Éthiopie : lente reprise de la minorité afar après la guerre

Des huttes comme celles-ci, dans la région Afar en Éthiopie, servent d'abri à de nombreuses personnes déplacées dans la région, au cours de deux années de guerre civile brutale. Crédits image : Marissa Bortlik, Source : Licence UnsplashHuts like these ones in Ethiopia's Afar region, provide shelter for many of the region's displaced, amid two years of brutal civil war. Image Credits; Marissa Bortlik, Source: Unsplash

Des huttes comme celles-ci, dans la région afar en Éthiopie, servent d'abri à de nombreuses personnes déplacées dans la région, au cours de deux années de guerre civile brutale. Crédits image : Marissa Bortlik, Source : Licence Unsplash

«Il n'y avait pas de combattants. Tout était paisible avant que nous n'entendions des explosions », déclare Mekiya Ali, 26 ans, dans une interview accordée à Global Voices, décrivant le jour d'août de l'année dernière, lorsque sa ville natale de la région afar, la région aride du nord-est de l'Éthiopie à la frontière avec l'Érythrée, a  été prise dans la brutale guerre civile dans ce pays.  

Le conflit, qui a débuté fin 2020, a vu l'armée éthiopienne et des soldats érythréens alliés déployés pour chasser les forces rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), au nord du pays. Les combats se sont finalement propagés dans les régions voisines d'Afar et d'Amhara. Les civils ont supporté le plus gros de la souffrance.

«J'ai commencé à sentir ma peau en feu. Ma maison a été touchée », a déclaré Mekiya à Global Voices. «J'ai pensé que j'allais mourir.»

La maison de Mekiya a été touchée l'année dernière par des obus d'artillerie rebelle. Les combats entre les factions ont tué plus d'un demi-million de personnes , selon les médiateurs de paix de l'Union africaine (UA). L'UA a présidé un accord de cessez-le-feu signé à Pretoria, en Afrique du Sud, en novembre dernier, qui a mis fin aux combats.

Avec l'accord de paix, les communautés meurtries du nord de l'Éthiopie ont entamé le long processus de reconstruction. La famine, les atrocités et les déplacements massifs ont touché des millions de personnes dans le nord de l'Éthiopie, créant sans doute la pire catastrophe humanitaire au monde, en particulier dans le Tigré où un siège a empêché les livraisons d'aide humanitaire pendant plus d'un an. 

«On estime que 65% des écoliers afar n'ont pas encore commencé leur année scolaire», lit-on dans un communiqué de presse publié en novembre par l'Afar Pastoralist Development Association (APDA), une agence humanitaire locale basée à Afar. « [Les enfants] ont été déplacés. Les écoles qu'ils fréquentent ne sont pas sûres et ils vivent dans des sociétés traumatisées qui peuvent difficilement mettre l'éducation dans le puzzle.

La minorité ethnique afar compte environ 2% de la population éthiopienne estimée à 119 millions et est principalement constituée d'éleveurs. Les enfants d'Afar souffraient depuis longtemps d’une insécurité alimentaire induite par la sécheresse, que la guerre a depuis exacerbée.

L'ONU a enregistré des augmentations de la malnutrition aiguë sévère dans 23 districts régionaux afar, selon un rapport de situation publié lundi.

Le porte-parole du CICR (Comité international de la Croix-Rouge), Jude Fuhnwi, a déclaré à Global Voices dans une interview par e-mail :

Les besoins humanitaires en Afar sont immenses, mais reçoivent très peu d'attention et de réponse. Il y a un nombre impressionnant de personnes déplacées dans cette région qui ont fui la guerre et sont arrivées dans les communautés d'accueil sans absolument rien. Même si les hostilités sont terminées, ils restent dans des camps parce qu'ils n'ont pas où retourner.

Selon l'Agence américaine pour le développement international (USAID), un assaut sur plusieurs fronts contre des villes et villages de la région afar par les forces tigréennes qui ont résulté en des semaines de combats intenses a déplacé 300 000 civils, soit près d'un cinquième des habitants de la région, en octobre 2022.

Comment les afar ont été entraînés dans la guerre

Des disputes politiques latentes ont déclenché la guerre. L'administration régionale afar n'a pas été innocente dans ces disputes entre le Tigré et le gouvernement fédéral éthiopien. Selon une source diplomatique qui s'est entretenue avec Global Voices, de nombreux anciens afar traditionnels étaient initialement indécis sur le camp à soutenir.

«La neutralité militaire initiale des afar est venue de la perception largement répandue de la guerre comme étant entre deux éléphants se battant pour le pouvoir», explique Dawud Mohammed Ali, professeur de commerce et de développement à l'Université Semera de la région.

Les débordements ont entraîné les afar dans la guerre. Tout au long de 2021, le TPLF avait réussi à capturer des pans entiers de la région d'Amhara et, à un moment donné, s'est approché à moins de 120 km de la capitale Addis-Abeba. À Afar, cependant, ils ont été largement empêchés de faire des percées majeures par des milices locales retranchées.

Dawud a déclaré à Global Voices :

Les afar se sont sentis trahis. Aucun afar ne s'attendait à être envahi parce que nous supposions que sans rôle dans la guerre, il n'y en aurait aucune raison. Nous avons également été victimes, car nos districts ont perdu les services bancaires, l'électricité et les communications lorsque la guerre a éclaté.

