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Antigua-et-Barbuda : un site Ramsar menacé à cause d'une brèche dans le cordon littoral

Catégories: Caraïbe, Antigua et Barbuda, Catastrophe naturelle/attentat, Economie et entreprises, Environnement, Médias citoyens, Sciences

Vue aérienne du cordon littoral qui protège la lagune de Codrington, sur l'île de Barbuda. Photo de John Mussington, publiée avec l'autorisation de Cari-Bois Environmental News Network.

Cet article, écrit par Elesha George, a été initialement publié sur le site Cari-Bois Environmental News Network [1]. Une version éditée de l'article est republiée ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Depuis des décennies, un cordon littoral (bande de sable) situé au large de Barbuda, la plus petite des deux îles qui composent l’État de Antigua-et-Barbuda, ralentit les courants marins et protège la lagune de Codrington [2] du grand large.

Formée par ce même cordon littoral, la lagune présente un intérêt écologique significatif et fait partie de la liste des « zones humides d'importance internationale » [3] de la Convention de Ramsar [4]. Toutefois, depuis peu, des brèches ont commencé à fragiliser le cordon et menacent le bien-être des écosystèmes de la lagune, ainsi que les moyens de subsistance des habitants de Barbuda.

Raison de la déstabilisation du système de défense de la lagune

En 2017, une brèche s'est ouverte dans le banc de sable après le passage de l’ouragan Irma [5] (de catégorie 5) sur l'île.

Au lendemain du désastre, John Mussington, océanologue originaire de Barbuda, a estimé que le cordon littoral avait gagné environ 400 mètres. À peine remis de la première brèche, il s'est encore élargi en raison de conditions météorologiques instables, provoquées par un creux barométrique qui s'est déplacé à travers le nord-est des Caraïbes en 2019.

Ce n’est pas la première fois qu’une brèche s’était formée dans le banc de sable. En 1995, après le passage de l'ouragan Luis, une tempête de catégorie 4, les travaux pour le réparer ont duré près de six mois. Cette fois-ci, les chercheurs ont remarqué que le cordon prenait beaucoup plus de temps pour se régénérer de manière naturelle, que par le passé.

Répercussions sur l'écosystème de la lagune

La région subira de graves répercussions si la brèche ne se referme ; en outre, des espèces prédatrices se sont déjà infiltrées dans la lagune. Leroy Gore, président de l’association de pêche de Barbuda, a constaté une augmentation de la présence de rascasses volantes [6] et de requins-tigres.

Avant la brèche, les requins vivaient habituellement dans les mangroves, près de la lagune, où ils se reproduisaient. Aujourd'hui, ils ont été repérés dans toute la lagune et Gore craint qu'ils ne mettent en danger la vie des nageurs :

With the opening, we see a lot more activity happening within the lagoon. We see the flow of water has introduced a lot more different types of species within the lagoon. Species that were not thriving prior.

Depuis l’ouverture de la brèche, la lagune est devenue le berceau d’une nouvelle activité ; en effet, un très grand nombre d’espèces variées, qui auparavant ne proliféraient pas à cet endroit, ont réussi à s’y introduire.

Deon Desouza, membre de l’association de pêche de Barbuda, a déclaré avoir constaté, avec d’autres pêcheurs, la baisse du nombre de certaines espèces de poissons, notamment le poisson-perroquet, le vivaneau, le mérou couronné, le chevesne et d’autres types de mérous. Toutefois, Gore et Desouza émettent tous les deux la possibilité qu’un tel déclin soit attribuable à la surpêche pratiquée dans la région, en raison de la popularité de ces espèces.

Impacts sur les espèces

Des espèces telles que la langouste, la tortue imbriquée, la tortue luth et une colonie de frégates, utilisent le lagon comme aire de reproduction et source de nourriture.

Mussington souligne que l'afflux d'eau de mer va modifier le niveau de salinité de la lagune, empêchant certaines espèces de se reproduire et entraînant des effets néfastes sur d’autres écosystèmes comme les récifs de corail du pays :

Larvae in the lagoon are taken by ocean currents throughout the region, so what happens in Barbuda impacts everywhere else. The system works because there are certain parts of it that are isolated from the ocean. With that isolation, it provides perfect sanctuary areas for juvenile fish, lobsters, conchs … all these things.

Les larves de la lagune sont transportées par les courants océaniques à travers toute la région de sorte que ce n'est pas seulement Barbuda qui est touchée par ce problème. Le système fonctionne car certaines parties de la lagune sont séparées de l'océan, et créent de parfaits sanctuaires pour les alevins, les jeunes homards, conques…tout ce genre d'espèces.

Le poisson occupe depuis toujours une large place dans l’alimentation des Barbudiens. Beaucoup d’entre eux dépendent de la pêche au homard dans la lagune qu’ils vendent aux hôtels de la région ou exportent à d’autres îles des Caraïbes.

