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En République de Guinée, le chemin vers la réduction de gaz à effet de serre est parsemé d’embûches

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Guinée, Développement, Environnement, Médias citoyens

Ramassage des bois dans la forêt classée de Quewel. Photo de Jacques Kamano, utilisée avec permission

En 2015, la République de la Guinée s’est fixée un objectif : reboiser une superficie de 10 000 hectares par an [1], afin de freiner la dégradation des forêts et d’accroître la séquestration de carbone. Mais contre toute attente, dans la version actualisée de sa Contribution Déterminée au niveau National en 2021 [1], le pays revoit ses ambitions à la baisse. Le chiffre passe ainsi à 5 000 hectares par an sur l’ensemble du territoire.

La Guinée est subdivisée en quatre régions naturelles [2]: la Basse-Guinée [3] ou Guinée maritime [4] (zone côtière) ; la Moyenne-Guinée [5] qui comprend le massif du Fouta Djalon [6] ( zone montagneuse) ; la Haute-Guinée [7] (zone de savane au Nord) et la Guinée forestière [8] (zone de forêts au Sud-Est). Le pays jouit d'un climat tropical avec une saison des pluies et une saison sèche. La forêt couvre 23 % du territoire [9] et prend en compte le parc national du Haut Niger [10], les réserves de la biosphère du massif du Ziama [11] et du mont Nimba [12].

Les principales sources d'émission de gaz à effet de serre en Guinée [13] incluent le secteur résidentiel (plus de 86%, à  cause du nombre important de ménages utilisant le bois de feu); l'énergie (7 %) et le transport (6%).

En 2030, la République de Guinée pourrait réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 13% [14], en restaurant notamment son couvert forestier, grâce à sa campagne nationale de reboisement. Toutefois plusieurs facteurs peuvent empêcher la réalisation de cet objectif: absence de mécanisme de suivi et d’entretien des plants mis en terre ; opacité des opérations de financement des activités des ONG recrutées pour le reboisement ; faible archivage des acquis ; minoration des équipes chargées de surveiller les espaces reboisés.

Des séquelles de brûlures laissées sur le site reboisé de Wonkifong antenne, préfecture de Coyah en Guinée. Photo d'Aissata Sidibe, utilisée avec permission

L'exemple de ce qui se passe à Wonkifong [15], dans la préfecture de Coyah [16] à 50 Km de la capital Conakry, illustre bien tous les défis rencontrés. Sur cette image on peut voir des plants de reboisement décatis et isolés, encore enfouis en terre, sur une pelouse recouverte, en partie, de cendres, témoin du passage du feu. Sur ce périmètre, d’importants bancs de sable sont arrachés, laissant plusieurs points d’excavation.

Wonkifong a connu un second reboisement, censé couvrir une superficie totale de seize hectares, du moins, officiellement. Mais pourtant rien de concret sur le terrain. Au micro de Global Voices (GV), Mamadama Bangoura, une riveraine du site de reboisement regrette:

Regardez vous-même l’état de ce site reboisé successivement en 2 ans. Où sont les plants ?

Le périmètre reboisé en 2022 à Wonkifong n’est pas une exception parmi les sites de reboisement. À plus de 200 km de Wonkifong, la forêt classée de Quewel [17] dans la commune urbaine de Mamou a été reboisée en juillet 2022 comme indiqué sur le compte Twitter de la Jeune Chambre Internationale Conakry Elite [18] :

Mais le périmètre reboisé se trouve être, en grande partie, dégarni. Au micro de Global Voices, Mamadou Bah, président de l’antenne préfectorale de l’ONG Synergie d’Action pour le Développement de Mamou (SYNADEM) fulmine:

Les reboisements de ces dernières années n’ont servi à rien.

Ramassage des bois dans la forêt classée de Quewel. Photo de Jacques Kamano, utilisée avec permission

Dans cette vaste forêt de 600 hectares, ce sont surtout les activités de collecte de bois qui ont un impact négatif significatif sur la croissance des plants mis en terre, dans le cadre des campagnes de reboisement. Thierno Issa Sylla, président national de la SYNADEM, interviewé par Global Voices, s'indigne:

Les gens viennent chercher du bois. Il y a des lianes qui peuvent s’attacher aux plants. Par manque d’attention, ils ramassent les plants avec du bois.

