Dans l'Est de la République Démocratique du Congo, un média tente de se démarquer des autres en prônant une ligne éditoriale qui fait la part belle au quotidien comme le vit vraiment la majorité des Congolais de cette région.
Selon le classement de Reporters Sans Frontières (RSF) de 2023 des pays où la liberté d'expression est restreinte, la République Démocratique du Congo (RDC) occupe la 124è place sur 180 pays avec un score de 48,55. Comparativement à l'année 2022 ou elle occupait la 125è place, le pays a fait un modeste pas en avant. Selon la même source, le pays de Félix Tshisekedi , Président depuis 2019, compte 540 journaux dont 177 chaînes de télévision, plus de 4 000 stations de radio et 36 médias en ligne.
Mais le contexte politique, les crises et les conflits qui, comme l'explique ce rapport de l‘International Crisis Group, secouent la RDC depuis quelques années obligent le plus grand pays de l'Afrique Sub-saharienne à adopter une nouvelle loi sur la presse qui est entrée en vigueur le 4 avril 2023.
Cette loi est bien accueillie par les ONG de défense de la liberté de presse car elle se veut libérale, comme l'explique RFI:
Elle fait obligation aux détenteurs de l’information publique de pouvoir la donner aux journalistes. Ce qui permettra aux journalistes d’accéder à toutes les informations, y compris les informations qui concernent les élections, et de protéger ses sources.
C'est dans cet environnement médiatique qu'est né IciCongo. Global Voices s'est entretenu via Whatsapp avec son fondateur Umbo Salama, journaliste et maître assistant au département de Sciences de l'information et de communication à l’Université de l’Assomption au Congo (UAC). Il explique le contexte de la naissance de la plateforme, ses défis et ses perspectives d'avenir.
Jean Sovon (JS): Racontez-nous l'historique, la spécificité des contenus et l’aspect régional d'IciCongo dans un si vaste pays!
Umbo Salama (US) : Je suis parti de quelques constats. D’abord, c’est la manière dont les médias étrangers parlent de l’actualité de la RDC. Ils en parlent comme si le pays traversait des situations apocalyptiques : corruption, guerre, conflits inter-ethniques, pauvreté, famine, viols, vols, pillages… Pourtant, à côté de cette situation chaotique, il y a aussi des initiatives de survie et qui sont peu rapportées dans les médias. Je me suis dit, parler de ces initiatives peut donner un plus dans la pratique du journalisme en RDC. D’où notre slogan « Raconter le Congo autrement ».
L’autre constat, est le traitement de l’information par des médias en ligne de la RDC. De nombreux médias ont tendance à diffuser l’information comme s'ils étaient en concurrence avec des agences de presse ou les réseaux sociaux. Des déclarations ou des activités de personnalités, des communiqués de presse constituent la majeure partie des informations. Les médias semblent ainsi jouer le rôle d'outils de propagande de certaines personnalités. Il fallait donc un espace pour des informations diversifiées afin que la population comprenne elle-même sa situation, son environnement, trouve de l’inspiration et puisse prendre des décisions pour son propre épanouissement.
Des amis qui sont dans le domaine du développement Web m’ont aidé à créer le site. Début juin 2021, nous avons publié les premiers articles en ligne sur www.icicongo.net avec comme priorité de raconter comment les populations se débrouillent pour survivre dans cet univers présenté souvent sous un aspect apocalyptique.
Nous parlons de l'économie, de l'agriculture et de la lutte contre le réchauffement climatique, des questions de santé de reproduction, de santé publique, mais aussi de justice, de parcours humains ainsi que du développement de la sphère médiatique.
