La liberté de la presse concerne aussi les médias en langues autochtones : le cas de l'occitan en France

Capture d'écran de la chaîne Youtube d'ÒCtele

Il y a trente ans, la branche des Nations Unies traitant de l'éducation, la science et la culture, l’UNESCO, lançait la Journée mondiale de la liberté de la presse pour souligner le rôle clé de la liberté des médias. Cette année, la célébration se concentre sur « La liberté d'expression en tant que moteur de tous les autres droits humains », mais qu'est-ce que la liberté d'expression sans la liberté de produire et d'accéder à des contenus d'information dans sa langue ? Ceci est particulièrement pertinent dans le contexte des langues minoritaires, comme le montre l'exemple de l'occitan dans le cas de la France.

Pour en savoir plus, lisez le cahier spécial de Global Voices en anglais Special Coverage on World Press Freedom Day

L'occitan est une langue romane qui était la langue d'origine de la grande majorité des habitants du sud de la France jusqu'au début du XXe siècle. Aujourd'hui, cette langue est parlée par moins d'un demi-million de personnes dans une zone d'environ 30 millions d'habitants, même si elle possède une riche tradition écrite juridique et littéraire remontant au XIe siècle. Cela résulte de l'imposition du français comme seule langue officielle dans l'enseignement à partir de la fin du XIXe siècle, et de l'interdiction au public de les utiliser à l'école jusqu'en 1951. Depuis, l'attitude du gouvernement a lentement changé vers plus de reconnaissance et de soutien, bien que la suspicion d'un possible séparatisme linguistique demeure dans certaines branches du gouvernement, en particulier en ce qui concerne la législation et l'éducation.

Étant donné que la grande majorité des occitanophones sont aujourd'hui de nouveaux locuteurs, c'est-à-dire des enfants, des jeunes et des adultes qui l'ont appris ou l'apprennent en plus du français, il est essentiel de créer un environnement où la langue est utilisée et accessible au plus haut niveau sur toutes les plateformes de communication. C'est là qu'intervient le rôle des médias, qu'ils soient traditionnels comme la radio, la télévision et la presse écrite, ou présents sur Internet et sur les réseaux sociaux, ce qui probablement d'autant plus important. Comme l'indique l'article 16 (1) de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) de septembre 2007 :

Indigenous Peoples have the right to establish their own media in their own languages and to have access to all forms of non-Indigenous media without discrimination.

Les peuples autochtones ont le droit de créer leurs propres médias dans leur langue et d'avoir accès à toutes les formes de médias non autochtones sans discrimination.

Médias occitanophones : un mélange d'initiatives privées et étatiques

L'un des vecteurs des médias occitanophones est la télévision, car c'est un média à la fois traditionnel et numérique compte tenu de sa présence sur le web et sur les réseaux sociaux.

ÒCtele est une chaîne de télévision privée diffusant en occitan depuis 2013. Elle a été créée par le journaliste Lionel Buannic et est gérée par LB Groupe, une société privée qui maintient également une chaîne similaire dans l'autre grande langue régionale de France, le breton, langue celtique. ÒCtele diffuse quatre heures par jour, et propose des informations quotidiennes, des films et une série d'émissions régulières couvrant divers sujets allant du sport à la nourriture, de la littérature à l'apprentissage et à l'amélioration des compétences occitanes. La chaîne enregistre plus d'un demi-million de vues par an. Bien qu'il s'agisse d'une initiative privée, elle bénéficie d'un financement du gouvernement local dans quelques régions où l'occitan est encore parlé. Elle est également présente sur la plupart des réseaux sociaux, y compris Instagram et YouTube.

Les radios publiques et financées par l'État faisant partie du réseau France Bleu proposent également des programmes courts en occitan et sur l'occitan : c'est le cas de France Bleu Béarn (région des Pyrénées à la frontière avec l'Espagne) dans l'émission “Les mots d'Oc” (Oc est la façon dont le mot oui, prononcé “oui” dans la moitié nord de la France, est écrit dans la partie sud, également appelée Occitanie, et souvent prononcé “outs “), où un mot de la version locale de l'occitan est utilisé dans son contexte culturel pour partager des connaissances sur les traditions ou la littérature occitanes. L'émission est majoritairement en français mais donne des exemples de phrases et de mots occitans.

France Bleu Périgord (une autre région d'Occitanie) propose une émission entièrement en occitan axée sur les proverbes occitans, qui s'intitule « Meitat chen, meitat pòrc » (« Mi-chien, mi-cochon », un proverbe occitan).

Ràdio País est une radio musicale privée diffusant des programmes en occitan gascon et en français, et qui propose principalement de la musique en occitan, en catalan et en français, souvent par des musiciens du sud de la France. Elle a été créée en 1983 dans la même région du Béarn lorsque la France a autorisé les “radios libres“, c'est-à-dire des radios privées et associatives, mettant ainsi fin au monopole de l'État sur la radiodiffusion. Elle diffuse également des informations.

Il existe une dizaine d'autres radios et émissions dédiées à la langue, la musique et la culture occitanes qui sont également disponibles sur internet, rendant le contenu occitanophone contenu facilement accessible, y compris sous forme de podcast.

Des revues et magazines sont également disponibles en occitan, notamment le Lo Diari  (Le Journal) qui se positionne comme un magazine couvrant la culture occitane, y compris la littérature, la musique, le cinéma, les arts de la scène, en occitan, et existe en version papier et en ligne. Il est publié par une ONG appelée Institut d'estudis Occitans (Institut d'études occitanes).

Il est intéressant de noter que, alors que Google a élargi son nombre de langues et inclut des langues autochntones, telles que le samoan, l'ouïghour ou le corse, l'occitan n'apparaît pas encore sur sa page Google Traduction. Par contre cette page permet une traduction décente de l'occitan vers l'anglais.

Réseaux sociaux : la prochaine frontière de l'Occitanophonie ?

En 2022, l’Ofici Public de la lenga occitana (Office public de la langue occitane, établissement public créé en 2016 pour promouvoir l'usage de l'occitan en France) a lancé son tout premier concours destiné aux influenceurs sur réseaux sociaux utilisant, ou promouvant l'occitan, et annoncé les gagnants en février 2023.  Des jeunes présents sur Instagram, YouTube, TikTok ont ​​été récompensés pour la promotion de la langue.

Le gagnant, Gabrièu Pelission, est un jeune enseignant en ligne d'occitan, et maintient une présence active sur YouTube, sur sa chaîne Parpalhon Blau (Le papillon bleu) avec plus de six mille abonnés, et sur Instagram, comme on peut le voir ici où il parle occitan avec une collègue au Japon :

Laurie Privat, arrivée deuxième, tient un élégant compte Instagram en noir et blanc où elle utilise des images et des mots en occitan, comme ici où le texte dit “On ne veut pas mourir au travail”, et où les gens discutent d'expressions et de traductions :

 

L'occitan est également présent sur Twitter grâce à Mariona Miret, arrivée troisième et qui tweete en occitan sur son compte.

Pour en savoir plus, lisez en anglais Q&A with Mariona Miret, Occitan language activist

Un autre gagnant à noter est ce compte Instagram Biais_de_dire qui enseigne les équivalents occitans d'expressions idiomatiques françaises, comme ici où au lieu du français « Comme c'est triste, il est mort », les locuteurs sont encouragés à utiliser l'idiome occitan, « A acabat de manjar » (Il a fini de manger).

 

Pour que l'occitan survive au XXIe siècle, il doit être présent numériquement, mais aussi enseigné dans des écoles bilingues, et valorisé comme patrimoine de valeur par des initiatives aussi bien étatiques que privées.

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