Résultats mitigés

Les campagnes de reboisement menées ces dernières années n’ont pas permis d’atteindre les objectifs fixés, quoique lesdits objectifs aient été revus à la baisse. Paul Kimahévé Guilavogui, Conseiller de la Ministre de l’Environnement et du Développement Durable confie à GV::

En 2022, nous avons réussi à reboiser plus de 4 000 hectares grâce à l’effort conjoint du financement du budget national de développement et d’autres entités.

Le manque de rapport de synthèse sur les acquis et faiblesses des différentes campagnes de reboisement prive le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable d’un outil important de l’évaluation de ses actions, en matière de reboisement, mais aussi d’une feuille de route réaliste pour l’atteinte des objectifs fixés. Paul Kimahévé Guilavogui déplore cette situation :

Les efforts de reboisement fournis avant 2021 ne présentent aucune visibilité. Nous ne disposons pas de rapports nous permettant de dire exactement quelle est la situation.

Graphique sur l’évolution des superficies de forêts reboisées en Guinée sur une échelle de 0 à 2800 et de 2004 à 2020. Réalisé par Aissata Sidibe, utilisée avec permission

Les annuaires statistiques forestiers [27] disponibles offrent un aperçu de l’évolution des forêts reboisées. Selon ces données [28], les réalisations de la Guinée n’ont jamais atteint les 5 000 hectares de surface à reboiser par an.

A titre d’exemple, en 2016, l’année suivant l’adoption de la Contribution Déterminée au niveau National, la Guinée n’a reboisé que 392 hectares.

Des investissements sans suivi

Les difficultés à tenir les promesses de reboisement en Guinée ne sont pas nouvelles. Le rapport d’évaluation des ressources forestières [29] produit par le Fonds des Nations-Unies pour l'Alimentation et l’Agriculture( FAO) en 2020, souligne les insuffisances notoires du pays sur la période de 1990 à 2020. On peut lire en commentaire, à la page 14 dudit rapport [29].

Les investissements dans le reboisement sont faibles. Les superficies plantées ne représentent qu’environ 2 % de la superficie des forêts.

En 2022, 14 milliards 647 millions de francs guinéens (1.7 million dollars américains) ont été décaissés par le Budget National de Développement pour ces opérations de reboisement. Mais la gestion de ces ressources mises à disposition n’est pas allée sans anicroches. Certaines ONG dénoncent le mode de décaissement qu’elles jugent empreint d’opacité. C’est le cas du Réseau National de la Société Civile pour l’Environnement et le Développement durable [30] (RENASCED). Sékou Amadou Diakité, coordinateur national dudit réseau dénonce :

L’enveloppe était estimée à 40 millions de francs guinéens (4 649 dollars américains), mais après la signature du contrat, nous avons reçu 30 millions (3 490 dollars américains) . Il n’y a pas de moyens pour le suivi parce que le reliquat lié au suivi n’a pas été payé. Normalement, dans le contrat, il est dit que les 75 % vont être payés à la signature du contrat et les 25 % après exécution pour le suivi.

La faible implication des communautés riveraines des sites de reboisement dans les opérations de reboisement, notamment au niveau du suivi des plants mis en terre, figure au nombre des griefs formulés à l’encontre desdites opérations.

Mamadi Kourouma, président de l’Association des Jeunes Guinéens pour le Développement Social et Sportif (AJGDSES). se confie à Global Voices:

Il n’y a pas de suivi. Quel que soit le travail que nous effectuons, nous le laissons dans les mains des communautés et des gardes forestiers qui se trouvent sur place. Le défaut de suivi nous amène à faire un pas en avant et deux pas en arrière .

Le Ministre de l’Environnement et du Développement Durable est bien conscient de l’enjeu du suivi des plants de reboisement mis en terre. Dans le cadre de la campagne nationale de reboisement de 2022, il a été prévu le renforcement de capacités de suivi et de surveillance des agents de terrain.

Paul Kimahévé Guilavogui se veut rassurant:

Les inspecteurs seront dotés d’outils de transmission directe et les chefs de section Forêts et faunes de cantonnement qui sont à la base procéderont à la collecte des données et les moyens seront mis à disposition pour assurer le suivi et la surveillance des sites.

Selon Guilavogui, la mise en place des comités locaux de suivi des espaces reboisés ; des comités composés de surveillants doit pouvoir booster les opérations de reboisement et permettre d’atteindre les objectifs fixés quant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ils vont parcourir les sites reboisés, au moins deux fois par semaine, pour y relever les situations irrégulières en vue de leur correction immédiate.

Une promesse qu’il faudra traduire en actes concrets, avant la prochaine campagne nationale de reboisement, pour éviter d’enfouir sans suite des milliards de francs guinéens en terre.