La nouvelle normalité après le séisme en Turquie : un acteur et télé-présentateur donne son point de vue

Capture d'écran extraite d'une vidéo du nouvel épisode, diffusée sur la chaîne YouTube de Guldur Guldur.

L'émission humoristique hebdomadaire « The Güldür Güldür Show », populaire en Turquie, présente souvent des sketches et des blagues inspirées par les événements et les contextes d’actualité. Après une pause de plusieurs semaines due au tremblement de terre dévastateur qui a frappé les provinces du sud-est de la Turquie, le nouvel épisode diffusé samedi était donc, sans surprise, entièrement consacré au tremblement de terre. Le discours du présentateur Ali Sunal a marqué le temps fort de cet épisode. Acteur célèbre, Ali Sunal est le digne successeur de son père Kemal Sunal, qui fut l’un des plus importants comédiens de l’histoire du cinéma turc.

Qu’est-ce qui est normal ?

Dès le début de l’émission, Sunal est monté sur la scène d’un théâtre plein à craquer et a posé une simple question : « Qu’est-ce qui est normal ? » Il a ensuite soigneusement décortiqué la question et examiné ce que la normalité signifie en Turquie :

Le tremblement de terre a eu lieu il y a plusieurs semaines et tout le monde aspire au retour à la normale. Quel genre de retour à la normale voulons-nous ? Est-ce que les architectes qui achètent leurs diplômes, les entrepreneurs incompétents et les fonctionnaires non qualifiés sont la normalité ? Est-il normal d’accorder une amnistie de zonage aux bâtiments défectueux ? Ou est-il normal de vendre des tentes à un moment comme celui-ci ? Est-il normal d’envoyer ouvertement des milliers de personnes à la mort ? Et après un tel désastre, est-il normal que pas une seule personne n’ait reconnu ses erreurs, ne se soit excusée et n’ait démissionné ?

L’opinion générale considère que l'État a mal géré la réponse au séisme : les retards des opérations de recherche et de sauvetage, les campagnes d’aide désorganisées, le manque de préparation de l’État ou de mesures d’urgence, la disparition des dons, etc., ont prolongé la souffrance des gens et ont provoqué des morts qui auraient pu être évitées. Jusqu’à présent, aucun officiel ne s’est excusé ou n’a démissionné, ce qui a suscité une vague d’indignation publique. Un peu plus d’un mois après le tremblement de terre qui a frappé dix provinces, la colère contre l’État continue à monter.

La révélation des faux pas et de la corruption du gouvernement a incité les citoyens à remettre en question le système autocratique en place depuis 20 ans, centré autour du président Recep Tayyip Erdoğan.

Une enquête journalistique récente a révélé que le Croissant rouge turc, une organisation d’aide humanitaire soutenue par l'État, a choisi de vendre des tentes provenant de dons aux personnes déplacées plutôt que de les distribuer gratuitement au lendemain du séisme. D’autres enquêtes ont montré que le Croissant rouge a également vendu des conserves et des vêtements d’occasion qui lui avaient été donnés à d’autres organisations humanitaires et à des compagnies mobilisées pour aider les victimes du tremblement de terre. L’arrestation d’environ 230 personnes, pour la plupart des entrepreneurs du bâtiment, n’a pas atténué les critiques de l’opinion publique. Une vidéo du président Erdoğan vantant les amnisties de zonage a également fait le buzz en ligne quelque temps après le séisme. Les amnisties de zonage, ou « zoning peace », ont permis aux constructeurs de s’affranchir, moyennant paiement, de règles de sécurité cruciales. Dans ce discours prononcé en 2019, le président Erdoğan s’est vanté d’avoir résolu « le problème de 144 156 citoyens de Maras grâce à l’amnistie de zonage. » Le discours a été prononcé à Kahramanmaraş (aussi appelée Maraş), l’une des provinces les plus touchées par le séisme.

Le discours de Sunal a fait le buzz sur le Twitter turc. Citant Sunal, les utilisateurs ont remercié l’acteur d’avoir mis des mots sur les sentiments et les pensées qui les hantaient depuis un mois. L’écrivain Yekta Kopan a partagé ses réflexions sur Twitter :

Le discours est court, succinct et clair. Je m’attendais à [un tel discours] de la part d’Ali Sunal et de l’équipe du Guldurguldur Show. Je suis d’ailleurs surpris que la chaîne ait autorisé la diffusion de ce discours. C’est peut-être grâce à BKM (Besiktas Kultur Merkezi). Note : Vivement le jour où nous serons plus surpris d’entendre ce genre de discours à la télévision.

Show TV, la chaîne qui diffuse « The Güldür Güldür Show » est l’une des chaînes généralistes turques. L’an dernier, les créateurs de l’émission ont dû couper un sketch satirique sur le ministre des Finances et trésorier Nureddin Nebati, sur demande de la direction de la chaîne. Avant la sortie de l’épisode, l'émission avait diffusé une vidéo promotionnelle dans laquelle un acteur imitait le ministre Nebati et paraissait répondre à des questions sur le système bancaire du pays, sur le chômage et sur d’autres questions d’actualité auxquelles le pays est confronté depuis la crise économique de l’année dernière. « Je m’intéresse beaucoup au secteur bancaire, » expliquait le faux ministre, en ajoutant : « J’ai deux cartes de crédit. » À la question portant sur d'éventuelles solutions pour réduire le chômage, il a répondu : « Oui, il suffit de leur trouver du travail. »  Ce sketch a finalement été retiré de la version finale de l’émission avant sa diffusion. Dans son tweet, Kopan faisait référence à ce sketch, ainsi qu’à la situation générale de censure du pays, dans lequel les chaînes grand public évitent de critiquer l'État et ses représentants.

Superbe discours d’Ali Sunal sur le tremblement de terre. Je soutiens chaque mot prononcé.

Merci à l’équipe de guldur guldur, aux scénaristes et à Ali Sunal d’avoir révélé cette vérité sur une chaîne grand public.

Sunal a terminé son discours avec les mots suivants :

Non monsieur, il n’y a pas de normalité dans tout ceci, ce n’est pas normal. Nous ne retournerons plus à cette normalité. À partir de maintenant, ce qui est normal, c’est de demander des comptes à tous les responsables. Ce qui est normal, c’est d’écouter la science lorsqu’elle nous dit comment prévenir chaque désastre avant qu'il n’arrive. Ce qui est normal, c’est de confier le travail à des experts, plutôt qu’à des parents, à la famille, aux membres du parti, à des partenaires ou à des amis. Comme l’a dit Atatürk, « Celui qui aime son pays par-dessus tout est celui qui accomplit le mieux son devoir. » Nous espérons que cela arrivera un jour, nous y croyons. Mais avant que ce jour n’arrive, nous continuerons à examiner toutes les erreurs à la lumière de la satire. Nous continuerons à braquer les projecteurs sur vous. Parce que rire ne veut pas dire oublier. Rire, c’est vivre; rire, c’est demander. Rire, c’est se souvenir. J’espère que le rire est bon pour nous tous dans ces temps difficiles. Bienvenue au Güldür Güldür Show.

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