Une décision de justice en Équateur met en évidence le conflit entre l'appétit mondial pour les minerais et la conservation de la biodiversité

large cours d'eau bordé de végétation et d'un flanc de montagne arboré

Rivière Apuela, Intag. Photo Flickr/Andreas Kay (CC BY-NC-SA 2.0)

Le 29 mars 2023, les communautés de la vallée d'Intag, situées dans le nord de l'Équateur et abritant l'une des forêts les plus riches en biodiversité de la planète, ont remporté une bataille juridique attendue de longue date. Un tribunal équatorien a en effet invalidé les licences de l'entreprise publique chilienne d'extraction de cuivre Codelco et de la société minière nationale d'Équateur (ENAMI EP). Pour l'avocat qui défend les communautés devant le tribunal, Carlos Varela Arias, cette victoire est « historique ».

Cette victoire s'inscrit également dans le cadre des tensions croissantes en Amérique du Sud concernant la demande accrue de minerais tels que le cuivre et le lithium pour alimenter les batteries de nos voitures électriques et l'environnement. La course à la décarbonisation de notre atmosphère et la volonté de déployer des énergies vertes dans l'industrie automobile, ainsi que dans d'autres secteurs, ont un prix. La production de voitures électriques nécessite six fois plus de minerais que la production des autres voitures.

Pour l'avocat Varela, ce jugement est également la preuve que l'État de droit est respecté en Équateur. Les juges ont estimé que les sociétés minières n'avaient pas dûment consulté la communauté avant de commencer leurs activités, lesquelles étaient, en outre, considérées comme nuisibles aux droits de la nature, en vertu de la Constitution équatorienne de 2008. L'Équateur reconnaît la nature comme un sujet de droit et, selon Varela, il s'agit d'une décision définitive, car il n'existe aucun mécanisme de contestation.

Lors de la conférence de presse qui a suivi la victoire juridique, Cenaida Guachagmira, représentante des communautés de l'Intag, a demandé : « À qui est destinée cette transition écologique ? » et a ajouté : « Excusez-moi, mais je ne vais pas échanger une belle montagne qui me nourrit tous les jours contre une voiture électrique de luxe, pour qu'un millionnaire puisse s'asseoir dedans en disant qu'il se soucie de la nature, alors qu'en réalité une mine de cuivre a dû être exploitée en Équateur. »

Les scientifiques s'accordent à dire que la biodiversité et la nature sont essentielles pour atténuer le changement climatique. Cependant, pour de nombreuses personnes, la lutte contre le changement climatique et la préservation de l'environnement sont aux antipodes l'une de l'autre. Pour approfondir l'impact de cette décision de justice sur ces questions, j'ai interrogé l'avocat Varela.

Melissa Vida (MV) : Voyez-vous cette décision dans le cadre d'un appétit de plus en plus vorace du « Nord global » et de la Chine pour les matières premières d'Amérique du Sud afin d'alimenter l'industrie des énergies renouvelables ?

Carlos Varela (CV): En efecto, la sentencia del caso Llurimagua se produce en un momento en el que el apetito voraz por minerales metálicos, como el cobre, ha obligado a las empresas mineras a explorar proyectos en lugares que, como Ecuador, se encontraban fuera de las fronteras de la gran minería. En concreto, este renovado apetito por extraer minerales tensiona las fronteras, antes infranqueables, de lugares con ecosistemas megadiversos y condiciones poco propicias para actividades extractivas. Esto pasa en lugares como Llurimagua, que se asienta sobre los andes tropicales, que es nada menos que uno de los hotspots de diversidad más importantes del planeta.

Carlos Varela (CV) : En effet, l'arrêt relatif à l'affaire Llurimagua intervient à un moment où l'appétit vorace pour les minerais métalliques, tels que le cuivre, a forcé les sociétés minières à explorer des projets dans des endroits qui, comme en Équateur, étaient auparavant interdits à l'exploitation minière à grande échelle. En effet, cet appétit renouvelé pour l'extraction de minerais exerce une pression sur des frontières, auparavant infranchissables, dans des lieux dotés d'écosystèmes mégadivers et où les conditions sont peu propices aux activités extractives. C'est le cas d'endroits comme Llurimagua, qui se trouve dans les Andes tropicales et qui n'est rien de moins que l'un des hotspots de la diversité les plus importants de la planète.