Dans certains cas, la pêche est l’unique source de revenus des îliens ; c’est pourquoi tout effet néfaste sur l'état de santé et la prospérité de l'industrie de la pêche à Barbuda risque d’avoir des répercussions sur la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance.

Augmentation des risques de catastrophe naturelle

À cause de la brèche, la montée des eaux dans la lagune peut également toucher l'intérieur des terres, en particulier en cas de fortes pluies et d’intempéries.

En janvier 2020, Philmore Mullin, alors directeur du National Office of Disaster Services (ou NODS), s'est dit préoccupé [7] par la situation qui rendrait l'île encore plus vulnérable aux tsunamis. Le point culminant de Barbuda n'est situé qu'à 38 mètres au-dessus du niveau de la mer, et l'île n'est accessible que par voie maritime et aérienne. De ce fait, en cas de catastrophe naturelle, les 1 500 habitants y seraient pris au piège.

Mullin a proposé la construction d’immeubles à plusieurs étages à Barbuda afin que les îliens puissent s’y réfugier en cas d’ondes de tempête soudaines ou d’importantes inondations.

Situation aggravée par les changements climatiques

Outre l'élévation du niveau de la mer et l’impact dans la région de cyclones tropicaux de plus en plus violents (tous les deux liés aux changements climatiques [8]), Mussington affirme que la construction [9] d'un hôtel près de la lagune de Codrington a joué un premier rôle dans la détérioration du cordon littoral.

Partie de l'hôtel détruit par l'ouragan Irma et aujourd'hui sujet de controverse : selon John Mussington, océanologue, sa construction a nuit à l'intégrité du système de défense naturelle de la lagune de Codrington. La photo montre le cordon littoral côté océan où, avant la construction de l'hôtel, s'étendait une grande plage avec des palmiers de près de 16 mètres de haut. Photo de John Mussington, publiée avec l'autorisation de Cari-Bois Environmental News Network.

Selon lui, le problème a commencé en 2004 lorsque la construction de l’hôtel fut autorisée « contre l’avis des experts techniques ».  Il ajoute que la situation « s'est aggravée en 2010 avec la décision de louer 30 hectares supplémentaires du cordon littoral à la même personne. Là encore, les conseils techniques furent ignorés. »

En 2011, après l'achèvement des travaux d'agrandissement de l’hôtel, Mussington affirme que l'érosion d'une plage voisine s'est aggravée et qu'une lame de fond survenue en 2012 a commencé à exposer les fondations du bâtiment. Lors d'un entretien avec Cari-Bois, Mussington a souligné que d'après le plan de zonage du parc national de la lagune, la zone avait été déclarée non-constructible.

Solutions pour refermer la brèche

Selon des notes prises par Mussington lors d'un séminaire à Antigua en novembre 2019, Mullin a estimé à 100 millions de dollars des Caraïbes orientales ( soit 37 millions de dollars américains) la construction de barrières pour refermer la brèche.

Cependant, d’après Mussington, les autorités devraient aussi se préoccuper des conséquences liées à l’utilisation de géotextiles [10] pour le projet de construction à Cedar Tree Point [11], qui se trouve en bordure de la célèbre réserve d'oiseaux de Barbuda [12]; s'intéresser aux problèmes environnementaux touchant Palmetto Point [13], qui abrite des écosystèmes précieux ; et démolir les vestiges de l’hôtel afin de remédier à l’ensemble du problème.

Mussington explique qu’il est possible de modifier le relief du rivage en créant un récif artificiel à l’aide d’une méthode appelée « électrodéposition », laquelle est capable de régénérer des systèmes coralliens. Cette méthode consiste à faire passer un courant électrique à travers un morceau de fer afin d’encourager le dépôt de carbonate de calcium, qui forme les coraux. Des panneaux solaires sont alors utilisés pour alimenter le faible courant électrique afin d’accélérer le processus de formation naturelle du corail.

Selon Mussington, si cette méthode est appliquée, les coraux commenceront à créer leurs propres écosystèmes en l'espace de quelques mois seulement. Il a rédigé une proposition à cet égard et, avec l’aide d’une petite équipe, il s'emploie à d'obtenir un financement pour faire de cette solution pionnière une réalité :

You will actually stimulate coral and other marine organisms to grow on that skeletal structure — and that’s exactly what a coral reef is, a skeletal structure with various organisms growing on it and soon you have an entire ecosystem.

Le corail et autres organismes marins vont proliférer sur cette structure squelettique artificielle ; telle est la définition même d’un récif corallien, une structure squelettique sur laquelle poussent divers organismes pour bientôt former tout un écosystème.

Les récifs permettraient également au sable de s'accumuler et, en contrepartie, d'agrandir la plage au sein de la lagune, de stimuler la croissance des herbes marines et des mangroves, et d'inverser la destruction du cordon littoral ou, au moins, d'éviter toute nouvelle érosion, et enfin de créer de nouveaux écosystèmes.