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Togo-Chine, un demi-siècle de coopération fructueuse mais qui rejette toute forme de critique

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Chine, Togo, Développement, Economie et entreprises, Médias citoyens, Politique, Relations internationales, La Chine en Afrique francophone, Togo, un pays à double visage

Le Stade de Kégué, construit par les Chinois, Photo de Jean Sovon utilisée avec permission

Présente au Togo depuis 1972, la République Populaire de Chine va fêter ses 51 ans de coopération avec le Togo en 2023. Si Lomé et Pékin affichent des relations idéales, la réalité sur le terrain est plus nuancée.

Durant ce demi-siècle de coopération, la Chine s'est positionnée comme acteur clé dans les échanges commerciaux du Togo avec l'extérieur. Comme le témoigne Liu Yuxi [1], ambassadeur de Chine au Togo en septembre 2017 à l'occasion de la célébration des 45 ans de relations bilatérales entre les deux pays sur le site officiel de l'ambassade de Chine [2]:

Suite à l'établissement de ces relations le 19 septembre 1972, “la Chine est devenue le principal partenaire commercial du Togo et une des principales sources d'investissement”.

En 2021, alors que l'économie togolaise se relève à peine des conséquences de la crise de Covid19, les échanges commerciaux entre les deux pays connaissent une augmentation fulgurante [3]. Depuis lors, la Chine contribue au côté du gouvernement togolais à la mise en œuvre d'une politique de grands travaux.

La Ceinture et la Route (connue en chinois comme “一带一路”, et en anglais comme la Belt and Road Initiative [4](BRI) lancée par la Chine est une vaste stratégie politique, économique et culturelle qui rassemble plusieurs pays membres dont 43 en Afrique [5], y compris le Togo. Cette orientation de la politique extérieure chinoise vient renforcer la relation sino-togolaise.

Nombreuses sont les réalisations issues de cette nouvelle dynamique. On peut citer la Sucrerie Sinto d'Anié [6], la construction du Stade Kégué [7] de Lomé, le Centre Hospitalier Régional Lomé Commune [8], le Palais de Congrès de Kara [2], l’Aéroport International Gnassingbé Eyadéma [9], le contournement routier de Lomé [10], le nouveau siège du parlement. [11]

La République Populaire de Chine ne se contente pas d'une relation basée sur la réalisation de ces grands travaux. Hormis le secteur des infrastructures, elle est aussi présente dans la formation des étudiants togolais à travers l’Institut Confucius [12] de l'Université de Lomé, crée en octobre 2009 pour l’enseignement de la langue et de la culture chinoise.

Bâtiment de l'Institut Confucius à l'Université de Lomé, Photo de Jean Sovon utilisée avec permission

L'Institut Confucius aide les étudiants Togolais à trouver une portée d'entrée [13] dans les entreprises chinoises installées au Togo.

L'empire du milieu offre aussi des bourses d'études du gouvernement chinois [14] aux étudiants togolais et forme des experts et techniciens dans plusieurs domaines.

Dans le secteur de la santé, plusieurs missions médicales chinoises [15] opèrent au Togo. Des prestations et interventions médicales sont réalisées par des spécialistes chinoises de différentes disciplines. Au total, Pékin a mené 25 missions [16] dans les Centres Hospitaliers Régionaux de Kara et de Lomé, qui ont été construits [8] par la Chine.

Centre Hospitalier Régional de Lomé, construit par les Chinois, Photo de Jean Sovon utilisée avec permission

En 2015, cette influence de la Chine sur le Togo est positivement perçue par la majorité des Togolais selon une enquête [17] réalisée par AfroBaromètre [18].

Privilèges des entreprises chinoises au Togo

Les déclarations officielles indiquent que le bien-être des populations et le développement de l'économie locale sont au centre de la relation entre le Chine et le Togo. Ainsi en septembre 2022 à l'occasion de la célébration des 50 ans de relations entre les deux pays, Chao Weidong, ambassadeur de la République populaire de Chine au Togo déclare [19] dans son discours:

(…)Les ressortissants chinois au Togo sont préoccupés par le bien-être de la population locale. En faisant don de fournitures depuis plus de dix ans, ils contribuent à la vie de la communauté, ce qui est un témoignage puissant des liens interpersonnels qui se resserrent de plus en plus(…)

Toutefois ceci est loin d'être le cas dans tous les projets associés à la Chine. Par exemple, les marchés de construction des infrastructures sont confiés aux entreprises chinoises au détriment des entreprises nationales opérant dans les mêmes secteurs d'activités. 

