Les Serbes descendent protester dans les rues

Une manifestation « La Serbie contre la violence » à Belgrade le 9 juin 2023. Photographie de l’ International and Security Affairs Centre (ISAC), utilisée avec autorisation.

Cet article a été initialement publié par l'International and Security Affairs Centre (ISAC), faisant partie de l'initiative régionale Western Balkans Anti-Disinformation Hub. Une version révisée est republiée par Global Voices avec autorisation. 

« Tout doit s'arrêter » est l'un des slogans brandis lors des manifestions qui ont éclaté en Serbie au cours des dernières semaines. Et c'est exactement ce qui s'est produit. En plus du trafic routier, comme si le temps s'était figé, la population serbe s'est immobilisée, côte à côte, en si grand nombre pour la première fois depuis la chute du régime de fall Slobodan Milošević dans les années 2000.

Des images des avenues de Belgrade n'ont pas tardé à circuler partout dans le monde, devenant l'objet de tous types de symboles et d'illustrations, y compris la célèbre peinture Champ de coquelicots de Gustav Klimt, reprise par l'historien Agustin Cosovschi pour évoquer l'ambiance actuelle au cœur de la capitale Serbe.

Les manifestations ont éclaté après le drame qui a frappé l'école élémentaire Vladislav Ribnikar à Belgrade, entrainant la mort neuf enfants et d'un vigile. Cette tragédie révèle l'ossature d'une société gangrenée par la violence, donnant lieu à plusieurs semaines de manifestations qui, par un effet domino, se sont peu à peu étendues à l'ensemble de la Serbie.

Le 8 mai, les premières manifestations ont été organisées sous le mot d'ordre « La Serbie contre la violence », en réponse à la fusillade dans l'école élémentaire et à la tuerie de masse qui s'est produite le lendemain. Lors de la deuxième folie meurtrière qui a touché les municipalités voisines de Mladenovac et Smederevo, huit jeunes ont trouvé la mort et 15 autres ont été blessés.

Au cours de la dernière décennie, la violence sous plusieurs formes, présente dans tous les aspects du quotidien est devenue une caractéristique standard de la communication publique au sein de la société serbe. La culture de la violence a été « normalisée » sur les chaînes de radio et de télévision nationales, dans les médias, les programmes de téléréalité, au sein des familles, des établissements d'enseignement, au Parlement et même dans les déclarations des hauts représentants de l'État.

Tweet : Ils ne regardent pas la télévision.
Photos : Milomir Marić, présentateur de plusieurs programmes sur Happy TV (haut)
Jovana Jeremić, présentateur du programme de téléréalité Parovi et du programme matinal sur Pink TV(en bas à gauche)
Lav Grigorije Pajkić, vedette de la télévision et membre du parlement du parti SNS au pouvoir (en bas à droite)

Organisées avec l'appui de l'opposition, mais sans leader officiel, les manifestations ont rassemblé les citoyens qui se mobilisent contre cette tendance. Depuis le 8 mai, les Serbes sont de plus en plus nombreux à descendre dans la rue chaque semaine – les estimations non officielles rapportent plus de 150 000 participants.

Tweet : « Il n'y a qu'ensemble que nous pourrons aller de l’avant » [citation du Président Vučić, et réponse :] oui, vous irez tout droit en prison, et d'une façon ou d'une autre nous nous en sortirons par nous-mêmes.
Vidéo mise à disposition par Beli Bombarder.

Le gouvernement a tenté de discréditer, déprécier puis ridiculiser le nombre de manifestants par le biais des médias favorables au régime. Parmi eux, des chaînes de télévision comme TV Pink ont rapporté que le nombre de manifestants n'avait pas dépassé 2 000 personnes, alors que d'autres comme Telegraf, Informer, n'ont cessé de publier des photographies d'une dizaine de manifestants seulement. Le rédacteur en chef du site de l'Informer a régulièrement rapporté dans son journal et à d'autres médias qu'il n'y avait quelques personnes qui manifestaient dans les rues et que l'opposition essayait de faire de la récupération politique avec les fusillades. En outre, le Président lui-même, Aleksandar Vučić, ainsi que la Première ministre, Ana Brnabić, ont publié une photographie de la foule, en déclarant d'un ton moqueur qu'elle avait été photoshoppée.

En réponse à ces commentaires, la mobilisation de la population serbe s'est intensifiée, et les manifestations se sont étendues à travers tout le pays. Le 10 mai, des citoyens se sont rassemblés à Niš, pour demander des démissions et la suppression de plusieurs tabloïds au contenus empreints de violence. Une nouvelle manifestation a été organisée à Belgrade le 12 mai, reprenant le même message. Le 13 mai, la population de Kragujevac a scandé le slogan « La Serbie se soulève ».

Avec l'aide des agriculteurs, les routes ont été bloquées dans les banlieues de Novi Sad, Subotica, Zrenjanin, Nova Pazova, Rača, Požarevac, Kraljevo et de nombreuses autres villes. Ces derniers ont rejoint les manifestations le 16 mai, en adressant directement à la Première ministre des revendications supplémentaires concernant leur situation économique précaire. Le 17 mai, les manifestations des agriculteurs se sont étendues aux villes de Starcevo, Omoljice, Bavaniste, Mrcajevci, Bogatici et beaucoup d'autres régions rurales. Les protestations ont perduré les 18 et 19 mai, jusqu'à la conclusion d'un accord-cadre répondant à certaines de leurs revendications.

La coalition au pouvoir, dirigée par le Président Vučić à la tête du parti progressiste serbe (SNS) a répondu au mouvement de protestation national « La Serbie contre la violence » en organisant des contre-manifestations.

