- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

La République Démocratique du Congo prépare les élections de décembre 2023 dans un contexte sécuritaire inquiétant

Catégories: République Démocratique du Congo (RDC), Droit, Élections, Gouvernance, Guerre/Conflit, Média et journalisme, Médias citoyens, Peuples indigènes, Politique, Réfugiés, RDC, pauvre malgré sa richesse

Capture d'écran de la RDC sur la chaîne YouTube de France 24 [1]

La République Démocratique du Congo (RDC) se prépare à des élections majeures le 20 décembre 2023 [2] car plus de 45 millions de Congolais [3] seront alors appelés à élire leur président, ainsi que des représentants parlementaires, provinciaux et municipaux, dans un contexte de guerre civile partielle.

Les autorités du pays affûtent leurs armes pour faire de ces élections un scrutin transparent, apaisé et crédible aux yeux des Congolais et des observateurs de la vie sociopolitique de la RDC. Depuis l'annonce de la date de ces élections le 26 novembre 2022 [4], les Congolais et leur gouvernement vivent dans une atmosphère de campagne préélectorale qui se concentre sur l'élection du président [5] pour un nouveau cycle de  de cinq ans.

Félix Tshisekedi [6], président depuis décembre 2018 se présente pour un second mandat [7] à la tête du pays. En face de lui, les alliances [8] commencent à se nouer entre les hommes politiques, surtout au sein de l’opposition congolaise [9]. Celle-ci se compose principalement de candidats déclarés comme Moïse Katumbi, ancien allié de Félix Tshisekedi et candidat d'Ensemble pour la République [10]; Martin Fayulu [11] du parti Engagement pour la Citoyenneté et le Développement (ECiDé); Augustin Matata Ponyo [12] , ancien premier ministre de Joseph Kabila [13]; Denis Mukwege, [14]gynécologue et prix Nobel de la paix 2018;  et Delly Sesanga [15], député du parti l’Envol de la RDC.

Pendant ce temps, les conflits armés continuent de secouer le pays, principalement dans la région de Nord-Kivu [16] (province située à l’est du pays) où les rebelles du M23 sèment la terreur, faisant des victimes avec à la clé des milliers de déplacés. Cette région est l’une des zones qui abrite le plus grand nombre d’électeurs [17] (3 864 600 d’électeurs lors des échéances électorales en 2018). Le M23 [18] est composé d'anciens soldats Congolais majoritairement issus du Nord-Kivu qui réclament de meilleures représentativités dans cette région riche en minerais tels que l'or, le coltan ou l'étain. Désarmé depuis 2013 [19], les rebelles du M23 ont repris les armes, dénonçant le non respect [20] des engagements pris par Kinshasa.

Malgré les nombreuses missions d’interventions présentes dans le pays: les forces de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République Démocratique du Congo [21] (MONUSCO), les forces de la Communauté d’Afrique de l’Est [22] (CAE), la force régionale de la Communauté de développement de l’Afrique australe [23] (SADC), les exactions des rebelles du M23 continuent [24].

Le pays est aussi gangrené par la corruption, avec un score de 20 sur 100 [25] selon l'Indice de Perception de Corruption de Transparency International [25], et est classé 166 sur 180 pays. La liberté d'expression est également aussi au plus bas niveau. Dans le classement 2023 de Reporters Sans Frontières [26], la RDC se positionne à la 124è place sur 180 pays. Malgré la richesse de son sous-sol en minerais, la RDC reste l'un des cinq pays les plus pauvres au monde. Selon la Banque Mondiale [27], en 2022, la population de la RDC vit avec moins de 2,15 dollars américains par jour.

Pour mieux comprendre l’environnement dans lequel se prépare ces échéances électorales, Global Voices s’est entretenu, via Whatsapp, avec Edgar Katembo Mateso, enseignant congolais et chercheur en philosophie politique et sociale, premier vice-président de la société civile du Nord-Kivu en RDC.

Jean Sovon (JS): Dans quel contexte se déroulent les élections en République Démocratique du Congo?

Edgar Mateso : Le processus électoral est déjà lancé mais il démarre dans un contexte particulièrement difficile. Celui de l’insécurité à l’Est du pays mais aussi un contexte politique où les acteurs politiques se disent menacés, notamment les opposants qui ne trouvent pas leur part dans le processus électoral en cours.

Jean Sovon (JS): Comment décririez-vous le contexte actuel dans lequel se préparent les élections présidentielles de décembre 2023 et quels sont les défis et enjeux?