MV : Ces pays sont-ils préparés à cet appétit vorace ?

CV: El ingreso agresivo de empresas dedicadas a la minería a gran escala, en países sin experiencia con esa industria, pone a límite la débil capacidad institucional de estos países para regular y controlar una actividad en extremo compleja (desde la perspectiva técnica), lo que – a su vez- genera enormes riesgos sociales y ambientales.

CV : L'arrivée agressive de grandes sociétés minières dans des pays qui n'ont aucune expérience dans ce secteur met à rude épreuve la faible capacité institutionnelle de ces pays à réglementer et à contrôler une activité extrêmement complexe (d'un point de vue technique), qui génère à son tour d'énormes risques sociaux et environnementaux.

MV : Selon vous, comment ces entreprises agissent-elles pour s'implanter dans ces contextes ?

CV: La agresividad de las empresas, que proviene de su desesperación por agilitar el inicio de la explotación de minerales en estos nuevos proyectos, se traduce en estrategias asimismo agresivas para “gestionar” los problemas comunitarios; usualmente orientadas a dividir y amedrantar a las comunidades, así como a generar sistemas clientelares con los que se pretende “intercambiar” el acceso a derechos y servicios públicos por el “apoyo” a los proyectos mineros.

CV : L'agressivité des entreprises, qui découle de leur désespoir d'accélérer le démarrage de l'exploitation minière dans ces nouveaux projets, se traduit par des stratégies tout aussi agressives pour « gérer » les problèmes des communautés. Ces stratégies visent généralement à diviser et à intimider les communautés, ainsi qu'à créer des systèmes clientélistes qui cherchent à « échanger » l'accès aux droits et aux services publics contre un « soutien » aux projets d'exploitation minière.

MV : Plus généralement, de nombreuses personnes alimentent l'idée qu'il existe une tension entre les solutions climatiques et la protection de la biodiversité. Pensez-vous que cette tension existe ?

CV: No soy experto en energías renovables ni en transición energética, pero, sin duda, toda transición que para concretarse requiera incrementar considerablemente la extracción de minerales metálicos generará una fuerte tensión con la necesidad de proteger la biodiversidad y la diversidad genética en el planeta. Especialmente, si para ello se requiere expandir la frontera minera y, consecuentemente, invadir los pocos espacios en los que la naturaleza todavía se desarrolla ajena a la depredación humana (como los remanentes de bosques en los Andes tropicales).

CV : Je ne suis pas un expert en matière d'énergies renouvelables ou de transition énergétique, mais il ne fait aucun doute que toute transition entraînant une augmentation considérable de l'extraction de minerais métalliques générera une forte tension avec le besoin de protéger la biodiversité et la diversité génétique de la planète. Surtout si cela requiert d'étendre la frontière minière et, par conséquent, d'envahir les quelques zones où la nature prospère encore à l'abri de la prédation humaine (comme les restes de forêts dans les Andes tropicales).

MV : Pensez-vous que cette récente décision en Équateur envoie un signal aux autres pays de la région ?

CV: En efecto, la sentencia envía una fuerte señal a los demás países de la región, así como a los inversionistas extranjeros. En concreto, el mensaje es que, al menos en países como Ecuador, existen comunidades, activistas e instituciones (representados por los jueces) que no están dispuestos a permitir que, a pretexto de la inversión, se vulneren derecho de las comunidades y/o la naturaleza.

CV : En effet, cette décision envoie un signal fort aux autres pays de la région, ainsi qu'aux investisseurs étrangers. Concrètement, le message envoyé est qu'il existe, au moins dans des pays comme l'Équateur, des communautés, des militants et des institutions (représentées par les juges) qui ne sont pas disposés à permettre que les droits des communautés et/ou de la nature soient violés sous le prétexte de l'investissement.

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.