Un documentaire taïwanais présente l'histoire oubliée d'un camp de réfugiés vietnamiens des années 70

Capture d'écran du documentaire “A Camp Unknown” de la chaîne YouTube 公視綜合 de Taïwan.

Même si Taiwan ne dispose toujours pas de loi relative à l'asile, le pays n'est pas indifférent au sort des réfugiés. Dans les années 70 et 80, Taïwan a en effet accueilli une vague de réfugiés du Vietnam, comme le montre un nouveau documentaire, “A Camp Unknown”(Un camp méconnu).

Le documentaire, dont la première a eu lieu en anglais à Taipei fin avril, révèle un aspect peu connu de l'histoire de Taïwan: l'État insulaire a accueilli un camp de réfugiés pour les boat people vietnamiens de 1977 à 1988.

 

“A Camp Unknown” (彼岸他方 en chinois) est produit par la chaîne PTS de Taïwan et raconte l'histoire de plus de 2 000 boat people vietnamiens qui ont réussi à se rendre à Taïwan sur 51 bateaux entre juin 1977 et 1988. Ils ont ensuite obtenu l'asile dans deux camps distincts sur les îles Penghu, au sud-ouest du pays. Entre 1977 et 1988, cette communauté s'est agrandie avec la naissance de bébés dans les camps.

L'une des personnes interviewées dans le documentaire est Liu Chihsiung (également connu sous le nom d'Asio), un documentariste taïwanais qui a consacré près de trente ans de sa vie au sujet des camps. Son histoire commence au milieu des années 1990 quand il fait son service militaire aux îles Penghu, et découvre l'histoire des camps avant que les bâtiments ne soient démolis en 2003. Avec son frère, il filme ce qui reste des camps, puis mène des recherches dans des archives, ainsi qu'en ligne, pour trouver des informations sur le camp ainsi que sur leurs anciens habitants et leurs proches qui sont maintenant dispersés aux quatre coins du monde. Les camps ont été fermés en 1988 car ses habitants étaient soit autorisés à rester à Taiwan s'ils pouvaient prouver une ascendance ethnique chinoise; soit ils ont eu la possibilité de se réinstaller de façon permanente, principalement en Amérique du Nord et en Europe.

Le documentaire PTS capture une scène émouvante où certaines des personnes nées dans le camp retournent aux îles Penghu. Ils expliquent que retourner dans cet endroit leur permet d'arriver à une conclusion sur leur identité et leur histoire familiale. Le jour de la première en anglais, le 30 avril, une personne s'est levée et a expliqué qu'elle venait des États-Unis et qu'elle était elle-même fille d'un réfugié du camp.

Dans le cadre de son action militante, Asio a créé une ONG pour préserver la mémoire de cette histoire méconnue, la Chiangmei Refugee Archive Association (CRAA), qui aide à récolter des fonds pour de futures archives et pour son documentaire en cours.

En effet, Asio n'en est qu'au début de son projet cinématographique qui dure toute une vie. Comme il l'explique dans une interview avec Global Voices réalisée dans son bureau de Taipei dans un mélange d'anglais et de chinois, outre le documentaire télévisé, il travaille actuellement sur une trilogie de longs métrages documentaires, ainsi que sur un livre pour détailler l'histoire de ces camps.

Voici comment il explique l'origine de son obsession pour cette histoire: du sujet :

I can't really explain, as I initially don't have any connection with Southeast Asia or refugees. As student, I published an underground university newspaper as we still had martial law. When I had to serve in the army from 1994–1996, I was thus assigned to be an assistant editor for the army's newspaper given my background. This is when I had a dream in which a Cambodian young woman, probably a victim of the Khmer Rouge camps, spoke to me and said in English “Have you ever been there?” I had two more dreams related to this story, the last being in 2003.

Je ne peux pas vraiment l'expliquer, car je n'ai au départ aucun lien avec l'Asie du Sud-Est ou les réfugiés. En tant qu'étudiant, j'ai publié un journal universitaire clandestin car nous étions encore sous loi martiale à l'époque. Lorsque j'ai dû faire mon service militaire de 1994 à 1996, je l'ai fait en partie comme rédacteur en chef adjoint du journal de l'armée compte tenu de mon parcours. C'est alors que j'ai fait un rêve dans lequel une jeune cambodgienne, probablement victime des camps des Khmers rouges, m'a parlé et m'a dit en anglais « Avez-vous déjà été là-bas ? J'ai eu deux autres rêves liés à cette histoire, le dernier en 2003.

Voici une vidéo où il explique cette expérience en détail :

Asio explique le point de vue taïwanais sur le Vietnam :

It seems foreigners are more interested in this topic than Taiwanese. Yet Taiwan is a frontier that received refugees fleeing mainland China in its history. At the same time, most Taiwanese think they are superior to Southeast Asians. As a result even our Chinese-Vietnamese community is very silent in Taiwan and doesn't make its voice heard. We do have a significant Vietnamese work and marriage migrant community in Taiwan, mostly since Vietnam started its Đổi Mới reform policy which coincided with the time Taiwan changed politically and ended martial law.

