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Après plusieurs mois de tensions entre les habitants de Sfax et les milliers de migrants venus de l'intérieur de l'Afrique , pour qui la ville constitue un point de transit dans leur voyage vers l'Europe, les autorités tunisiennes ont pris des mesures drastiques le 5 juillet. Plusieurs centaines de migrants, dont des femmes et des enfants, ont été expulsés de force de Sfax et abandonnés dans un no man's land le long des frontières désertiques entre la Libye et l’ Algérie .
Border guards in Libya have rescued a group of migrants who said they were left in the remote desert area by authorities in neighbouring Tunisia.
Following a fight between Tunisian residents and sub-Saharan Africans in July, hundreds of migrants were expelled from Sfax. pic.twitter.com/EQQnp9KzSV
— NoComment (@nocomment) July 17, 2023
Les gardes-frontières en Libye ont secouru un groupe de migrants qui ont déclaré avoir été laissés dans la zone désertique reculée par les autorités de la Tunisie voisine.
Suite à une bagarre entre résidents tunisiens et Africains subsahariens en juillet, des centaines de migrants ont été expulsés de Sfax. pic.twitter.com/EQQnp9KzSV
— NoComment (@nocomment) 17 juillet 2023
Sfax, la deuxième plus grande ville de Tunisie, est reconnue comme un point de départ majeur pour ceux qui cherchent à atteindre l'Europe illégalement par des traversées dangereuses en bateau à travers la mer Méditerranée. Cependant, récemment, la ville est devenue le foyer d'affrontements violents entre les Tunisiens et les migrants de l'intérieur de l'Afrique.
Cette escalade de la violence a été déclenchée par un incident tragique au cours duquel Nizar Amri, un Tunisien de 41 ans, a été poignardé à mort par un « migrant africain ». Le terme « migrant africain » a été utilisé dans les médias tunisiens pour désigner tous les individus qui sont venus d'autres parties de l'Afrique. Malheureusement, ce terme est employé de manière raciste.
Le 3 juillet, le député populiste tunisien Tarek Mahdi a rapporté en direct l'événement sur Facebook, comme il habite à seulement 70 mètres (300 pieds) de l'endroit où l'incident s'est produit. Mahdi a attribué le crime à un différend entre des résidents locaux et des migrants d'Afrique subsaharienne , principalement déclenché par des problèmes de bruit dans la maison louée par les migrants. La barrière de la langue a aggravé la situation, contribuant à l’exacerbation du violent l'incident ayant entraîné la mort d'Amri.
Trois individus du Cameroun ont été arrêtés en relation avec le crime. Cependant, les réactions des médias sociaux à l'incident ont montré des connotations racistes et des demandes d'expulsion de tous les migrants d'Afrique subsaharienne , quel que soit leur pays d'origine.
Répression contre les migrants subsahariens
Suite à l'incident, une vague de violence a éclaté, les Tunisiens bloquant les routes principales , incendiant des pneus et lançant des attaques contre les maisons des immigrés. Les immigrants ont été expulsés de force de leurs logements loués, soumis à des agressions physiques et détenus. La situation a finalement été résolue lorsque la police est intervenue, rétablissant l'ordre.
Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux décrivent le déroulement des événements :
1/2 #tunisia #sfax July 5th. Context is unclear here but I am sharing anyway given the undignified setup of the scene. This crowd of black people allegedly were about to try to cross to Italy, where they were attacked by young Tunisian civilians, pic.twitter.com/rZUJepEfuY
— Sophia MT Guirguis (@GuirguisSophia) July 15, 2023
1/2 #tunisie #sfax 5 juillet. Le contexte n'est pas clair ici mais je partage quand même étant donné la configuration indigne de la scène. Cette foule de Noirs serait sur le point d'essayer de traverser vers l'Italie, où ils ont été attaqués par de jeunes civils tunisiens pic.twitter.com/rZUJepEfuY
— Sophia MT Guirguis (@GuirguisSophia) 15 juillet 2023
Les jours suivants, les autorités ont rassemblé des centaines d'immigrés et de demandeurs d'asile enregistrés, les transportant à Ben Guerdane [fr], une zone frontalière militarisée entre la Tunisie et la Libye. Ils ont été abandonnés dans des conditions difficiles dans cette zone tampon, incapables de se déplacer . Ils avaient un accès limité à l'eau et à la nourriture et étaient sans protection contre la chaleur. Human Rights Watch a rapporté avoir reçu une vidéo le 4 juillet dans laquelle un demandeur d'asile ivoirien disait :
« Nous sommes à la frontière tuniso-libyenne, au bord de la mer »,… « Nous avons été battus [par les forces de sécurité tunisiennes].… Nous avons beaucoup de blessés ici.… Nous avons des enfants qui n'ont pas mangé depuis des jours… obligés de boire de l'eau de mer. Nous avons une femme [guinéenne] enceinte qui a accouché… elle est morte ce matin… le bébé est mort aussi.»
Le sort des migrants dans le désert a suscité des inquiétudes et des demandes d'intervention immédiate.
Sous la pression locale et internationale croissante , les autorités tunisiennes ont été contraintes d'envoyer les immigrants vers des villes tunisiennes telles que Médenine et Tataouine. De plus, le président Kais Saied a ordonné au Croissant-Rouge tunisien de fournir une aide aux migrants.
