
Capture d'écran de la chaîne YouTube de Mawuline2.0
Suite à une réforme du programme d'enseignement de littérature au collège, les auteurs togolais font enfin leur entrée dans les classes de leur pays.
Jusqu'à 2018, les programmes littéraires du système éducatif togolais, notamment dans les collèges et les lycées font la part belle aux ouvrages d'auteurs étrangers du continent africain. Il s'agit principalement de grands classiques comme “Maïmouna” du Sénégalais Abdoulaye Sadji, “Le pagne noir” de l'Ivoirien Bernard Dadié, “Sous l’orage du Malien” de Seydou Badian , “Une vie de boy” du Camerounais Ferdinand Oyono, “L’enfant noir” du Guinéen Camara Laye, “Le soleil des indépendances” de l'Ivoirien Ahmadou Kourouma. Toutes ces œuvres sont mises en exergue dans l'enseignement scolaire au détriment des œuvres des écrivains togolais.
Pourtant le Togo dispose d'une longue liste d'auteurs: le premier roman togolais date de 1929 – “L'esclave “de Félix Couchoro, suivi d'ouvrages comme “La victime” d’Yves-Emmanuel Dogbé ; “Morte saison” de Gnoussira Analla ; ou “Gaglo ou l’argent cette peste” de Koffi Gomez.
L'essayiste togolais Baguissoga Satra applaudit ce changement de programme scolaire en notant, dans une étude dénommée les éléments de sélections des œuvres littéraires togolaises pour l'éducation nationale , que:
Certes, tout récemment (au cours de l’année scolaire 2019-2020), une légère refonte du programme de littérature a été opérée au premier cycle du secondaire. Ainsi, en classe de 6e, on introduit le “Journal d’une bonne” de Dissirama Boutora-Takpa (Prix France-Togo) et en 5e, “Des larmes au crépuscule” de Steve Bodjona. Pour cette année en cours (2021-2022), trois ouvrages sont introduits : “Atterrissage” de Kangni Alem, “Femme infidèle” de Sami Tchak, “La guerre des Aputaga” d’Ayayi Togoata Apedo-Amah.
A l'image des pays voisins, le Togo doit promouvoir sa littérature. En témoigne ce tweet de Marthe Fare, présidente du Pen Club Togo, à l'occasion d'une activité de promotion des œuvres togolaises:
Je suis à ce jour au lycée Bassar Ville où j'échange avec les élèves sur la littérature togolaise. Avec la maison d'édition Awoudy, cette tournée est pour faire découvrir des auteurs togolais aux élèves de Lomé à Dapaong.#TT228 #TgTwittos pic.twitter.com/yLRbDZeKRO
— Marthe Fare (@Nounfoh) February 10, 2022
Pour mieux saisir l'évolution et la reconnaissance tardive de cette littérature, Global Voices s'est entretenu avec Mawusse Komlan Heka, fondateur des Editions Awoudy qui sont basées à Lomé.
Selon la présentation sur le site web, les Editions Awoudy voient le jour en 2009 après une période de huit ans d'autoédition pour son fondateur. La maison d’édition se fixe comme objectif de démythifier l'édition au Togo et de favoriser l’éclosion et l'émergence de nouveaux talents.
L'interview a été revue sur le plan du style et de la longueur.
Jean Sovon(JS): Où en est la littérature togolaise aujourd'hui?
Mawusse Komlan Heka (MKH): La littérature togolaise se porte au mieux de sa forme puisqu’il y a beaucoup d’auteurs qui écrivent, des éditeurs qui éditent, des activités littéraires qui se font par-ci par-là, quelques émissions littéraires qui passent sur des chaînes. Il y a toujours des lecteurs qui lisent même si ce n’est plus autant qu’avant. On peut donc dire que la littérature togolaise vit et se développe. En termes de contenus, c'est varié et on rencontre tous les genres: récits, théâtre, poésie, essais portant sur des thèmes divers. En termes de qualité, comme partout ailleurs, il y a du très bon, de l’acceptable et du moins bon, au goût du lectorat.
JS: Aujourd’hui, plus d’une centaine d’écrivains font la fierté de la littérature togolaise. Qu’est-ce qui explique cette révolution ?
