans le reste du monde. À ce moment-là, pour les médias nationaux, la Serbie est devenue la plus grande victime de cette guerre.

La réponse à la question de savoir qui étaient (encore une fois) les sources de tous les problèmes qui nous sont arrivés est assez simple. Les États-Unis d'Amérique et l'Union européenne, selon les médias serbes, ont joué dans une nouvelle saison de «Chasing Serbia».

«Nous avons le plus mal»

Dès la première semaine de la guerre, les médias pointaient du doigt « l’horrible pression exercée sur la Serbie » pour imposer des sanctions à la Russie. Les « haineux notoires » et les « analystes politiques du soi-disant état profond de l'Union européenne, mais aussi de l'Amérique » ont été nommément cités. Les détails de la « diatribe brutale de l'Occident sur la Serbie » ont été publiés dans une série d'articles, et dans certains d'entre eux, il était particulièrement souligné que le président du pays, Aleksandar Vučić, « faisait face avec succès aux défis qui l'entouraient » de tous côtés. »

Pour ne pas risquer de prendre du retard sur le monde, une guerre spéciale éclate aussi très vite en Serbie. C'est du moins ce que les médias ont qualifié de fausses alertes à la bombe envoyées aux écoles primaires et secondaires, aux salles de rédaction et aux institutions publiques. Le but de cette guerre spéciale était de « paralyser la Serbie » et de « la forcer à imposer des sanctions à la Russie ».

Spéciale ou pas, il était plus qu'évident pour les médias en Serbie que « la guerre des grandes puissances se fait à nos dépens ».

Ainsi, alors que les combats se déroulaient en Ukraine, nous vivions « l'enfer » car, selon les médias, « la décision de Poutine d'entrer dans une «vraie guerre» a rendu la position de la Serbie encore plus difficile ». À cette époque, la « préparation de l'artillerie pour une attaque totale » contre la Serbie a commencé puisque les pressions étaient « les plus fortes depuis les bombardements de l'OTAN en 1999 ».

Le fait que « les pressions sur la Serbie aient commencé à prendre des proportions énormes » après près de huit mois de guerre en Ukraine était aussi la conclusion d'émissions télévisées. L'Occident est alors passé aux « méthodes militaires » afin de « resserrer l'étau autour de notre pays », les médias définissant les « incidents avec des véhicules aériens sans pilote » repérés au-dessus de Merdare et dans la région de Raška.

Quant aux médias nationaux les plus influents, toutes les « frappes contre la Serbie » avaient deux objectifs : l’adoption de sanctions contre la Russie et la reconnaissance simultanée de l'indépendance du KosovoUn signe d'hostilité a été placé devant presque toutes les actions de Bruxelles et de Washington, et leurs responsables ont expliqué leurs attentes à la fois en analysant le cours de la politique étrangère de la Serbie et lors de visites à Belgrade.

Fausses pressions

Même si par moments il semblait que des « pressions », comme les appellent les médias serbes, venaient aussi de l'Est , la relation avec le régime de Vladimir Poutine est restée la même. Le récit amical est resté silencieux pendant une courte période lorsque le Président russe a établi un parallèle entre le Kosovo et les républiques autoproclamées des régions de Donetsk et Louhansk.

« Poutine, que nous considérons comme un grand ami, a montré son vrai visage et a nui aux intérêts de la Serbie concernant le Kosovo avec sa déclaration », ont écrit les médias , affirmant que le Président russe « avait poignardé la Serbie dans le dos ».

Les déclarations de l'ambassadeur russe à Belgrade, Alexander Botsan-Kharchenko, n'ont jamais été qualifiées de menaces, même lorsque le diplomate russe a déclaré que l'introduction de sanctions « pourrait nuire à l'économie et à la sphère sociale de la Serbie ».

« L'économie de la Serbie est très liée, dans le sens positif, avec la Russie. Tout le monde comprend que des sanctions anti-russes causeraient des dommages considérables à l'économie et à la société », a déclaré Botsan-Kharchenko dans une interview au quotidien Izvestia, relayée par les portails nationaux serbes.

Le média détecteur de «menaces contre la Serbie» proche du pouvoir n'a pas reconnu cette déclaration comme pertinente. 

D'autre part, les sentiments pro-russes restent perceptibles même dans le silence. En fait, quand l'Occident attend quelque chose, il « casse les reins » de la Serbie. Lorsque la Russie attend quelque chose, les dirigeants serbes agissent comme prévu et la majorité des médias ignore complètement la situation.

Ce fut également le cas avec la participation de la Serbie au premier Sommet parlementaire de la plateforme internationale de Crimée . Lors de la rencontre avec le président du Parlement serbe, Vladimir Orlić, Botsan-Kharchenko « a exprimé l'espoir que la délégation de l'Assemblée nationale de la République de Serbie ne participe pas au Sommet ».

Contrairement à d'autres attentes, celles de la Russie ont été pleinement satisfaites puisque la délégation serbe n'a pas participé au Sommet d'où des messages de soutien à l'Ukraine ont été envoyés, malgré l'invitation officielle.

Les détails de la conversation entre Orlić et Botsan-Karchenko ont ensuite été publiés dans une note parlementaire, puis sur le portail N1 . Les plus grands défenseurs médiatiques de la « politique étrangère indépendante de la Serbie » et des « intérêts serbes » avaient mieux à faire à l'époque.

Ainsi, la guerre en Ukraine n'a fait que mettre à nu le mode de reportage propre aux grands médias serbes. En fait, selon les données de surveillance des médias du CRTA , le récit anti-occidental qui a dominé au cours des cinq années précédentes s'est encore intensifié depuis le début de la guerre en Ukraine. La balance entre les rapports positifs et négatifs des médias sur l'Union européenne et les États-Unis en 2022 est de 1 pour 15, alors que ce rapport est à l'opposé en ce qui concerne la Russie, où la balance des rapports positifs sur les rapports négatifs est de deux pour un.

Tout compte fait, pour le média le plus populaire de Serbie, la guerre en Ukraine n'était qu'une raison de plus pour placer la Serbie dans le rôle de victime. Et ce sujet a été utilisé pour créer la panique et la peur, ainsi que pour la pratique déjà établie de s'opposer à l'Occident, en particulier à l'Union européenne.

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