Le 19 mai, une contre-manifestation s'est tenue à Pančevo, rassemblant des partisans du SNS qui exprimaient leur soutien au Président et annonçaient un rassemblement de taille le 26 mai avec le slogan « La Serbie de l'espoir ». Parallèlement, les manifestations organisées par les citoyens serbes et l'opposition se sont poursuivies à Belgrade et Užice, rassemblant un grand nombre de personnes.

Le 26 mai, la principale contre-manifestation organisée par le SNS s'est tenue à Belgrade, avec des efforts inlassables visant à rassembler les citoyens à la disposition des autorités par le biais de méthodes diverses et variées. Dans le cadre de cette mobilisation, les participants de toutes les régions de la Serbie et même les Serbes vivant à l'étranger en Macédoine du Nord, au Kosovo et en Republika Srpska (Bosnie-Herzégovine) se sont vus offerts le transport par bus et le repas. Le SNS est allé jusqu'à faire appel à une entreprise afin d'engager des figurants rémunérés pour passer seulement quelques heures à la manifestation. Toutefois, les résultats ont été décevants compte tenu que le President Vučić avait précédemment annoncé qu'il s'agirait du « plus grand rassemblement jamais organisé en Serbie ».

Les citoyens refusant de participer ont été victimes de licenciement, de chantage et d'autres formes de discrimination, selon plusieurs sources. Par ailleurs, des actions visant à empêcher les partisans du SNS de participer au rassemblement ont été organisées – par exemple, un incident lors duquel les pneus d'un bus ont été crevés à Čačak, accompagné de messages d'insultes.

Selon les sites pro-régime, la mobilisation « La Serbie de l'espoir » a rassemblé environ 200 000 citoyens, bien que les photographies révèlent un nombre de manifestants largement inférieur à celui des manifestations citoyennes « La Serbie contre la violence ». Les sites de l'opposition déclarent qu'environ 50 000 personnes ont rejoint le rassemblement d'Aleksandar Vučić, qui a souligné lors de son discours final qu'il se retirait de la présidence du parti pour fonder un nouveau mouvement.

Des discours ont également été prononcés par le ministre des Affaires étrangères Ivica Dačić, le ministre des Affaires étrangères hongrois Péter Szijjártó et Milan Knežević, un politicien de l'opposition originaire du Monténégro et nationaliste Serbe, ainsi que par d'autres partisans du SNS. Il est intéressant de noter que le discours prononcé par Ivica Dačić a réhabilité la personnalité et le travail de Slobodan Milošević, comme étant un grand politicien et un homme dont la ligne politique mérite d'être soutenue.

Compte tenu que les revendications des manifestations « La Serbie contre la violence » n'avaient toujours pas été entendues, la mobilisation a perduré jusqu'au 27 mai, le lendemain du rassemblement tenu par le SNS. Cette manifestation avait pour objectif d’encercler le bâtiment de la chaîne publique Radio Television of Serbia (RTS) et, malgré la pluie, un grand nombre de citoyens ont répondu à l'appel. Les manifestants ont demandé la démission de la direction de la chaîne RTS et ont exigé que les actualités concernant les manifestations soient reportées de manière objective.

Étonnamment, pour la première fois, le flash info de RTS, Dnevnik 2, a commencé par un reportage sur les manifestations. Parmi les revendications, citons également la démission de membres de la Regulatory Agency for Electronic Media (Agence de régulation des médias électroniques, REM), la réquisition des fréquences nationales des chaînes de télévision Pink et Happy, la suppression des programmes de téléréalité et d'autres programmes incitant à la violence, la fermeture des tabloïds qui promeuvent la violence et violent la déontologie des journalistes, la démission du ministre de la Police et celle du directeur de l'Agence pour la sécurité de l'information.

La prochaine manifestation « La Serbie contre la violence », initialement prévue le vendredi 2 juin, a été reportée au samedi 3 juin pour éviter qu'elle ne coïncide avec un  rassemblement organisé par des groupes d'extrême droite, tel qu'annoncé lors du blocage de l'autoroute le 29 mai. Ensuite, ce rassemblement concernant le Kosovo a été reprogrammé à la date du 3 juin. Le membre du parlement Radomir Lazović a averti que la manifestation d'extrême droite visait à contrecarrer les manifestations citoyennes et a semer le chaos et la confusion, affirmant que les organisateurs étaient directement contrôlés par le Président dont l'objectif était de dissiper le mouvement de protestation le plus important en Serbie depuis les 20 dernières années. Le parlementaire de l'opposition Pavle Grbović a également souligné que le rassemblement organisé par l'extrême droite, appelé « Mettre fin à la violence contre les serbes du Kosovo et de Métochie » utilisait des slogans et des méthodes qui ressemblaient beaucoup à ceux des manifestations citoyennes contre la violence, mais à des fins différentes.

La cinquième manifestation « La Serbie contre la violence » s'est tenue le 3 juin devant le Palais Présidentiel serbe. Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées avec des revendications claires, et pour la première fois, un reportage objectif sur les manifestations a été diffusé sur RTS. Lors d'un violent incident, des membres de l'organisation de droite « Local Patrol » ont attaqué et blessé un citoyen étranger. La même organisation avait attaqué l'activiste de l'opposition Savo Manojlović pendant les précédentes manifestations.

Les représentants les plus connus de ce groupe d'extrême-droite informel sont Damnjan Knežević et Ilija Vuksanović, souvent observés lors de manifestations portant des signes de la tenue des mercenaires Russes du Groupe Wagner.

À la date de publication de cet article en anglais, les manifestations citoyennes et de l'opposition en Serbie, dont l'objectif premier est d'enrayer la culture de la violence issue du discours et des méthodes des élites au pouvoir en Serbie – dirigées par le Président Vučić — perdurent malgré les campagnes de diffamation et de désinformations organisées par le parti au pouvoir.

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