Bien que la mise en œuvre des différentes réalisations chinoises au Togo génère des emplois directs, de nombreux chantiers connaissent des grèves émanant des conditions de travail peu reluisantes.

En 2014, 120 ouvriers Togolais [20] ont été licenciés par WUITEC (entreprise chinoise en charge de la construction de la nouvelle aérogare de Lomé) pour avoir dénoncé des conditions de travail insoutenables [21].

En janvier 2016, le média 27avril.com [22] publie un dossier titré ” L’autre face cachée de la Chine au « grand cœur » au Togo : Abus, violences et sauvageries des « colons » Chinois contres ouvriers africains [23]“. Dans cette publication, le journal met au grand jour les agissements cachés et la face obscure des entreprises chinoises au Togo en expliquant que :

[Il n'y a pas] pas de place possible pour le droit avec les Chinois. C’est peut-être une réalité commune à toutes les entreprises sans distinction ; mais avec les entrepreneurs chinois :

pas de contrat de travail pour les employés

pas d’indemnité pour les travaux de nuit,

pas de bulletins de paye ;

il n’existe non plus de déclaration à la caisse, des prélèvements sur salaire pour cause d’absence même en cas de maladie sont effectués,

les accidents de travail ne sont nullement pris en charge et les ouvriers blessés sont abandonnés à leur triste sort…

En 2018, c'est la société Chinese Road and Bridge Corporation (CRBC) qui fait face à un mouvement d'humeur des ouvriers [24] sur le chantier de la route Lomé-Vogan-Anfoin.

De même, d'autres secteurs comme l'agriculture bénéficient des appuis de la coopération sino-togolaise mais seulement au profit des entreprises chinoises. Un rapport d'étude [25] réalisée par le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) souligne que les appuis de la Chine au Togo dans le domaine respecte un agenda bien définit. Le rapport [25] cite en conclusion:

(…)la coopération agricole sino-togolaise est plus diplomatique que technique. Alors que le partage de savoir-faire agricole paraît constituer la clé de voûte de la coopération, sa mise en œuvre très superficielle laisse supposer que les véritables enjeux sont ailleurs. Les experts chinois présents sur les Centres semblent remplir leur feuille de route avec conscience mais sans trop tenir compte du contexte, dans un relatif isolement renforcé par la barrière de la langue. Leur action contribue à renforcer le potentiel de pénétration des intrants chinois (semences améliorées, engrais, pesticides, machinisme) sur les marchés africains.

De bonnes relations avant tout

Ces exemples négatifs ne semblent pas décourager les entreprises chinoises dans leurs pratiques. D'autre part, les autorités togolaises ne font pas de commentaires sur ces grèves récurrentes, ce qui est une pratique générale non seulement en ce qui concerne les entreprises chinoises mais aussi dans la majorité des sociétés qui sont détenues par des étrangers.

Ayant manifesté son désir depuis 2016 d'être le point d'ancrage [26] pour l’Initiative Belt and Road (BRI) en Afrique, le Togo participe à des rencontres organisées par la Chine sur son territoire, y compris avec des acteurs du secteur privé chinois. Au lendemain du 7è Forum sur la Coopération Afrique-Chine [27] (FOCAC) tenu les 3 et 4 septembre 2018, le président togolais rencontre des investisseurs chinois dans le souci d'attirer beaucoup plus d’investisseurs chinois.

En août 2021, la commission mixte de coopération entre le Togo et la Chine organise par visioconférence une session au cours de laquelle de nouvelles annonces [28] sont faites pour la suite et la consolidation des relations entre les deux pays. Selon le site TogoFirst [28]:

(…)l’Empire du milieu entend articuler désormais sa relation avec le Togo autour de la santé publique, de l’emploi, de la production et de l'inclusion sociale, conformément aux nouvelles orientations du gouvernement togolais contenues dans sa feuille de route quinquennale, une ambition bâtie autour de dix (10) grands piliers déclinés en quarante-deux (42) projets et réformes prioritaires.

En 2022, le Togo a bénéficié comme d'autres pays africains de l'annulation d'une parties des dettes [29] contractées auprès de la Chine.

Ces déclarations et des actions démontrent que la relation bilatérale entre le Togo et la République Populaire Chine va probablement croître dans les années à venir mais sans nécessairement être bénéfique à tous les Togolais.