Quelles sont les raisons derrière l'explosion de la criminalité à Sainte-Lucie ?

Une vedette de police à Castries, Sainte-Lucie, le 8 avril 2019. Photo d'Harry et Rowena Kennedy sur Flickr (CC BY-NC-ND 2.0.).

Aux Caraïbes, la nation de Sainte-Lucie est connue pour de nombreuses choses, notamment ses étonnants pitons, son festival de jazz et pour être le lieu de naissance de Derek Walcott, lauréat d'un prix Nobel. Mais à la mi-mars, après une série d'homicides dans la ville de Vieux-Fort, au sud de l'île, elle attire également l'attention sur la violence des gangs, prétendument liée au commerce de drogues.

Le Premier ministre Philip Pierre, également ministre de la Sécurité nationale, a demandé au Système de sécurité régional (en anglais Regional Security System), comprenant les États membres d'Antigua-et-Barbuda, de la Barbade, de la Dominique, de la Grenade, de la Guyane, de Saint-Christophe-et-Niévès et de Saint-Vincent et les Grenadines, de l'aider à gérer la situation :

La police vincentienne va aider Sainte-Lucie dans sa lutte contre la violence des gangs.

Le gouvernement a mis en place des patrouilles de police 24 heures sur 24 en réponse aux sept meurtres, tous liés à des armes à feu, et prévoit d'impliquer la société civile et les chefs d'entreprise pour réfléchir à des solutions possibles, tandis que les îles voisines lancent un appel au calme.

Les efforts de la police de Sainte-Lucie sont accueillis avec confiance, tant par le chef de l'opposition Allen Chastanet que, selon le commissaire de police adjoint Ronald Phillip, par les habitants de la communauté de Vieux-Fort. Cependant, Earl Bousquet, chroniqueur écrivant pour le Guyana Chronicle, remarque :

Ce n'est pas la première crise de sécurité nationale de ce type sur l'île, puisqu'une longue vague de criminalité similaire avait conduit à une opération de police soutenue par le gouvernement entre 2010 et 2011, appelée « Opération restauration de la confiance », au cours de laquelle des éléments criminels présumés, connus de la loi, auraient été inscrits sur une liste noire de la police en vue d'être exécutés.

Il a aussi été stipulé que lors d'une de ces opérations, toujours à Vieux-Fort, cinq des personnes ciblées par la police ont été tuées, et les enquêteurs allèguent également des efforts pour dissimuler et/ou falsifier des preuves.

Une enquête menée par l'IMPACS [Caribbean Community Implementation Agency for Crime and Security], l'entité chargée des enquêtes de sécurité de la CARICOM, a révélé suffisamment de preuves pour conclure qu'au moins une douzaine de policiers ont commis au minimum autant d'exécutions extrajudiciaires, à la suite desquelles les familles des victimes et les policiers accusés ont été laissés dans l'incertitude.

Selon Earl Bousque, cet élément datant d'il y a plus de dix ans a contribué à la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui Sainte-Lucie. Après les meurtres de policiers, l'administration Trump de l'époque, aux côtés de l'Union européenne (UE), ont « condamné la lenteur de la réponse judiciaire nationale. » Sont arrivées ensuite des sanctions contre l'île en vertu de la loi Leahy, mettant fin au soutien des États-Unis à toute force de police ou armée dont il est établi qu'elle a agi de manière extrajudiciaire.

La résultante de cette mesure a empêché les forces de l'ordre de Sainte-Lucie de participer à des conférences internationales et de bénéficier d'une aide financière ou matérielle de la part des États-Unis. L'efficacité du maintien de l'ordre, y compris les patrouilles frontalières effectuées par les garde-côtes, a naturellement diminué.

Il y a tout juste un an, en mars 2022, cinq des policiers ayant fait l'objet d'une enquête dans le cadre de la controverse autour de « l'Opération restauration de la confiance » ont été blanchis par manque de preuves, mais cela n'a pas, jusqu'à présent, convaincu les États-Unis de lever les sanctions. Earl Bousquet précise que la police de Sainte-Lucie a été « accusée par des politiciens de remettre en circulation des armes illégales ayant été obtenues dans le cadre de l'amnistie “armes contre argent”, celle dernière étant une autre victime de la politique et du changement de régime » :

Au cours de la dernière décennie, la lutte contre la criminalité a été militarisée par les politiciens caribéens pour obtenir des votes, tandis que les gangs armés se sont multipliés, renforcés par un nombre incalculable de « déportés » envoyés dans la région par les administrations Obama et Trump, aggravés par la guerre des gangs prolongée et la prolifération ininterrompue d'armes illégales.