En deux ans d’existence, IciCongo a déjà remporté deux prix : le mini-concours de septembre 2022 de l’International center for Journalist (ICFJ) à travers le Forum Pamela Awards sur le reportage des crises mondiales grâce à l’article : « Mieux informer sur le terrorisme et l’extrémisme pour stabiliser la société ». Le deuxième prix provient du concours « Jinsia Kwa Amani ou le genre pour la paix (en français)» ; un concours organisé par l’Association des Femmes des Médias(AFEM) et la coopération allemande GIZ en décembre 2022 grâce à l’article « Avec sa tondeuse, Anita Kahambu coiffe les préjugés sur l’entreprenariat des femmes » écrit par Glodi Mirembe.
JS: Quelle est votre audience, et comment les gens vous lisent-ils ? Quel est leur feedback ?
US: Je vais dire que ce n’est pas encore trop fameux mais il y a des avancées dans ce sens. Sur notre page de statistiques, nous sommes en train d’identifier notre audience qui s’accroît beaucoup en dehors de notre pays, notamment dans les pays comme les États Unis, la Belgique et d'autres pays européens, mais aussi la Chine, l'Ouganda, le Cameroun, l'Afrique du Sud. En deux ans d’existence, nous pensons êtres sur la bonne voie avec une audience sur tous les continents. Pour y arriver, nous partageons nos articles sur plusieurs plateformes de réseaux sociaux, comme WhatsApp, Facebook, Twitter, LinkedIn.
La majorité de ceux qui visitent notre média utilisent des téléphones portables pour la lecture et ils sont estimés à 93%. Ceux qui utilisent des ordinateurs représentent 5% , et sur tablettes 2%. Les feedbacks que nous recevons nous demandent de continuer à produire des informations qui donnent encore de l’espoir et qui enrichissent les connaissances. D’autres aussi nous disent que nos articles enrichissent leurs recherches scientifiques.
JS: Parlez-nous de l'équipe de rédaction derrière cet excellent travail au quotidien, et de la formation et recrutement des journalistes dans le contexte de la RDC et de la région!
US : Nous comptons beaucoup sur des volontaires qui veulent améliorer leur style d’écriture journalistique. Nous comptons aussi sur nos étudiants auprès de qui nous dispensons des cours de journalisme à l’Université de l’Assomption au Congo, UAC. Ils bénéficient ainsi d’un suivi permanent de la proposition à l’édition de l’article en passant par la formulation de l’angle, le ciblage des sources, le plan de rédaction. Notre média c’est aussi une sorte d’académie en journalisme. C’est pourquoi nous nous appelons « Média école ». Mais ils sont rares ceux qui résistent car nous ne rédigeons pas nos articles dans la précipitation: on prend suffisamment le temps de bien se documenter. Et ceux qui résistent sont élargissent leurs carnets d’adresse. Nous participons aussi régulièrement à des webinaires sur le journalisme, à des formations initiées par des organisations dans notre région.
JS: Comment est la situation de la liberté de la presse en RDC?
U S : Jusque-là, IciCongo n’a pas encore subi de menaces dans le cadre de notre travail. Mais il y a trop de restrictions qui ne permettent pas à toute la presse de la partie orientale de la RDC de bien faire son travail. Par exemple, le gouvernement interdit aux journalistes de faire parler les assaillants dans leurs médias, or nous sommes dans une zone en proie à des conflits armés et plusieurs formes d’extrêmes violences. Il arrive qu’on abandonne certains articles car on peine à donner une information complète provenant de diverses sources. Nous avons aussi des difficultés à nous rendre dans certaines zones car elles sont sous contrôle de groupes armés.
J S: Où voyez-vous IciCongo sur le long terme?
US : Notre média est située dans une zone, à l'Est du pays, qui est en cheval entre le bassin du Nil et le Bassin du Congo. Nous croyons que dans 5 ou 10 ans nous serons parmi ceux qui vont continuer par être la voix des sans-voix entre ces deux bassins et contribuer à la pacification de la zone. Aussi, nous comptons produire des podcasts audio et disposer d'une chaine YouTube pour augmenter notre audience. Ce n’est pas un travail facile, mais on va y arriver.