MKH: Je crois que cela est dû aux nouvelles maisons d’édition, à commencer par Awoudy et aux activités de promotions initiées pour révéler les talents et encourager d’autres à se faire découvrir. Beaucoup d’auteurs sont longtemps restés dans l’ombre car ils attendaient un déclic pour se lancer. L’évolution technologique, l’ordinateur, l'internet jouent un rôle important dans cette révolution, et c’est plus facile aujourd’hui de faire un livre qu’il y a quelques années.
De plus, les prix littéraires semblent se multiplier depuis quelques années: ainsi le Prix AGAU de Littérature qui en est à sa seconde édition ; le Prix littéraire plumes en herbe où Isaac Kokou Fambi est primé en 2020 lauréat de la première édition avec son ouvrage « Un funeste destin » ; le Prix Littéraire France-Togo qui a primé en 2022 Yvette Koulitime Gnossa avec son roman “Faces Cachées” lors de sa 16è édition ; le Prix Littéraire Komlan Menssan Nubukpo où Guillaume Djondo avec son recueil de poèmes “Senteurs des fleurs fanées” est primé lauréat de l'édition 2022.
JS : De 1990 jusqu’au début des années 2010, le système éducatif togolais faisait la promotion des écrivains d’autres nationalités. Comment se présente la situation aujourd’hui ?
MKH: Depuis cinq ans on note un certain changement tant attendu. L’État fait l’effort de mettre à chaque niveau au moins un ouvrage de littérature togolaise au programme. Par exemple, actuellement, “Des Larmes au crépuscule” de Steve Bodjona, publié aux Editions Awoudy, est au programme au Togo en classe de 4e . Réjouissons-nous déjà de ce qui a commencé, mais on espère encore mieux. Par exemple, certains ouvrages togolais sont inscrits au programme, mais n’existent même plus sur le marché, il faut donc remédier à cela. Nous devons aussi pouvoir exporter nos livres pour qu'ils soient lus et étudiés dans les pays voisins. Il est temps que notre littérature aussi soit aussi exportée comme nous avons importé celles des autres pendant si longtemps.
JS: Quel regard portez-vous sur les écrivains de la première génération des années 30 à 60 ?
MKH: Les anciens sont pour la plupart très bons. Avant, le niveau de langue était élevé et beaucoup de ceux qui écrivaient étaient assez cultivés car ils étaient enseignants ou universitaires. Leur environnement inspirait beaucoup leur écriture. On doit à nos aînés respect et admiration.
JS: Quelles thématiques sont plus développées dans la nouvelle génération ?
MKH: L’environnement agit sur l’écrivain dans sa création. De toute évidence, on n'aborde pas la thématique de la négritude ou de la colonisation aujourd'hui comme on le faisait il y a quelques décennies. Mais il y a des thèmes universels qui traversent le temps comme l’amour, la condition humaine, les inégalités sociales. De nos jours, la nouvelle génération écrit sur la migration, la situation politique de nos pays, la vie familiale avec ses secrets et dérives (viol, inceste), la modernité et ses visages (homosexualité, les personnes transgenres), et toujours sur des thèmes classiques (polygamie, mariage forcé, trahison, maltraitance des enfants, rivalités). On retrouve aussi parfois les forces occultes et le merveilleux dans certains textes.
JS: Votre mot de la fin?
MKH: Les acteurs de la culture togolaise et particulièrement ceux de la littérature font part de leurs talents, passion, et moyens pour faire vivre le Togo artistiquement. L’État fait aussi des efforts mais parfois même un simple projet de loi sur les droits d’auteurs met plus de 15 ans pour être validé et voté, ce qui montre à quel point c’est dur d’être un acteur de la littérature. La littérature togolaise a aussi besoin de plus de promotion sur le plan national et international. Nous avons besoin d’être présents sur les différentes foires et salons du mondes. A ce sujet, le Ministère de la culture et du tourisme pourrait nous aider à y participer, même si nous ne sommes pas officiellement invités.
Il reste donc à faire comprendre à beaucoup de gens que la culture est aussi urgente et fondamentale que d’autres secteurs qu’on dit prioritaires. L’éducation repose sur la culture, les livres. Il y a autant de malades psychologiques que physiologiques qui ont besoin d’un conditionnement culturel pour guérir.