Edgar Mateso : Sur le plan sécuritaire au niveau du Nord-Kivu, nous sommes sous état de siège même chose en Ituri [28] ( province à l’Est du pays). Malheureusement, une de ces deux provinces est assiégée par l'armée rwandaise qui se camoufle derrière les rebelles du M23. Pendant que dans la partie nord de la même province, des groupes armés continuent de massacrer la population civile, notamment les Forces démocratiques alliées [29] (ADF), la Coopérative pour le développement du Congo [30] (CODECO), la Force de résistance patriotique de l'Ituri [31] (FRPI), les Mai-Mai [32] qui déstabilisent la paix sociale dans les milieux ruraux. Depuis bientôt six mois, le gouvernement a accepté de faire venir la force régionale de l’EAC qui malheureusement, ne s'est pas bien comportée sur le terrain. Malgré cette présence, le M23 continue d’être visible sur le terrain. Entre-temps, il y a des zones qui sont inaccessibles à l’armée congolaise. On se demande comment on pourrait organiser les élections dans ce contexte là. Déjà l’enrôlement s’est pas passé sans les territoires de Rutshuru [33] (situé dans le Nord-Kivu) où la population est en fuite vers l’Ouganda. Même ceux qui étaient à l'intérieur du pays avaient des difficultés à se faire enrôler. Ça va créer des difficultés pour ces territoires d'avoir des représentants dans les institutions tant nationales que provinciales.

Sur le plan social, ce sont les fonctionnaires de l’État qui continuent à présenter leurs remous. Lors de la paye du mois d’avril, plusieurs fonctionnaires et principalement les enseignants ont vu leurs salaires être retranchés de 10.000 francs congolais (5 dollars américains). Mais ils n’ont pas compris pourquoi une telle somme pouvait être retirée de leurs salaires sans qu’ils ne soient avisés. Ceci risque de pousser ces agents dans des grèves interminables alors que nous sommes déjà en période pré-électorale.

Jean Sovon (JS): Pensez-vous que ces enjeux pèsent sur la balance des intérêts des candidats?

Edgar Mateso : Il faut que le gouvernement arrive à baisser la tension sécuritaire dans la partie Est de la RDC. Dans un contexte comme celui-là, il sera difficile d’organiser les élections dans un climat apaisé surtout que la population n’est pas d’accord avec le déploiement de toutes ces forces parce qu’elles n’ont servi pratiquement à rien depuis leurs arrivées dans le pays.

Jean Sovon (JS): Ne craignez-vous pas un taux d'abstention élevé pendant ces élections si on sait que les enjeux sécuritaires demeurent aussi importants?

Edgar Mateso : Il y a plutôt un risque de réticence. Certaines personnes vont hésiter à aller voter parce qu’ils n'y trouvent aucun intérêt. Certains députés élus n’ont pas été à la hauteur de la tâche pour pousser le gouvernement à répondre aux désirs des populations. De plus, ceux qui seront élus avec ce faible taux de participation pourront représenter la population,  alors que si les élections s’étaient passées dans de bonnes conditions, ils ne seraient peut-être pas à ces postes.

Jean Sovon (JS) : Quel rôle peut jouer la société civile pour que ces élections apportent un début de réponse aux nombreuses crises auxquelles fait face le pays?

Edgar Mateso : Au niveau de la société civile, nous avons une triple mission. D'abord éducatrice: dans des circonstances comme celle-ci nous devons éduquer la population, la mobiliser, lui retracer les bons profils des meilleurs candidats pour les élections. La société civile doit orienter la population et doit rappeler que le vote est un droit et un devoir. Nous remplissons également une mission de sentinelle où nous surveillons le bon fonctionnement et le bon déroulement des élections. De plus, la société civile fait pression quand elle trouve que les intérêts des communautés ne sont pas respectés. À ce niveau au Nord-Kivu, nous menons des pressions sur les gouvernants afin que les élections se déroulent dans les meilleures conditions pour que la population se trouve sécurisée.

Jean Sovon (JS) : Que doit faire le gouvernement?

Edgar Mateso : Le gouvernement a le devoir de tout faire pour que ces élections se tiennent à temps et que les populations en déplacement (déplacés internes et réfugiés) puissent retourner dans leurs villages respectifs pour bien participer à ce processus électoral conformément au calendrier déjà fixé par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI).