Taïwan et Burkina Faso: une histoire diplomatique tumultueuse

Si l'histoire de la Chine en Afrique domine l'actualité et le monde universitaire, elle a aussi réussi à effacer ce qui est devenu aujourd'hui méconnu : le fait que Taïwan était très actif et présent en Afrique dans les années 50 et 60, et apportait une aide au développement et offrait des formations professionnelles à un certain nombre de pays africains, y compris au Burkina Faso.

Le Burkina Faso a obtenu son indépendance de la France en 1960 et a établi en 1961 des relations diplomatiques avec la République de Chine (ROC), dont le gouvernement avait fui la Chine continentale en 1949 pour s'établir sur l'île de Taïwan. Mais à la suite d'un coup d'État militaire en 1966 qui a porté le général de division Sangoulé Lamizana au pouvoir en 1973, le Burkina Faso a établi des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine (RPC) après que Pékin ait fourni une aide importante de près de 50 millions de dollars américains qui a duré jusqu'aux années 1980.

Un autre coup d'État militaire porte Blaise Compaoré au pouvoir en 1987, après quoi, en 1994, le Burkina Faso a annonce qu'il rétablit des relations diplomatiques avec Taïwan. En 2008, les deux capitales, Taipei et Ouagadougou, sont même devenues des villes jumelées. Pourtant, en 2018, après une période de 24 ans, Ouagadougou décide de renouer une fois de plus avec Pékin, actuellement, n'entretient des relations diplomatiques qu'avec la Chine.

Pour comprendre les relations complexes qui lient Taïwan au Burkina Faso, Global Voices s'est entretenu sur Zoom en français avec le docteur et professeur Dramane Germain Thiombiano, qui enseigne à l'Université nationale des sciences et technologies de Yunlin à Taïwan, dans le sud-ouest de l'île. Son domaine de recherche englobe l'économie politique, les institutions internationales et les stratégies de négociation. Thiombiano est originaire du Burkina Faso, où il a travaillé comme éducateur social avant de déménager à Taïwan il y a 12 ans grâce à une bourse d'études, et il est finalement resté pour y enseigner.

L'interview a été modifiée sur le plan du style et de la longueur.

Portrait de Dramane Germain Thiombiano. Photo utilisée avec permission.

Filip Noubel (FN) : La République de Chine (ROC, basée à Taïwan) a joué un rôle dans l'aide au développement et la formation professionnelle au Burkina Faso dans le passé. Le souvenir de cette coopération est-il encore vivace aujourd'hui au Burkina Faso ?

Dramane Germain Thiombiano (DGT): La relation du Burkina Faso avec Taïwan est vraiment tumultueuse, suite à la reconnaissance de Taipei en 1961 par Ouagadougou. A l'époque de nombreux gouvernements africains étaient anti-communistes. Après la reconnaissance de la République populaire de Chine par Washington en 1971, beaucoup de pays ont changé leur politique, toutefois le Burkina Faso est un des rares pays africains à avoir toujours soutenu la candidature de Taïwan aux Nations Unies après cette date.

En 1973 le Burkina Faso a reconnu Pékin qui promettait une aide substantielle en construction et financement de grandes infrastructures. En 1994, Ouagadougou a de nouveau reconnu Taïwan car la Chine montrait peu d'intérêt pour le Burkina Faso, même si après le massacre de Tiananmen en 1989, Blaise Compaoré était le premier chef d'état africain à visiter la Chine dans un climat de boycott diplomatique. De plus une visite en 1994 du ministre des Affaires étrangères chinois en Afrique n'a pas inclus le Burkina Faso, et ceci a dépassé les limites pour Compaoré, car la Chine a manifestement privilégié d'autres pays comme le Mali.

De 1994 à 2018 les relations entre Taïwan et le Burkina Faso étaient très chaleureuses, et ont beaucoup apporté sur le plan de l'éducation, la formation médicale, et le transfert de savoir-faire technologique grâce surtout à ICDF, le bureau d'aide et de coopération taïwanais.

Dans les années 60, le Burkina Faso était un pays tout neuf et Taïwan avait envoyé ses techniciens dans la vallée du Kou dans le sud-est du pays pour aider à la riziculture. J'ai personnellement rencontré un Taïwanais, Monsieur Li qui a travaillé à  l'époque dans ce projet, et a été décoré en 2008 par le Président Blaise Compaoré.  Taïwan maintient une association des techniciens qui ont travaillé au Burkina Faso et se retrouvent régulièrement pour discuter de la Haute-Volta car c'était le nom du pays à l'époque. La plupart d'entre eux ont entre 70 et 80 ans aujourd'hui et gardent de très bon souvenirs.

Au Burkina-Faso, c'est plus difficile de garder cette mémoire car les gens disent tout simplement ‘chinois’. Seuls les gens qui ont côtoyé directement les Taïwanais parlent de Taïwan, les autres ne font pas la différence avec les Chinois de Chine. De plus dans les années 60 et 70, Taïwan n'utilisait que le nom de République de Chine, ce qui ajoute à la confusion des plus jeunes qui n'ont pas connu cette époque.

Ensuite la coopération de Chine qui a suivi a souvent emboîté le pas à des projets taïwanais, parfois dans les mêmes lieux, donc la plupart de Burkinabè ne font pas la distinction. Par contre ceux qui ont étudié à Taïwan – parmi eux il y a beaucoup de médecins – savent très bien ce que les Taïwanais ont réalisé pour notre pays. Les gens savent aussi que Taïwan a apporté son aide au barrage de Bagré au nord-est du pays, et font souvent référence à l'île en l'appelant “La petite Chine” pour faire la différence avec Pékin qu'ils nomment la “grande Chine”.

Voici une vidéo montrant les rizières de la Vallée du Kou de RTB — Radiodiffusion Télévision du Burkina :

FN : Quel bilan faites-vous des relations actuelles entre Taïwan et le continent africain ?

DGT: Au Nigéria la Chine met des bâtons dans les roues de Taïwan, car en 2017 elle a obtenu le déménagement du Bureau de représentation de Taipei en dehors de la capitale Abuja, suite à une aide de Pékin. Par contre la Côte d'Ivoire vient d'autoriser Taïwan à rouvrir un bureau de représentation en novembre 2022, suite à sa fermeture en 2017, et je pense qu'Abidjan veut démontrer son indépendance par rapport à la Chine en faisant ce geste, surtout qu'il y a des conflits entre Ivoiriens et Chinois dans certains grands projets en Côte d'Ivoire. Il y a aussi une petite communauté ivoirienne à Taïwan qui milite en faveur de  relations approfondies avec l'île.

FN : Qu'en est-il de la présence africaine à Taïwan ?
DGT: La situation au niveau universitaire est assez déplorable A ce jour, il n'y a pas ce centre d'études sur l'Afrique à ma connaissance. J'ai moi-même essayé de créer un centre, mais j'ai échoué. En Chine, il y a des centres d'études partout et les gens apprennent les langues africaines comme le swahili. Par contre à Taïwan, même au temps de relations diplomatiques avec le Burkina Faso, les gens ici ne connaissaient rien à notre pays. L'Afrique n'est pas au centre des intérêts Taïwanais, et reste un “dark continent”, un continent noir malheureusement, alors que l'Afrique peut être un atout pour Taïwan. De même les atouts démocratiques de Taïwan pourraient être mieux utilisés en Afrique pour promouvoir le pays.
Moi j'essaie maintenant de promouvoir la culture burkinabè à Taïwan. J'interviens souvent dans les écoles primaires où je parle de l'Afrique et du système éducatif en Afrique et mes étudiants qui ont autour de 12 ans  sont très émus quand ils voient la différence entre les systèmes éducatifs.et ils veulent en savoir plus sur le Burkina Faso et l'Afrique en général.
Eswatini a une ambassade, L'Afrique du Sud a un Bureau de Représentation ici très actif dans les échanges universitaires, de même que le Nigéria. J'ai aussi rencontré des hommes et des femmes d'affaires nigérians et des étudiants burkinabè qui après la rupture des relations diplomatiques n'ont pas voulu partir en Chine et sont restés à Taïwan. Certains travaillent comme chercheurs, professeurs, sont mariés à des Taïwanaises. Il existe plusieurs groupes sur WhatsApp ou les Africains vivant à Taïwan communiquent.

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