La sophistication des opérations criminelles multinationales inter-îles de nos jours a également permis aux gangs d'avoir accès à des armes plus mortelles que la police, que certains tireurs ne cachent même pas, exhibant leur matériel sur les réseaux sociaux, tirant des balles en l'air lors de fêtes ou pour simplement faire de l'esbroufe.

Depuis les meurtres de ce mois-ci, le quartier de Vieux-Fort a été désigné comme zone d'escalade de la criminalité, permettant d'étendre les pouvoirs de la police en matière de lutte contre les activités criminelles.

Selon un rapport publié en 2022 par InSight Crime, un groupe de réflexion et une organisation médiatique cherchant à approfondir et à éclairer le débat sur le crime organisé et la sécurité des citoyens dans les Amériques, les récentes flambées de violence ont porté le taux d'homicide de Sainte-Lucie à un niveau tel que, par habitant, il est égal à celui de territoires régionaux plus larges comme la Jamaïque et Trinité-et-Tobago.

En 2021, Kenny Anthony, ministre du Parlement pour la région de Vieux-Fort, publie sur Facebook un message comparant sa circonscription à être « virtuellement devenue une zone de guerre. » Le rapport de 2022 d'InSight Crime sur les homicides, avec un spectre élargi aux petites nations des Caraïbes (dont beaucoup ont connu une hausse des taux d'homicide), dresse un tableau d'autant plus sombre :

Un total de 76 meurtres, cela peut paraître peu. Mais pour un pays de la taille de Sainte-Lucie, avec une population avoisinant 180 000 habitants, ce chiffre le place en tête des classements régionaux.

En 2021, Sainte-Lucie a enregistré 74 meurtres, un record à l'époque. L'augmentation en 2022 à 76 meurtres signifie que le pays a battu son record d'homicides pour la deuxième année consécutive, menant le Parti ouvrier à appeler le Premier ministre Philip Pierre à démissionner de son poste de ministre de la sécurité nationale.

Les gangs du pays sont de plus en plus à couteaux tirés alors que la nation insulaire est devenue une plaque tournante de la cocaïne sud-américaine destinée aux États-Unis et à l'Europe. […]

Les élus ont condamné « l'anarchie dans notre pays » et promis des « sanctions draconiennes », mais peu de détails ont été fournis.

Le minuscule territoire britannique d'outre-mer des Îles Turques et Caïques était en tête du taux d'homicide des Caraïbes en 2022, avec 77,6 %, soit le taux le plus élevé par habitant de toute l'Amérique latine et des Caraïbes. Il était suivi par la Jamaïque (52,9 %), puis par Sainte-Lucie, à égalité avec sa voisine Saint-Vincent et les Grenadines à 40,3 %.

La situation de la criminalité à Sainte-Lucie pèse sur le commerce, certaines entreprises dans les zones touchées ont décidé de réduire leurs heures d'ouverture par crainte pour la sécurité de leurs clients et de leur personnel.

D'après Earl Bousquet:

Vieux-Fort était une ville fantôme […] à la suite des tueries commencées le 10 mars, lorsque les écoles et les entreprises ont fermé plus tôt que prévu, après que des membres des familles de victimes de fusillades antérieures ont été pris pour cible et exécutés, dans ce qui a été officiellement décrit comme une vengeance.

Certaines personnes se sont exprimées sur la situation via les réseaux sociaux. Voyant la pression monter depuis l'année dernière, Rhyesa Joseph, un utilisateur de Twitter, a posté un message énigmatique visant à inciter les citoyens à jouer leur rôle et à dénoncer les actes répréhensibles :

Quelqu'un sait qui introduit des armes illégales à Sainte-Lucie.
Quelqu'un sait que des adolescents, garçons et filles, font partie de gangs.
Quelqu'un sait qui vole les véhicules des gens.
Quelqu'un connaît les mécaniciens qui facilitent ces vols.
Quelqu'un sait quand le coup va avoir lieu.

D'autres ont simplement été stupéfaits par le niveau de violence :

Sainte-Lucie est vraiment devenue sauvage avec cette guerre des gangs.

La cause est très préoccupante, car la violence est non seulement liée au trafic de drogue, mais aussi au trafic d'armes et d'êtres humains. Comme beaucoup d'autres territoires régionaux, Sainte-Lucie continuera à se battre avec ces problèmes de sécurité, dont beaucoup de petites nations insulaires ne sont souvent pas en mesure de résoudre, que ce soit d'un point de vue culturel ou financier.

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