Il semble que les étrangers soient plus intéressés par ce sujet que les Taïwanais. Pourtant, Taïwan est une sorte de frontière qui a accueilli des réfugiés fuyant la Chine continentale au cours de son histoire. En même temps, la plupart des Taïwanais pensent qu'ils sont supérieurs aux Asiatiques du Sud-Est. En conséquence, même notre communauté sino-vietnamienne est très silencieuse à Taïwan et ne fait pas parler d'elle. Nous avons une importante communauté vietnamienne de migrants et de femmes mariées à des hommes taïwanais, principalement depuis que le Vietnam a lancé sa politique de réforme Đổi Mới qui a coïncidé avec le moment où Taïwan a changé politiquement et a mis fin à la loi martiale.

Après son service militaire, Asio a travaillé comme journaliste et a appris par lui-même à devenir cinéaste et caméraman. À un moment donné, il a dû travailler comme chauffeur de bus pour financer sa vie et était sur le point d'arrêter complètement le film en raison de la difficulté de gagner sa vie en tant que réalisateur de documentaires. Mais en 2012, il revient sur ce projet après avoir rencontré des personnes directement liées à la gestion des camps.

Il conclut l'interview en disant :

This process allows me to revisit my childhood and teenager years that ended in 1988. But mostly, this project has made me less lonely. The international community ignores and refuses to recognize Taiwan. Now that I have done all this work, and the trilogy is almost ready be released, I feel connected to Southeast Asia. It made me a more complete person.

Ce processus me permet de me replonger dans mes années d'enfance et d'adolescence qui se sont terminées en 1988. Mais surtout, ce projet m'a rendu moins seul. La communauté internationale ignore et refuse de reconnaître Taïwan. Maintenant que j'ai fait tout ce travail et que la trilogie est presque prête à sortir, je me sens connecté à l'Asie du Sud-Est. Cela a fait de moi une personne plus complète.

 

L'histoire complexe des relations Taïwano-Vietnamiennes

Le Vietnam et Taïwan ont une histoire complexe, car Taipei, qui était sous le contrôle du Kuomintang farouchement anti-communiste à partir du milieu des années 1940, a développé des relations proches avec le Sud Vietnam, qui combattait le Nord Vietnam communiste avec le soutien des États-Unis jusqu'en 1975, lorsque Saïgon est tombé et le pays a été réunifié sous le régime communiste.

Le Vietnam a toujours inclus une importante communauté chinoise venant de Chine continentale mais aussi de Taïwan ou d'autres centres de la diaspora chinoise. En outre, un certain nombre de Taïwanais ont déménagé au Sud Vietnam au milieu des années 1950 lorsque les Sud-Vietnamiens ont établi des relations diplomatiques avec Taïwan en 1955. Des étudiants sud-vietnamiens sont également venus à Taïwan pour étudier, et Taipei a fourni une assistance technique et militaire à Saïgon, tandis que les deux pays ont organisé de nombreuses visites d'État officielles. Fait révélateur, juste avant la chute de Saïgon en 1975, également connue sous le nom de libération de Saïgon, le président sud-vietnamien s'est enfui à Taiwan, où son frère était ambassadeur.

Après un long gel des relations, Taipei et Hanoï ont commencé à renouer des relations économiques à la fin des années 1980. Aujourd'hui, il y a plus de 200 000 travailleurs migrants vietnamiens à Taïwan, et de nombreux Taïwanais se rendent au Vietnam en touristes.

Débat houleux à Taïwan sur l'absence de loi relative à l'asile 

L'histoire des camps de réfugiés vietnamiens est peu connue à Taïwan car, à ce jour, le pays n'a pas de loi relative à l'asile et officiellement n'accepte pas de réfugiés. C'est principalement parce que Taïwan est proche de la République populaire de Chine qui compte avec 1.3 milliard d'habitants, dont beaucoup pourraient demander l'asile politique si on leur en donnait la possibilité.

La question est devenue encore plus taboue après le tristement célèbre incident au cours duquel au moins 19 boat people venant du Vietnam ont apparemment été abattus par l'armée taïwanaise en 1987. La mémoire de l'affaire est toujours bien vivante, comme un récent rapport du gouvernement taïwanais l'a montré lors de sa sortie en 2022.

Aujourd'hui, le débat sur l'absence de droit à l'asile a été relancé pour deux raisons : premièrement, parce que l'ONU ne reconnaît pas Taïwan, même s'il s'agit d'un État totalement indépendant, et deuxièmement, parce que nombreux Hongkongais fuient la répression politique de Pékin pour se mettre en sécurité à Taïwan, le dernier refuge pissible dans un pays de langue chinoise.

Comme l'explique cet article du Taipei Times, alors que les législateurs taïwanais restent réticents, l'opinion publique semble prête à accepter un changement de la loi:

Regarding potential asylum mechanisms in Taiwan, slightly more people agreed than disagreed with passing some kind of a refugee act (regardless of whether that included Chinese nationals), while most people did not have an opinion on this — which reflects the lack of discussion in Taiwanese society. […] On the other hand, 50 percent believed that passing such a law would highlight the human rights values of Taiwan, and the difference between Taiwan and China.

En ce qui concerne les mécanismes d'asile potentiels à Taïwan, une majorité des personnes interrogées était d'accord avec l'adoption d'une sorte de loi sur les réfugiés (qu'elle inclue ou non les ressortissants chinois), alors que la plupart des gens n'avaient pas d'opinion à ce sujet – ce qui reflète le manque de discussion dans la société taïwanaise[…] D'un autre côté, 50% pense que l'adoption d'une telle loi mettrait en évidence l'importance qu'attache Taipei aux droits humains et souligne la différence entre Taïwan et la Chine.

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