Pour la société afar, la terre n'est pas seulement une ressource mais une identité. C'est ce qui les a unis LOIN de tous les horizons pour prendre les armes.

L'importance stratégique d'Afar dans la guerre

Pour les dirigeants tigréens, la prise de la ville afar de Mille est devenue un objectif de guerre crucial , car elle aurait coupé Addis-Abeba du port de Djibouti, principale porte d'entrée des importations éthiopiennes.

Les Tigréens n'ont pas réussi à capturer Mille lors d'une série de combats successifs. Mais l'impact des assauts infructueux a été immense. En février 2022, la guerre avait déplacé quelque 300 000 civils afar.

«Notre peuple fuit parce que lorsque [les forces tigréennes] nous attaquent, elles font pleuvoir de l'artillerie sur nos maisons et nos mosquées à distance», a déclaré à Global Amin Mohammed Bada, 35 ans, un commerçant afar qui fait partie des déplacés et qui a trouvé refuge chez des parents à Semera.

Les combats en Afar étaient souvent précédés de barrages d'artillerie très redoutés, qui réduisaient les villages en ruines. En avril, le médiateur éthiopien a déclaré que les assauts militaires tigréens sur le territoire afar avaient détruit des infrastructures d'une valeur d'environ 15 millions de dollars .

Fuhnwi du CICR a déclaré :

Le conflit a eu un lourd tribut sur les établissements de santé à Afar. L'accès aux services médicaux est un problème majeur. La plupart des centres de santé du nord isolé ne sont pas fonctionnels et le personnel n'est pas revenu. Le CICR offre des fournitures médicales à trois établissements de santé situés dans des zones gravement touchées.

Fuhnwi a également expliqué qu'il ne reste aucun centre de réhabilitation physique pour les blessés de la région, y compris les amputés. 

«Le pire depuis trente ans»

Humanitarian Aid workers from UNICEF Ethiopia in a village in Afar. Image source UNICEF Ethiopia. Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-NC-ND 2.0)Travailleurs humanitaires de l'UNICEF en Éthiopie dans un village d'Afar. Source de l'image, UNICEF Éthiopie. Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Générique (CC BY-NC-ND 2.0)

Travailleurs humanitaires de l'UNICEF en Éthiopie dans un village d'Afar. Source de l'image, UNICEF Éthiopie. Attribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Générique (CC BY-NC-ND 2.0)

La fondatrice de l'Afar Pastoral Development Association (APDA), Valerie Browning , une infirmière australienne qui réside à Afar depuis les années 90 et qui parle la langue, affirme que pour les habitants de la région, les choses n'ont jamais été pires.

Browning a déclaré à Global Voices au téléphone :

La situation humanitaire pendant la guerre était la pire que j'aie vue depuis trente ans. Des bombardements aveugles ont incinéré des femmes et des enfants dans leurs maisons. Des écoles, des maisons et des systèmes d'approvisionnement en eau ont été détruits. Et pourtant, la souffrance des gens ici n'a attiré que peu d'attention des médias.

L'APDA de Browning a salué l'accord de paix et a souligné la nécessité d'initiatives de résolution communautaire pour aider les survivants traumatisés.

A l'écoute des victimes d'atrocités

Des témoins oculaires ont déclaré à Global Voices que les bombardements d'artillerie du Tigré le 24 août 2022 ont fait plus d'une douzaine de victimes civiles dans la ville afar de Yallo, à 6 km de la frontière avec le Tigré. 

C'est la même attaque qui a causé les horribles brûlures de Mekiya Ali. Sa maison, dans le quartier animé de Menafesha à Yallo, faisait partie avec plusieurs de celles qui ont été ciblées. Mais c'est la mort de ses deux fils, dont le plus jeune est un nourrisson, qui la fait pleurer des mois plus tard :

« Mes enfants ont été brûlés vifs. Ils vivaient à peine. Qu'ont-ils fait pour mériter ça ? Nous n'avons menacé personne !

Sans parler des combattants, il n'y avait personne avec une arme ce jour-là. Mais ils ont fait pleuvoir le feu sur nous. Je sais que plusieurs de mes voisins sont morts aussi parce que j'ai vu leurs corps carbonisés.

Mekiya Ali photographiée lors de sa conversation avec Global Voices. Image exclusive à Global Voices.

Mekiya Ali photographiée lors de sa conversation avec Global Voices. Image exclusive de Global Voices.

Getachew Reda, qui est le chef par intérim du gouvernement régional du Tigré, n'a pas répondu à un e-mail sollicitant des commentaires. Dans le passé, il a généralement rejeté les rapports sur les faits comme étant faux.

La mort d'enfants dans le bombardement de villages afar fin août a cependant été reconnue par l'UNICEF.

La responsabilité de telles atrocités est une question épineuse. Les enquêteurs de l'ONU ont enquêté sur les allégations de crimes de guerre en Éthiopie, mais ils ont complètement omis la région afar dans un premier rapport publié l'année dernière, citant des contraintes logistiques.

« Le rapport a ignoré les injustices contre une minorité sans voix et opprimée », a déclaré Dawud Mohammed Ali. «Cela m'a rendu malade et découragé.»

Il est de plus en plus improbable que les enquêteurs de l'ONU soient autorisés à se rendre dans la région pour enquêter correctement sur des incidents tels que le bombardement de Yallo.

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