Relations sino-brésiliennes en 2023 : le Brésil va-t-il rejoindre les « nouvelles routes de la soie » ?

Image : Giovana Fleck/Global Voices

Au fil des vingt dernières années, la Chine est peu à peu devenue le premier partenaire économique du Brésil dans le domaine du commerce, de l'investissement et de la finance. Néanmoins, le Brésil avait jusqu'à présent refusé de rejoindre le principal projet stratégique international de la Chine : les nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI).

Le 28 mars 2023, Luiz Inácio Lula da Silva, le président du Brésil récemment élu, se rendra en République populaire de Chine (PCR) pour une visite officielle. Les experts ne s'attendent pas à ce que le projet BRI soit au centre des discussions. La visite met en évidence les liens historiques, politiques et commerciaux qui unissent les deux nations. Selon les médias chinois, la rencontre devrait contribuer au développement de la relation entre les deux pays, qui devrait acquérir une dimension plus stratégique sous le futur gouvernement de Lula. Une telle issue engendrerait de considérables répercussions sur les États-Unis et la région qui l'entoure.

Un soutien bilatéral

La Chine n'a jamais adopté une perspective unilatérale dans ses relations avec le Brésil, mais s'est davantage positionnée dans un engagement à long terme, comme en témoignent les nombreux projets de collaboration organisés sur plus de dix ans qui marquent les mandats présidentiels brésiliens de quatre ans.  

Dans les deux pays, les autorités développent des programmes de collaboration sur dix ans depuis 2004, date à laquelle Lula réalisait son premier mandat. Six réunions plénières ont été organisées au cours des 18 années d'existence de la relation stratégique. La dernière en date a eu lieu en mai 2022, lorsque le vice-président Hamilton Mourão a rencontré son homologue chinois Wang Qishan.

Mourão représentait l'administration Bolsonaro, profondément marquée par une aversion pour la Chine et une tendance à la blâmer pour les problèmes environnementaux du Brésil. Néanmoins, en dépit des tensions, le Brésil se place au quatrième rang des pays ayant reçu le plus d’investissements chinois entre 2005 et 2021, sans même faire partie du projet BRI.

Les points principaux du nouveau programme de collaboration sur dix ans (2022-2031) mettent en évidence les priorités de la Chine ainsi que la manière dont les deux pays entendent s'inscrire dans le paysage international. Le nouveau programme s'articule autour de trois axes stratégiques : la politique, l'économie (investissement, commerce et coopération) et la science (en particulier la technologie et l'innovation). Par ailleurs, lors de la dernière réunion plénière en 2022, les représentants chinois ont déclaré vouloir lancer des négociations concernant un accord de libre-échange avec Mercosur, la communauté économique regroupant l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, et l'ouverture du marché financier et des services en général pour les entreprises chinoises. Il est probable que ces sujets soient également abordés lors de la visite de Lula.

Qu'est-ce que le projet BRI ?

Le projet BRI porte en premier lieu sur la construction d'infrastructures reliant la Chine au reste du monde, mais il comporte également une dimension importante de soft power. La Chine fait usage de son “sharp power” pour modeler les écosystèmes d'information internationaux de manière à en tirer profit. Elle a notamment beaucoup investi dans la surveillance et la censure, à l'échelle nationale comme internationale, et dans le marketing des médias au niveau mondial.

Depuis 2009, le China Media Group (CMG) a forgé des alliances avec les plus grandes chaînes de radio et de télévision du Brésil, dont Globo, Bandeirantes et EBC. Une collaboration en particulier a marqué l'histoire, celle entre le groupe de télévision Bandeirantes et CCTV (la Télévision centrale de Chine), illustrée par la production d'une chronique télévisée quotidienne d'une durée de 5 à 10 minutes intitulée “Mundo China” (La Chine et le monde) diffusée sur BandNews TV, la chaîne d'actualité en continu du groupe Bandeirantes. 

L'ONG Freedom House a récemment publié un rapport centré sur un groupe de pays, dont le Brésil, et portant sur l'influence de Beijing sur l'environnement médiatique mondial. Il y est observé que Beijing a une influence notable sur les médias brésiliens. Celle-ci est principalement induite par les lacunes et les vulnérabilités du Brésil en matière d'information. En effet, les effectifs d'envoyés spéciaux en Chine sont faibles, tandis que la présence étatique dans les médias est forte, même avec une audience restreinte.   

En 2020, Global Voices a mené des recherches approfondies sur les retombées du projet BRIC et l'influence de la Chine sur les discours civiques à l'échelle mondiale. Des recherches réalisées au Brésil ont montré qu'un lien se forgeait entre nationalisme et préoccupations environnementales lorsque les exportations de produits agricoles vers la Chine étaient considérées comme un danger pour les ressources locales. Des partis populistes, par exemple, se sont servis des exportations massives de bœuf brésilien vers la Chine pour accuser les Chinois de détruire les forêts brésiliennes en vue de satisfaire la demande et de se comporter comme des colons. Néanmoins, comme le montre le rapport de Global Voices, ces exportations reflètent l'entière coopération de nombreux entrepreneurs brésiliens et des autorités étatiques.    

Un autre projet de recherche, entrepris dans le cadre de l'initiative China Index, révèle que la Chine est majoritairement présente au Brésil dans le domaine de la technologie, suivi de celui de la politique étrangère et de l'économie.