La société civile tunisienne a protesté contre ces mauvais traitements infligés aux immigrés :
Manifestation en soutien aux migrants subsahariens organisée par la société civile à Tunis. Si ceux dans le sud et aux frontières algériennes ont pu être secourus par le Croissant rouge tunisien, des centaines d'autres vivent encore dans la rue à Sfax. #Tunisie #Sfax pic.twitter.com/e1a0EhvdBM
— Blaise lilia (@liliagaida) 14 juillet 2023
Augmentation de l'immigration de l'intérieur de l'Afrique vers la Tunisie
Depuis 2010, la migration en provenance d'Afrique a connu une recrudescence significative , bien que la migration africaine elle-même soit un phénomène de longue date. Selon un rapport de BBC Africa et de New Humanitarian , les migrants ont cité diverses raisons pour leur décision de migrer, notamment la recherche de meilleures opportunités économiques, l'instabilité politique, des conflits et des défis environnementaux.
En raison de leur nature transitoire et du manque de documents appropriés, il est difficile de déterminer avec précision le nombre exact de migrants résidant en Tunisie. Reuters l'estime à 21 000 . Cependant, des ONG locales, comme le rapporte Le Monde , suggèrent que le nombre pourrait être plus élevé, compris entre 30 000 et 50 000.
Indiquer un chiffre précis sur la migration est intrinsèquement controversé, car les politiciens exagèrent souvent la situation pour créer un climat de peur. Par exemple, le président Saied, le 21 février, a parlé de « hordes de migrants illégaux » dont la présence en Tunisie, selon lui, était une source de « violence, de criminalité et d'actes inacceptables. »
Les attaques raciales en cours contre les migrants dans toute la Tunisie se sont intensifiées à la suite des propos racistes et xénophobes du président Saied, selon Amnesty International :
Les propos discriminatoires et haineux du président Saied lors d'une réunion du Conseil de sécurité nationale le 21 février ont déclenché une recrudescence de la violence raciste contre les Noirs, des foules descendant dans la rue et attaquant des migrants, des étudiants et des demandeurs d'asile noirs, et des policiers arrêtant et expulsant des dizaines de personnes.
La répression à l'encontre des migrants africains en Tunisie est révélatrice du virage autoritaire du président Saied depuis son arrivée au pouvoir en 2019. Cette évolution coïncide avec la Tunisie, autrefois célébrée comme la seule démocratie du monde arabe, aux prises avec la hausse des prix des denrées alimentaires et du carburant, un chômage élevé et un mécontentement social croissant.
La campagne du président contre les migrants d'Afrique subsaharienne est perçue comme une tactique pour détourner l'attention de la population de la crise économique à laquelle la Tunisie est confrontée. Cela est également considéré comme une tentative de rediriger la colère du public causée par sa décision de suspendre le parlement en juillet 2021 . De plus, cela pourrait être un outil de négociation avec l'Europe.
Accord controversé entre l'UE et la Tunisie
L'Union européenne a récemment offert 1 milliard de dollars pour soutenir l'économie de la Tunisie en difficulté et pour renforcer les mesures de contrôle aux frontières visant à empêcher les bateaux de migrants d'atteindre l'Europe.
Contrairement à une déclaration précédente en juin du président Saied , dans laquelle il avait exprimé la réticence de la Tunisie à servir de garde-frontière pour d'autres pays, un accord récent a été conclu entre l'Europe et la Tunisie le 16 juillet. Ce « partenariat stratégique et global » vise à bloquer les opérations des passeurs et des trafiquants d'êtres humains, à renforcer les mesures de contrôle aux frontières et à améliorer les processus d'enregistrement et de rapatriement, selon Mark Rutte [fr], le Premier ministre des Pays- Bas :
Today, President Kais Saied (@TnPresidency) of Tunisia and @EU_Commission President @vonderleyen signed the strategic partnership between the EU and Tunisia. Prime Minister @GiorgiaMeloni of Italy and I also attended the ceremony. This is a real milestone and a promising start to… pic.twitter.com/L2kZ0y0Hhm
— Mark Rutte (@MinPres) July 16, 2023
Aujourd'hui, le président tunisien Kais Saied (@TnPresidency) et le président de la @EU_Commission @vonderleyen ont signé le partenariat stratégique entre l'UE et la Tunisie. Le Premier ministre @GiorgiaMeloni d'Italie et moi-même avons également assisté à la cérémonie. C’est une véritable étape et un début prometteur pour… pic.twitter.com/L2kZ0y0Hhm
— Mark Rutte (@MinPres) 16 juillet 2023
Cet accord présente des avantages mutuels pour l'Europe et la Tunisie. Il permet à l'Europe de mieux contrôler les flux d'immigration vers le continent tout en aidant la Tunisie à faire face à sa crise économique. Cependant, il ne s'attaque pas aux causes profondes de l'immigration, ni n'atténue le sort des immigrés .
Il semble que l'Europe ait choisi d'ignorer les violations des droits de l'homme perpétrées contre ces immigrés en échange de les empêcher d'atteindre l'Europe.