Le troisième mandat de Lula

La Chine a dépassé les États-Unis pour devenir le premier partenaire commercial du Brésil durant le deuxième mandat de l'actuel président Luiz Inácio Lula da Silva, en 2009. Depuis, les rapports économiques entre les deux nations se sont renforcés et sont devenus plus stables. 

En revanche, sur le plan politique, les quatre dernières années sous la présidence de Jair Bolsonaro, empreintes d'une animosité qui s'est manifestée jusque dans l’échange d'affronts publics, ont terni ces liens. Il convient d'évoquer notamment l'épisode qui avait impliqué Eduardo Bolsonaro, le fils de l'ancien président brésilien, et Yang Wanming, alors ambassadeur de la Chine au Brésil. En 2020, le député Eduardo Bolsonaro avait publié sur son compte Twitter des accusations à l'encontre du gouvernement chinois, dont il critiquait les mesures prises pour lutter contre la COVID-19, qu'il comparait à celles adoptées par d'autres lors de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.      

Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui attendent de Lula qu'il rétablisse les liens solides qui unissaient autrefois les deux pays. Le nouveau président pourrait effectuer un premier pas vers une réconciliation politique en décidant d'exprimer le soutien de son pays au projet BRI lors de sa visite en Chine. Bien que les diplomates chinois aient mis en avant l'Initiative pour le développement mondial, l'adhésion du Brésil au projet BRI revêtirait un caractère symbolique particulier, puisqu'elle pourrait être perçue comme une victoire pour la Chine.

En ce qui concerne le commerce, Lula a manifesté le désir d'utiliser l'influence du Brésil au sein du Mercosur pour favoriser l'établissement d'un accord de libre-échange entre la communauté économique et la Chine. Le président brésilien s'est également exprimé sur le développement des politiques entre le Brésil et la Chine. À l'égard de la guerre en Ukraine, Lula a plaidé en faveur d'un “groupe de médiation” international dans lequel la Chine pourrait être invitée à jouer un rôle.

Lors d'une récente conférence de presse, la Télévision centrale de Chine a demandé à Wang Wenbin, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la PCR, quelle était sa perception de la relation actuelle entre le Brésil et la Chine, ce à quoi il a répondu :

La Chine et le Brésil représentent à la fois des grands pays en développement et d'importants marchés émergents, ainsi que des partenaires stratégiques mutuellement compréhensifs. Depuis l'établissement de liens diplomatiques entre la Chine et le Brésil il y a presque un cinquante ans, les deux pays n'ont cessé de renforcer leurs relations au sein d'un paysage international en évolution, lesquelles ont porté leurs fruits à tous les niveaux. Nous avons ainsi donné un bon exemple pour les grands pays en développement qui cherchent à se développer conjointement avec d'autres pays par le biais de la solidarité et de la coopération. 

Il a conclu son intervention en affirmant que la visite du président Lula ouvrirait la porte à de nouvelles possibilités pour les relations entre les deux chefs d'état, qui pourront apporter de nouvelles contributions dans les domaines de la sécurité et du développement, au niveau régional comme international.

Selon Evan Ellis, enseignant-chercheur en études latino-américaines à l'U.S. Army War College, Lula et Xi Jinping n'aborderont probablement pas des questions de justice sociale ou de préservation de la voix des communautés défavorisées dans les démocraties. En revanche, ils parleront de deux points cruciaux qui n'étaient pas ressortis lors de l'entretien entre Lula et Biden : les promesses de la Chine de fournir une somme importante d'argent au Brésil et la mise en place d'un plan d'action politique relatif aux enjeux stratégiques qui affectent les interactions entre les nations dans la situation géopolitique actuelle. Il écrit les mots suivants dans le journal Global Americans :

Pour l'instant, Washington a cherché à se concentrer sur des sujets politiques sur lesquels s'entendent les administrations Lula et Biden. Le sommet de février entre les deux présidents avait mis en évidence leurs positions communes sur des questions relatives à la justice sociale et à l'environnement. Les chefs d'Etat avaient notamment évoqué la réhabilitation du groupe de travail États-Unis/Brésil sur le changement climatique et la mise en place d'un plan d'action commun visant à éliminer les discriminations raciales, ethniques et sexistes. L'adhésion politique et économique du Brésil à la Chine se manifeste en partie aux dépens des États-Unis, qui ont été publiquement laissés de côté, comme en témoigne l'expansion des exportations agricoles du Brésil vers la PCR. Cette situation stratégique permet à la Chine de réprimer les producteurs américains en réduisant leurs exportations dans un contexte marqué par une hostilité croissante entre la Chine et les États-Unis.

Les relations qu'entretiennent les États-Unis avec la Chine ne cesseront de nuire à celles établies entre le Brésil et cette dernière. Néanmoins, Lula a toujours su gouverner avec nuance, son objectif étant de compter plus d'amis que d'ennemis dans la sphère internationale, même lorsque cela l'amène à exprimer un soutien controversé. Bien qu'il ne soit pas assuré que le Brésil puisse tirer profit d'une adhésion au projet BRI, il est attendu de la visite de Lula en Chine qu'elle permette aux deux nations de renouer des liens plus proches. 

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